Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions, voulue par le Président de la République dès son arrivée à l’Élysée, nous a été présentée comme un rééquilibrage entre « un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement profondément renforcé et des droits nouveaux pour les citoyens ».
En réalité, nous voici devant une proposition qui concentre encore plus le pouvoir exécutif entre les mains du Président de la République, qui réduit au strict minimum de nouveaux droits pour les citoyens, avec un Parlement qui ne serait plus que l’ombre de lui-même.
Cette réforme n’est pas bonne, car elle ne reflète pas les attentes et les besoins du peuple de France en matière de démocratie.
Nombreux sont celles et ceux qui, depuis longtemps, se penchent sur nos institutions. Cela fait ainsi plusieurs années que notre groupe porte une nouvelle vision de nos institutions et de notre République. Nous défendons l’idée d’une République démocratique, où le Parlement retrouverait sa légitimité et disposerait de pouvoirs renforcés ; une République sociale, où les salariés pourraient faire respecter leurs droits et leurs intérêts dans les entreprises ; une République participative, où les citoyens auraient des pouvoirs réels d’intervention directe.
Année après année, élection après élection, que constatons-nous, si ce n’est l’éloignement progressif du peuple par rapport a ses représentants et à ses dirigeants ?
Cette réforme répond-elle à ce constat, pourtant partagé à droite comme à gauche, au lendemain de scrutins électoraux ? Non : la réforme proposée n’est au service que d’un seul homme, le Président de la République ! Elle est l’alibi pour une seule chose, le discours devant le Parlement !
Or la satisfaction des désirs du Président pose un certain nombre de problèmes au regard du respect des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.
Mes chers collègues, au-delà de l’apparente incohérence à défendre une exception d’irrecevabilité sur un projet de loi constitutionnelle, il existe plusieurs raisons de rejeter ce texte.
Le premier motif d’inconstitutionnalité repose sur le fait qu’il ne respecte pas le principe de séparation des pouvoirs, principe essentiel de l’organisation des démocraties modernes, qui occupe une place particulière dans la hiérarchie des normes, au titre de l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
Plusieurs auteurs de la doctrine considèrent en effet que le principe de la séparation des pouvoirs est une exigence de nature supra-constitutionnelle. Sous la IIIe République déjà, Maurice Hauriou, dans son concluait au caractère impératif pour le constituant de l’article 2 de la loi du 14 août 1884, relatif à la forme républicaine du gouvernement, tout en évoquant, en outre, une « légitimité constitutionnelle placée au dessus de la Constitution écrite ».
D’autres voient dans le principe de la séparation des pouvoirs l’une des composantes de la forme républicaine du gouvernement, à côté des principes comme le suffrage universel ou le régime représentatif. Or la forme républicaine du gouvernement, énoncée au cinquième alinéa de l’article 89 de la Constitution, ne pouvant faire l’objet d’une révision, constitue une limite d’ordre matériel opposable au pouvoir constituant.
Enfin, certains ont 1a tentation de se dégager de tout rattachement à la forme républicaine du gouvernement et de donner une sorte de prééminence à la Déclaration de 1789. Je crois savoir qu’en 1989, lors du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre collègue Robert Badinter s’était demandé s’il n’y avait pas « des libertés intangibles que le constituant même ne pourrait supprimer ». C’est pourquoi je crois pouvoir affirmer que cette motion d’irrecevabilité est parfaitement justifiée.
Après m’être expliquée sur la forme, j’en viens au fond.
Cette réforme accroît les déséquilibres déjà existants dans nos institutions entre le pouvoir exécutif, en particulier le Président de la République, et le Parlement.
Les parlementaires communistes n’ont eu de cesse, depuis les débuts de la Ve République, d’en dénoncer le caractère présidentialiste, caractère qui s’est petit à petit aggravé, notamment depuis 1962 avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Le quinquennat et, plus encore, l’inversion du calendrier électoral ont accentué la présidentialisation du régime, apparentant notre démocratie à une sorte de monarchie élective où la séparation des pouvoirs s’estompe au profit de l’exécutif.
