Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 17 juin 2008 à 22h30
Modernisation des institutions de la ve république — Exception d'irrecevabilité

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Par ailleurs, elle considère que la modification du droit de message opérée par le projet entraînerait un profond changement institutionnel, qu’elle a qualifié de changement de régime, par l’érection du Président français en législateur en chef et chef de parti, et la disparition, de ce fait, de sa fonction d’arbitrage. Elle constate que le système américain avait pu échapper à ce dilemme grâce, notamment, à l’absence de fonction d’arbitrage du Président et de droit de dissolution du Congrès.

Sa conclusion est sans appel : « La modification de l’institution présidentielle ainsi proposée par le projet de révision, sans diminuer ses pouvoirs actuels d’arbitrage et de direction du travail du Parlement, par gouvernement et Premier ministre interposés, basculerait le régime de la Ve République dans un système consulaire. »

Ce système qui, je le rappelle, se caractérise par une très forte concentration des pouvoirs au profit d’un seul homme, qui n’en est pas moins politiquement irresponsable, peut conduire à toutes les dérives autocratiques. En France, il a conduit à l’avènement de l’Empire. C’est certainement pour cette raison qu’Elisabeth Zoller a appelé à la mise en place, si le droit de message de l’article 7 était adopté, « des poids et contrepoids du système américain ».

Ce n’est pas exactement ce qu’a prévu le projet de loi, bien au contraire ! Le Président peut déjà s’exprimer comme il l’entend dans les médias – ne l’a-t-il fait récemment sur une chaîne de radio, qui n’était même pas une radio du service public ? – sans que son temps de parole soit décompté. Il convoque les parlementaires – certes, seuls ceux de la majorité ! – à l’Élysée et n’hésite pas à les sermonner lorsqu’ils n’ont pas obtempéré aux ordres présidentiels.

Qu’a-t-il besoin de venir s’exprimer devant le Parlement, si ce n’est pour conforter sa prééminence institutionnelle ?

Le problème est qu’il est pour nous impensable de sacrifier le principe de séparation des pouvoirs sur l’autel des désirs du Président de la République.

Deuxième motif d’irrecevabilité de ce projet de loi : la remise en cause du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, opérée par les députés à l’article 11 du projet de loi. En effet, s’il est prévu d’inscrire dans la Constitution le principe de non-rétroactivité de la loi, il est également inscrit que ce principe peut souffrir des exceptions, en cas de « motif déterminant d’intérêt général ».

Cette exception, ouvrant la voie à toutes les interprétations, me semble directement inspirée des récents problèmes rencontrés par le Gouvernement en matière de rétroactivité de la loi relative la rétention de sûreté. Il n’est, en effet, pas simple de vouloir contourner un principe constitutionnel, énoncé à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Lors de nos débats, madame la garde des sceaux, nous avons eu droit à des démonstrations hasardeuses dans le but de faire adopter la rétroactivité de cette loi, quitte à prendre quelques libertés avec notre droit. Il aura fallu une mise au point du président de notre commission des lois pour vous rappeler que la rétroactivité s’applique non pas à la condamnation – comme vous nous l’avez pourtant dit –, mais aux faits incriminés.

Cependant, le Président de la République ne reculant devant rien, il n’a pas hésité à demander au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de trouver les moyens de contourner la décision du Conseil constitutionnel qui, entre-temps, avait considéré que « la rétention de sûreté [...] ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Or M. Lamanda, dans son rapport intitulé « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux », qu’il vient de remettre au Président, ne vous offre toujours pas la possibilité d’appliquer la loi de façon rétroactive. L’occasion était donc toute trouvée pour qu’un amendement soit opportunément déposé lors de cette révision constitutionnelle afin de permettre qu’un « motif déterminant d’intérêt général », comme la lutte contre la récidive, par exemple, justifie qu’une loi soit rétroactive.

Si nous adoptions définitivement une telle disposition, notre Constitution abriterait finalement une disposition permettant l’adoption de lois contraires à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Enfin, dernier motif d’irrecevabilité, l’article 35 du projet de loi devait prévoir la modification du titre XV de la Constitution à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007.

Ce traité, aujourd’hui soumis aux États membres de l’Union, devait n’entrer en vigueur que lorsque ceux-ci l’auraient tous ratifié. Le « non » irlandais, dont je me félicite, mais que certains méprisent déjà comme ils ont méprisé le « non » du peuple français en 2005, devrait profondément remettre en cause non seulement le processus de ratification, mais également l’adoption de l’article 35 du projet, désormais dépourvu de fondement.

Toujours est-il que le projet de révision de la Constitution suspend le contenu de la Constitution révisée à la ratification du traité de Lisbonne par les autres États européens. Cette conditionnalité, qui renvoie à l’expression de la volonté d’autres États, est incompatible avec les fonctions des lois constitutionnelles régies par l’article 89 de la Constitution. En effet, le pouvoir constituant dérivé ne saurait subordonner le contenu des dispositions de la Constitution à la décision d’États étrangers.

Une telle technique revient à déléguer la fonction constitutionnelle dérivée – ou, en tout cas, à associer des États étrangers à son exercice –, ce qui est absolument incompatible avec la fonction exclusive de révision constitutionnelle mise en place par l’article 89 de la Constitution. Une telle délégation ne pourrait résulter, au mieux, que de la volonté du pouvoir constituant originaire.

Quant au pouvoir constituant dérivé exprimé par la voie des lois constitutionnelles de l’article 89 de la Constitution, il peut, certes, autoriser la ratification d’un traité contraire à la Constitution, mais il ne saurait subordonner l’entrée en vigueur d’une révision constitutionnelle à l’entrée en vigueur d’un traité et, par là, à une décision d’autorités étrangères qui seraient ainsi associées à l’exercice du pouvoir constituant dérivé.

Une telle altération de la technique de révision constitutionnelle aboutit à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant. Elle constituerait un précédent extrêmement dangereux si le « non » irlandais ne remettait pas en cause l’article 35.

La motion de renvoi en commission que mon collègue et ami Robert Bret défendra tout à l’heure sera l’occasion de revenir sur la question du traité de Lisbonne.

En tout état de cause, cette réforme constitutionnelle ne vise nullement à renforcer la démocratie, à rendre le pouvoir au peuple et à ses représentants, mais bel et bien à assouvir les désirs de prééminence institutionnelle d’un seul homme, au détriment des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.

Elle ne porte pas d’ambition moderne et progressiste, mais tend à faire survivre les archaïsmes de l’oligarchie conservatrice.

Mes chers collègues, nous vous proposons donc d’adopter cette motion tendant à déclarer irrecevable ce projet de loi de révision constitutionnelle.

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