Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en vous disant que, pendant les quelques minutes qui me sont imparties, je me concentrerai sur les dispositions de l’article 9 qui créent le principe de la représentation à l’Assemblée nationale des 2, 5 millions de Français établis hors de France.
C’est peu de dire que cette modification de l’article 24 de la Constitution représente une avancée démocratique importante, comme l’a été, en 1982, l’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger au suffrage universel direct.
Elle vient en effet couronner un long chemin, qui a débuté voilà près de trente ans. Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que la proposition 48 des 110 propositions de François Mitterrand prévoyait que la représentation parlementaire des Français de l’étranger, comprenant non seulement des sénateurs mais aussi des députés, serait assurée.
C’est donc un grand progrès, qui était attendu.
Cette grande et belle idée a été portée par de nombreuses personnes, non seulement par les membres du parti socialiste, mais aussi par les candidats successifs à l’élection présidentielle. Pour ma part, en 2005, j’avais déposé, avec ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga, une proposition de loi allant dans ce sens, mais elle n’a malheureusement jamais été examinée.
La situation actuelle soulève deux difficultés.
D’une part, les députés sont censés représenter la nation tout entière. Le fait que 2, 5 millions de Français ne le soient pas rend cette représentation incomplète. De ce point de vue, le système proposé est boiteux.
D’autre part, la plupart de nos collègues de l’Assemblée nationale méconnaissent la situation dans laquelle se trouvent leurs concitoyens établis à l’étranger. Ils en ont souvent une image fausse, biaisée, ce qui les conduit assez souvent à tenir des propos qui ne correspondent pas à ceux que nous sommes en droit d’attendre de représentants de la nation. Et je ne parle pas des propos blessants, « évadés fiscaux » ou autres gentillesses du même genre.
Il est donc temps que les Français établis hors de France soient représentés au Palais-Bourbon.
Je rappelle également que, si ce texte est adopté, la France rejoindra l’Italie et le Portugal, les deux États membres de l’Union européenne dont les citoyens expatriés sont représentés à la chambre basse, respectivement par douze et quatre députés.
Ce projet suscite deux craintes.
La première est que la droite soit consubstantiellement majoritaire dans ce groupe de douze députés, puisque tel est le chiffre avancé. Or, selon moi, la démocratie n’est pas divisible et ne se monnaye pas. Nous sommes prêts à en assumer le risque, dans le cadre du combat démocratique normal : si les règles de l’élection sont justes et transparentes, chacun doit faire ses preuves dans ce cadre.
La seconde crainte exprimée est de voir le Sénat perdre sa priorité lors de l’examen des textes concernant les Français établis hors de France, c’est-à-dire l’une de ses spécificités. En effet, s’il conserve la priorité pour l’examen des textes relatifs aux collectivités territoriales, en parallèle, il doit réaliser une « primo-lecture » des textes concernant les Français de l’étranger ; aucune raison ne justifie un traitement différent de ces deux domaines.
Mais il n’est, en l’espèce, question que des projets de loi, c’est-à-dire, une partie seulement des textes qui concernent les Français établis hors de France. Or, vous le savez comme moi, la très grande majorité des textes relatifs à ce sujet émane en réalité des parlementaires puisque ce sont des propositions de loi. Le « mal » est, par conséquent, relativement limité.
Je veux maintenant vous faire part de deux inquiétudes qui ne relèvent pas directement du débat constitutionnel, mais qui n’en portent pas moins sur deux questions majeures : la définition du mode de scrutin et le choix du découpage électoral.
Concernant la définition du mode de scrutin, les membres de mon groupe ont été surpris par les propos du rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale, qui a refusé que les députés représentant les Français établis hors de France soient élus selon un mode de scrutin différent de celui auquel sont soumis les autres députés.
Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous avez été encore plus précis en affirmant que ces parlementaires seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Voilà qui a le mérite d’être clair !
Or l’application d’un tel mode de scrutin supposerait la création de douze circonscriptions, si douze est bien le nombre retenu. Au vu de la répartition géographique des Français à travers le monde, six députés représenteront l’Europe et six députés représenteront les autres circonscriptions du monde, à savoir les États-Unis, le Canada, l’Amérique latine, le Maghreb et le Levant, l’Afrique et l’Asie-Pacifique.
Pour justifier le recours au scrutin uninominal, l’argument de proximité a été invoqué. Imaginez un député qui représentera toute la zone Asie-Pacifique, soit vingt-huit à trente pays et devra parcourir 5 000 kilomètres chaque fois qu’il voudra visiter une ville de sa circonscription ! Par conséquent, l’argument de la proximité ne vaut pas si l’on en tient pour le scrutin uninominal.
Nous pouvons également avoir des doutes sur la nature du découpage. Des exemples historiques nous ont appris à être prudents !
J’ajoute que le gel constitutionnalisé du nombre maximal de députés à 577 va sérieusement, et inutilement, compliquer les choses. Nous risquons de nous retrouver dans la même situation qu’en Italie, où la création d’une circonscription des Italiens de l’étranger avait entraîné une modification de la répartition des sièges à la Chambre des députés. Un scénario identique aurait pour fâcheuse conséquence de mettre les élus des circonscriptions nationales et les nouveaux élus de l’étranger dos à dos et de stigmatiser ceux qui représentent les Français de l’étranger. C’est là un argument supplémentaire contre le nombre de 577 figé dans le marbre de la Constitution.
Il n’en demeure pas moins que les membres du groupe socialiste sont sensibles à cette avancée importante, même si nombre de mes collègues ont signalé les difficultés importantes que soulève la réforme constitutionnelle qui nous est proposée et les doutes qu’elle suscite en nous. Il est évident que c’est un jugement global que nous serons amenés à porter sur les modifications qui nous sont soumises.