Peut-on considérer comme anecdotique, dans notre République, que le chef de l’État affirme, devant des journalistes, rêver d’ « en finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l’action gouvernementale » ?
Notre démocratie peut-elle encore accepter le fait du prince, qui met en danger la pérennité de la télévision publique pour permettre un accroissement des recettes publicitaires des chaînes privées, qui tend à autoriser les télévisions privées, sous leur pression, à diffuser une deuxième coupure publicitaire pendant les films, ou bien encore qui remet en cause le seuil anti-concentration dans l’actionnariat des chaînes numériques terrestres ?
Notre démocratie peut-elle fermer les yeux sur les amitiés « utiles » qu’entretient le chef de l’État avec les patrons de groupes détenant entreprises de presse et chaînes de radio et de télévision lorsque, plus grave encore, ces mêmes groupes tirent une part substantielle de leurs revenus de commandes publiques ?
Ainsi Arnaud Lagardère possède-t-il Europe 1, Paris Match, Le Journal du dimanche, tout en demeurant un actionnaire « stratégique » d’EADS au côté de l’État.
Le groupe Dassault, pour sa part, ne fabrique pas que le Rafale : il édite aussi Le Figaro et Le Journal des finances.
Quant à Martin Bouygues, actionnaire principal du groupe TF1, il est toujours à la tête du puissant groupe de BTP qui porte son nom, ce qui le conduit à être partie à de nombreux marchés publics.
Enfin, Vincent Bolloré a récemment diversifié ses activités dans les médias, avec Direct 8, Direct Soir, Matin Plus, mais aussi avec la Société française de production, achetée à l’État, il y a quelques années, à des conditions particulièrement avantageuses et qui consacre une partie significative de son activité à des commandes du groupe France Télévisions.
Pour terminer le tour d’horizon de ces « liaisons dangereuses », je citerai encore le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnault, qui est désormais propriétaire des Échos, au terme d’une longue bataille avec la rédaction du quotidien économique et avec l’appui direct du Président de la République.
Cette concentration de nombre de titres de la presse d’information ainsi que d’importantes chaînes de radio et de télévision entre les mains de puissants groupes industriels et de services – dont les patrons sont quasiment tous des « proches » du Président de la République et qui, pour la plupart, tirent une bonne part de leurs recettes des commandes publiques – est à la fois préoccupante et unique au monde.
Dans ce contexte, l’inquiétude de nombre de rédactions, aux Échos, à Europe 1, au Figaro ou à TF1, est proportionnelle à la gravité des pressions exercées sur elles, souvent en relation directe avec le pouvoir d’État, par les propriétaires de leur titre ou de leur station. Et je passe sur le récent remaniement intervenu à la tête de l’information et du journal télévisé du principal média audiovisuel de notre pays, ainsi que sur les interrogations qu’il soulève ...