Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, jusqu’où ira la dette de l’État ? Tel est bien l’enjeu auquel se ramène ce débat, institué par la loi organique relative aux lois de finances, et qui est maintenant devenu habituel pour notre assemblée.
Force est malheureusement de constater la progression, apparemment irrésistible, de notre endettement. À l’heure où la crise financière et la crise économique se déchaînent, la dégradation de la situation de notre dette ne peut que soulever de nombreuses difficultés.
À la fin de 2007, la dette négociable de l’État s’élevait à 921 milliards d’euros. Elle est estimée, pour la fin de 2008, à environ 985 milliards d’euros. En projection, elle représenterait quelque 1 035 milliards d’euros pour la fin de 2009, et je ne compte pas les 3 milliards d’euros que l’État devra lever pour doter le fonds stratégique d’investissement, dont le Président de la République vient d’annoncer la création, ni les sommes qui seront mobilisées pour le futur plan de relance qui sera mis en place dans le cadre de la coordination européenne et que l’on évoque depuis quelques semaines.
Globalement, la dette de l’État est lourde. Elle représente 15 000 euros par habitant, 26 000 euros par foyer fiscal et 33 000 euros par actif. Entre 2005 et 2007, la dette négociable par habitant a augmenté de 3, 5 %, l’accroissement démographique ne compensant que faiblement la hausse de l’encours de la dette.
Sur le plan européen, l’appréciation de la dette est un peu plus compliquée, car il faut passer de la dette de l’État à la dette de l’ensemble des administrations publiques : État, organismes d’administration centrale, collectivités territoriales, organismes rattachés et sécurité sociale.
Au 30 juin 2008, le niveau d’endettement de l’ensemble des administrations publiques a atteint 1 269 milliards d’euros contre 1 209 milliards d’euros à la fin de 2007, soit alors presque 64, 2 % du PIB.
Dans le projet de loi de programmation des finances publiques, on envisage que la dette publique atteigne un peu plus de 66 % à la fin de 2008 et qu’elle plafonne ensuite aux environs de 68 %, avant de retomber à 64 ou 65 % dès 2011.
Pour mémoire, je rappelle que l’endettement public français était de 35 % du PIB en 1990. Dans les dernières années, ce ratio est resté compris entre la moyenne des États membres de l’Union européenne – 58, 8 % en 2007 – et celle des États membres de la zone euro – 66, 3 % en 2007. Il convient néanmoins de souligner – c’est important lorsque l’on parle de relance – que, entre 2002 et 2007, les ratios de la zone euro et ceux de l’Union européenne ont été réduits de 1, 6 point de PIB européen alors que la dette publique française a au contraire progressé de 5, 1 points de PIB durant cette période. Cette progression est bien évidemment très inquiétante.
Comme je viens de l’indiquer, dans le projet de loi de programmation, on envisage d’aller jusqu’à 67 ou 68 %.
Nous rencontrons quelques difficultés avec EUROSTAT qui choisit, modifie, conteste un certain nombre d’opérations. Nous ne savons pas si la société de financement de l’économie française sera considérée comme une société indépendante ou si elle sera intégrée dans le périmètre des administrations publiques, ce qui pèserait sur notre endettement. Je mènerai dans les prochains mois une investigation approfondie à Bruxelles afin de mieux apprécier les conditions d’intervention et les modalités de raisonnement de cet organisme à la fois très influent et apparemment très peu encadré.
En tout cas, il est bien évident que la crise a fortement ralenti l’effort de désendettement que le Gouvernement a mis en œuvre depuis trois ans. Cet effort a été important – plusieurs dizaines de milliards d’euros – lors des exercices 2006 et 2007. Hélas ! en 2008, la conjoncture n’a pas été favorable au désendettement, et l’objectif de 5 milliards d’euros prévu pour 2009 paraît aujourd’hui impossible à atteindre.
La dette, il faut tout à la fois l’amortir et en payer les intérêts.
La charge de la dette publique avait été évaluée, dans la loi de finances initiale pour 2008, à 41, 2 milliards d’euros. Compte tenu de l’augmentation des coûts, des taux d’intérêts, et de la dette, la charge de la dette a été majorée de 4 milliards d’euros dans le collectif budgétaire d’octobre.
Pour 2009, au contraire, après la baisse des taux de la Banque centrale européenne et après les événements qui sont survenus aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans les pays asiatiques, la charge de la dette devrait être moins coûteuse – de l’ordre de 43 milliards d’euros, c’est-à-dire 2 milliards de moins qu’en 2008 –, à la condition que nous résistions à la tentation de nous endetter fortement au cours des prochaines semaines pour financer le plan de relance.