Ainsi, aujourd’hui, le Parlement est réduit au rôle de chambre d’enregistrement, sommé d’entériner des projets de loi émanant parfois directement du Président de la République, à l’instar de la loi sur les peines planchers. Nous sommes loin de l’idée que l’on pourrait se faire d’un Parlement représentant du peuple et non du chef d’un parti, et soucieux d’élaborer la loi dans l’intérêt général.
Mais, au-delà, c’est toute la vie politique qui est menacée, au nom du bipartisme.
Nos institutions ne sont plus en phase aujourd’hui avec les attentes de nos concitoyens, qui demandent plus de justice sociale, de redistribution des richesses et des pouvoirs : pouvoir de co-élaboration des décisions qui les concernent, grâce notamment au développement de la démocratie participative ; pouvoir de contrôle de l’action des parlementaires, par la possibilité de saisir directement un Conseil constitutionnel modernisé.
Au lieu de cela, le projet de réforme prévoit de limiter l’action du Parlement en assurant une domination du Président de la République. Ce dernier conserve non seulement tous ses pouvoirs, d’arbitrage, de dissolution, et de superviseur du travail parlementaire, via le Gouvernement, mais, de surcroît, s’en voit octroyer de nouveaux, et notamment un à sa demande expresse : la possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès.
Même si les députés ont supprimé la possibilité pour le Président de venir devant « l’une ou l’autre des deux assemblées », le pouvoir présidentiel en sort considérablement renforcé. En effet, sa déclaration pourra donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fera l’objet d’aucun vote.
Par ailleurs, et cela démultiplie la force symbolique de cette disposition, le Président pourra s’exprimer autant de fois qu’il le souhaitera devant le Parlement, puisque le projet de loi ne prévoit aucune limitation à ce pouvoir. Les parlementaires se retrouvent ainsi soumis au bon vouloir du Prince.
Il est donc étrange d’affirmer vouloir renforcer les droits du Parlement en commençant par permettre au Président de la République de venir s’exprimer devant celui-ci, puis de prévoir un débat facultatif – « la déclaration du Président peut donner lieu à un débat » –, à l’issue duquel il n’y aura aucun vote, et donc aucune contrepartie à l’immixtion présidentielle dans les travaux législatifs.
Le Parlement n’aura aucun pouvoir supplémentaire face au Président.
Ainsi, le Président de la République, qui ne voit pas remis en cause son droit de dissolution de l’Assemblée nationale, conforte sa prééminence institutionnelle, tandis que son irresponsabilité politique est symboliquement réaffirmée. Cette nouvelle possibilité accroît donc la confusion des pouvoirs exécutif et législatif.
La possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement a une grande portée symbolique : le Président participe ainsi, physiquement, à la fonction législative. Jusqu’à présent, nul n’ignorait que, hors période de cohabitation, c’était lui qui déterminait l’organisation des travaux du Parlement. Mais c’était justement le principe de la séparation des pouvoirs qui interdisait sa présence dans l’hémicycle.
L’exemple du droit de message du Président des États-Unis est, en l’espèce, très intéressant, car si l’on comprend bien qu’il a inspiré le Président de la République lui-même, les membres du comité Balladur et, enfin, les rédacteurs de ce projet de loi, il est finalement bien éloigné de la nouvelle prérogative présidentielle prévue par l’article 7.
Lors de son audition par la commission des lois, Mme Elisabeth Zoller, professeur à l’Université de Paris II, directrice du centre de droit américain, a très bien expliqué comment le système américain parvenait à maintenir un certain équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le message du Président se décompose en deux clauses, l’une portant sur l’état de l’Union et l’autre sur les recommandations. C’est évidemment cette deuxième qui nous intéresse plus particulièrement ici.
À l’instar de ce qui se passe en France, c’est le pouvoir exécutif qui rédige les projets loi. Mais Mme Zoller utilise les termes de « législateur en chef» pour parler du Président américain, en précisant toutefois que, « s’il participait de façon prépondérante à la préparation des textes législatifs, le Congrès en était totalement maître lors de leur examen », ce qui n’est même pas le cas en France.