Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires s’inscrit dans le mouvement de grave régression sociale qui aura caractérisé cette session extraordinaire du Parlement, au cours de laquelle le Gouvernement a déclaré l’urgence pour la quasi-totalité des projets de loi examinés !
Par conséquent, déclaration d’urgence et même précipitation pour l’étude du présent texte, puisque, en réponse aux milliers d’enseignants, de lycéens et de parents qui manifestaient contre une succession de réformes imposées sans réelle concertation, le Président de la République avait ordonné, le 15 mai dernier, que ce projet de loi soit voté avant l’été, pour application dès la rentrée de 2008.
Mission accomplie ! Le service d’accueil est introduit, l’exercice du droit de grève est alourdi et le maire se voit imposer une nouvelle responsabilité.
La majorité ne cesse de nous en rebattre les oreilles : sur ce texte, comme sur d’autres, nous nagerions en plein consensus ; ce serait le règne de la démocratie triomphante, et tous ceux qui s’opposent aux réformes gouvernementales, et donc à celle-ci, ne seraient que d’affreux « pédagogistes », des défenseurs du statu quo, une minorité marginale. Permettez-moi de vous dire ici que le mépris pour la contradiction dans le débat d’idées n’est pas digne d’une grande démocratie.
Mais revenons-en au texte qui nous occupe aujourd’hui.
Lors de son examen au Sénat, j’avais souligné que ce projet de loi constituait une véritable opération à tiroirs. Or, malgré les efforts de la majorité pour en gommer les aspects les plus inquiétants, sous la pression légitime des maires, des parents et des enseignants, il demeure un mauvais texte.
Ce texte est mauvais par les intentions qui le sous-tendent, puisqu’il vise à restreindre le droit de grève des enseignants du premier degré, au motif de défendre le droit de travailler des parents. Je rappelle que nous parlons ici – ce point a fait l’objet d’un consensus lors de nos débats – de trois jours de grève à peine par an. Et ce n’est pas l’extension du dispositif au privé, introduite par l’Assemblée nationale, qui changera la donne ! D’ailleurs, le Président de la République le dit lui-même : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit ! » Dans ces conditions, pourquoi ce projet de loi ?
Conséquence directe de la mise en œuvre de ce texte, les maires se verront imposer un service dont ils ne voulaient pas, comme en témoigne l’échec des deux expérimentations menées sur la base du volontariat. Nombre d’entre eux s’interrogent toujours fortement sur la pertinence du dispositif, notamment dans les communes rurales. D’ailleurs, le 18 juillet dernier, le nouveau président de l’Association des maires ruraux de France affirmait, dans un communiqué, que ce service d’accueil sera toujours « inapplicable dans la plupart des communes rurales ».
Ce texte est également mauvais parce qu’il va créer un service d’accueil des enfants se résumant à une simple garderie, qui ne répondra à aucune norme clairement définie et connue de tous quant aux qualifications requises des personnels qui en seront chargés.
Ainsi, selon la nouvelle rédaction de l’article 7 bis adoptée par la commission mixte paritaire, le maire devra veiller à ce que les personnes susceptibles d’assurer ce service d’accueil possèdent « les qualités nécessaires pour accueillir et encadrer des enfants ». Il s’agit ici, je tiens à le souligner, de l’encadrement d’enfants âgés de trois à six ans. Nous pouvons donc réellement nous interroger sur les garanties qu’offrira ce service en termes de sécurité.
En réalité, l’article 7 bis du projet de loi témoigne à lui seul de l’ambiguïté dans laquelle cette loi va placer les maires, les enseignants et les parents.
Tantôt on nous dit, comme l’a fait Mme Guégot, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale, qu’il serait « tout à fait absurde d’exiger des futurs animateurs d’un service d’accueil mis en œuvre environ trois fois par an qu’ils présentent les qualités exigées par le code de l’action sociale et des familles » ; tantôt s’exprime la volonté de certains parlementaires, quelquefois maires, d’apporter des précisions et de prévoir des garde-fous, en évoquant des « qualités nécessaires » et un « encadrement ». Ces précisions demeurent toutefois assez vaines en l’absence de définition précise desdites qualités ou de référence à un taux d’encadrement légal.