Du fait du poids de notre dette, la sensibilité aux variations de taux d’intérêt est très forte. Il faut garder à l’esprit que, toutes choses égales par ailleurs, une hausse des taux à hauteur de 1 % à partir de 2009 se traduirait par une augmentation de la charge de la dette négociable de 4 milliards d’euros. L’évolution des taux d’intérêt est donc un facteur essentiel pour le poids de la charge de la dette. J’y reviendrai lors de la discussion budgétaire.
Dans ces conditions, il convient bien évidemment de tout faire pour diminuer notre endettement public. La progression « zéro » des dépenses budgétaires joue un rôle majeur.
N’oublions pas que les dépenses fiscales se traduisent par une diminution des recettes. Comme le souligne M. le rapporteur général, il faut additionner la dépense budgétaire et la dépense fiscale pour avoir une vision claire de nos finances publiques.
Dans le cadre des fonctions de rapporteur spécial qui m’ont été confiées par la commission des finances, je ferai trois observations.
Première observation : alors que tout un volet de la stratégie de désendettement a été fondé sur les cessions patrimoniales, qu’il s’agisse de participations financières ou d’actifs immobiliers, force est de constater que le contexte économique et la crise actuelle nous interdisent de poursuivre cette politique. On ne va pas vendre à perte des éléments essentiels de notre patrimoine.
Je l’ai déjà indiqué, nous avions pu nous désendetter de 17 milliards d’euros en 2006 et de 8 milliards d’euros en 2007. Pour 2008, nous aurons du mal à atteindre 1 milliard d’euros – et encore ! –, et personne ne sait ce que nous pourrons réaliser en 2009. Il est évident que les fluctuations dans la capitalisation boursière de l’ensemble du portefeuille de valeurs mobilières ou d’entreprises non cotées que détient l’État ne laissent pas présumer si certaines opérations seront possibles.
Je souhaite tout de même souligner – mais c’est ma collègue Mme Bricq qui aura l’occasion de rapporter sur ce point – que, hormis dans le cas du ministère de la défense, qui bénéficie d’un sort particulier, nous ne devons pas oublier d’affecter une partie du produit des cessions immobilières au désendettement : la progression de l’endettement est trop rapide pour que nous ne le fassions pas.
Deuxième observation : le tableau de financement prévisionnel de l’État figurant dans le fameux tableau de l’article 34, qui sera soumis au vote dans quelques instants, fait apparaître pour l’État un besoin de financement, pour 2009, de 165, 4 milliards d’euros – le chiffre est important –, y compris l’amortissement de la dette à long et à moyen terme et le déficit de cette même année. Ce chiffre doit être comparé à celui de 149 milliards d’euros de réalisations en 2008.
L’État devra donc procéder à des émissions de titres d’emprunt à long et à moyen terme à hauteur de 135 milliards d’euros, et c’est ce qu’il nous est demandé d’approuver. Néanmoins, selon l’interprétation qui a été retenue de la LOLF, le Parlement n’a pas à juger du plafond des bons du Trésor ni de tous les mécanismes à court terme, et je constate qu’à l’heure actuelle, comme les épargnants sur les livrets, les agents se précipitent sur les bons du Trésor : le plafond que nous avions fixé en 2008 pour les bons du Trésor était légèrement supérieur à 25 milliards d’euros ; ils atteignent déjà 42, 7 milliards d’euros.
Troisième observation : je pense que l’agence France Trésor, qui est chargée de gérer la dette pour le compte de l’État et d’émettre pour le compte de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, parvient à emprunter dans de bonnes conditions. La commission des finances souhaite qu’elle puisse aussi intervenir pour les emprunts de la CADES : la réduction de la différence entre les taux d’intérêt obtenus par les émissions de France Trésor et celles de la CADES permettrait sans doute de faire quelques économies.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, si je dois ne retenir que trois chiffres, ce seront ceux-ci : les 165 milliards d’euros que l’État doit essayer de trouver sur les marchés financiers en 2009 ; les 43 milliards d’euros que coûtent les intérêts ; les 5 milliards d’euros qui représenteront probablement l’objectif de désendettement de l’État. Il nous reste à observer quels effets produira le plan de relance.
Pour ma part, je souhaite que le produit de l’augmentation de la dette soit essentiellement consacré au financement d’investissements. Nous pourrons ainsi aborder dans de meilleures conditions l’année 2009.