L’article 2 du texte instaure une autre ambiguïté, qui n’est pas totalement levée malgré la nouvelle rédaction adoptée. J’avais dénoncé ici même le contenu de cet article, qui permettait à l’État, en cas d’absence d’un enseignant et d’impossibilité de le remplacer, d’activer un service d’accueil, sans qu’il soit apporté d’autre précision. Le motif de l’absence n’était pas du tout précisé, et la notion de grève n’était même pas évoquée. Un comble, si l’on se reporte à l’exposé des motifs du projet de loi initial !
Devant l’émoi suscité par cet article, il a été introduit, dans la nouvelle rédaction, la notion d’ « absence imprévisible » et, seulement ensuite, celle de grève. Il n’en reste donc pas moins que l’État, une fois cette loi promulguée, disposera de la possibilité de mettre en place un service d’accueil lorsqu’un enseignant sera absent de façon non prévisible. L’État desserre ainsi l’obligation de remplacement qui s’impose à lui d’assurer la continuité du service public de l’éducation, c’est-à-dire de l’enseignement.
En outre, il n’est pas explicitement précisé dans le texte qui assurera, dans ce cas, le service d’accueil. Aura-t-on recours aux enseignants ? C’est déjà ce qui se passe pour les absences de courte durée. Dès lors, en quoi crée-t-on, comme vous le prétendez, une « garantie supplémentaire » ?
Par ailleurs, ce projet de loi tend à complexifier et à alourdir considérablement l’exercice du droit de grève pour les enseignants du premier degré.
En effet, aux onze jours nécessaires pour le dépôt d’un préavis s’ajouteront les cinq jours obligatoires entre le dépôt de ce préavis et la grève, soit seize jours de délai, au motif d’instaurer un dispositif dit « d’alerte sociale ». Je perçois plutôt un autre objectif, celui de décourager les enseignants de faire grève, les motifs de mobilisation ne manquant pas, notamment dans le primaire, avec la mise en œuvre des nouveaux programmes, la diminution du nombre d’heures d’enseignement, la mise en place des deux heures de soutien et la réforme de la formation, sans parler du prochain budget et des 13 500 suppressions de poste annoncées pour 2009.
Ajoutons que l’application de la future loi ne sera pas indolore pour les maires. C’est bien en raison de leurs réticences que vous avez finalement accepté, monsieur le ministre, après vous y être opposé au Sénat, que le taux minimal de grévistes entraînant la mise en place du service d’accueil soit porté à 25 %, au lieu de 10 % comme il était prévu au départ.
La compensation financière suscite aussi de l’inquiétude, ce qui vous a obligé à prévoir un filet de sécurité pour les communes ayant surdimensionné leur service d’accueil. Le résultat en est que le système de financement mis en place est, reconnaissons-le, assez alambiqué.
Enfin, la question de la responsabilité pénale constitue pour les maires un autre motif, et non des moindres, de réticences et d’inquiétude. Pour les rassurer, le Sénat avait introduit la notion de responsabilité administrative. L’Assemblée nationale a adopté une disposition concernant la protection juridique du maire, dans le cadre de sa mission d’organisation et de contrôle de l’accueil, en cas de faits non intentionnels ayant causé un dommage à un enfant.
Or soyons clairs, cette disposition implique seulement la prise en charge par l’État des frais de protection juridique des maires qui seraient éventuellement mis en cause en raison d’un dommage causé à un enfant accueilli. In fine, la question de leur responsabilité pénale se posera en cas d’accident.
En conclusion, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, même si l’inquiétude des maires, des enseignants et des parents vous a contraints à apporter certaines précisions, il n’en reste pas moins que l’objet même de ce texte ne recueille pas notre assentiment. Il justifie que nous demeurions opposés à l’ensemble du projet de loi. Nous nous prononçons donc contre les conclusions de la commission mixte paritaire.