Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai en cet instant quelques états d’âme, je vous l’avoue très franchement, d’abord, parce que le rapporteur général m’a fait l’honneur de me demander de le remplacer ce soir, me donnant ainsi l’occasion de m’exprimer au nom de la commission des finances devant vous ; ensuite, parce que c’est la dernière fois que je monte à cette tribune et que je fais donc, d’une certaine manière, mes adieux au Sénat.
Il se trouve que c’est un texte un peu particulier qui m’en donne l’occasion, et dans des conditions également un peu particulières. Il est en effet extrêmement rare qu’un projet de loi de règlement fasse l’objet d’une commission mixte paritaire ou d’une deuxième lecture, puisque ce n’est que la troisième fois depuis 1958 que cela se produit.
Le projet de loi de règlement pour 1983 avait été examiné en CMP, mais la loi avait été censurée en 1985 par le Conseil constitutionnel au motif que l’urgence n’avait pas été déclarée. Le présent projet de loi étant déclaré d’urgence, nous ne risquons donc rien de ce point de vue, monsieur le secrétaire d’État.
Quant au projet de loi de règlement pour 1998, discuté au Sénat seulement en 2001, il avait fait l’objet d’une deuxième lecture.
Les projets de loi de règlement ne nous avaient donc pas habitués à de telles aventures.
Il faut, je crois, se réjouir de l’événement qui se produit ce soir, mais il faut aussi s’interroger. En effet, nous discutons d’une loi dont l’intitulé même a été modifié : c’est non plus la « loi de règlement », mais la « loi de règlement des comptes et rapport de gestion » pour 2007. Ce changement, qui répond d’ailleurs à un souhait très marqué de la commission des finances, illustre la nouvelle importance accordée à la loi de règlement par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Il mérite d’être souligné et, surtout, il mérite que le Parlement dans son ensemble prenne toute la mesure de cette importante innovation.
Il ne s’agit plus simplement de donner un quitus de nature comptable : il faut également attester la sincérité des écritures, sur la base des diligences de la Cour des comptes, et apprécier la performance de l’action publique. La nouveauté est là, et c’est elle qui fait de la loi de règlement des comptes et rapport de gestion ce « moment de vérité budgétaire », pour reprendre l’expression désormais consacrée, où le Parlement peut évaluer globalement et publiquement l’efficacité de la gestion des différents ministres.
La commission des finances du Sénat a organisé, pour traduire concrètement cette volonté, une série de treize auditions dites en « petit hémicycle », et a publié sous la signature des rapporteurs spéciaux un tome II du rapport procédant à une analyse critique des rapports de performance fournis par l’administration. On cesse ainsi de donner plus d’importance aux déclarations d’intention qu’aux réalisations, lesquelles sont appréciées en fonction de critères de performance aussi objectifs que possible.
J’étais d’ailleurs de ceux qui, au moment du vote de la LOLF, avaient manifesté quelques réticences, car le temps imparti à la discussion du projet de loi de finances initiale n’était pas raccourci au profit de l’examen du projet de loi de règlement. Or celui-ci prend une importance toute nouvelle puisque, encore une fois, il n’agit non plus seulement de clôturer des comptes, mais bien d’apprécier l’efficacité d’une politique soutenue par l’exécution budgétaire.
Autrement dit, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il ne s’agit plus, désormais, d’une simple formalité. Bien au contraire, il faut maintenant entrer dans ce qu’il est convenu d’appeler le « chaînage vertueux » pour constituer le socle sur la base duquel il sera possible de bâtir la discussion budgétaire de l’année n + 1, système qui au demeurant vient d’être consacré.
Je note, en outre, que la discussion du projet de loi de règlement des comptes est l’occasion pour le Parlement d’améliorer ses moyens de contrôle. C’était bien là l’objet des trois articles encore en navette, sur lesquels la commission mixte paritaire est parvenue à un accord que je crois équilibré.
De fait, le premier des trois articles en discussion a été adopté dans la rédaction du Sénat ; le deuxième a fait l’objet d’une nouvelle rédaction en commission mixte paritaire et, pour le troisième, la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale a été rétablie.
À l’article 7 bis, les députés ont approuvé une initiative de nos collègues Yves Fréville et François Trucy tendant à améliorer l’information du Parlement sur le coût des grands programmes d’armement.
La matière est technique ; relevons simplement qu’il s’agit d’informer le Parlement sur l’échéancier remis à jour des principaux programmes d’armement, même lorsque ceux-ci sont déjà anciens, et que cette initiative est le fruit des travaux que nos deux collègues ont entrepris comme rapporteurs spéciaux et, sinon des carences, du moins des incertitudes qu’ils ont pu constater au fil du temps.
L’article 9 bis, relatif à la transmission au Parlement des référés de la Cour des comptes, a fait l’objet d’un compromis en commission mixte paritaire.
Se fondant sur des cas concrets – il s’agissait en l’espèce des modalités de fusion entre l’UNEDIC et l’ANPE, à propos desquelles avait été organisée une audition publique –, le Sénat avait voulu réduire le délai de transmission des référés de la Cour des comptes à deux mois : les trois mois initialement prévus semblaient inutilement longs, même si, dans son principe, ce délai présentait l’avantage de permettre un meilleur respect du principe fondamental dit du « contradictoire » en laissant aux ministres et à l’administration plus de temps pour préparer leur « défense ».
Par ailleurs, toujours au même article L. 135-5 du code des juridictions financières, le Sénat avait voulu rendre obligatoire la communication des observations définitives de la Cour des comptes. Ce souhait était lui aussi le fruit de l’expérience, en l’occurrence des travaux menés sur l’Institut du monde arabe par notre collègue Adrien Gouteyron, qui préside ce soir nos travaux et que je salue.
L’Assemblée nationale avait émis des réserves sur ce dernier point en raison du grand nombre des observations concernées et du risque que le caractère systématique de leur communication n’affecte le fonctionnement interne de la Cour des comptes.
Un compromis a été en définitive trouvé par l’introduction de la mention « à la demande » des destinataires, c'est-à-dire des commissions des finances. L’obligation de communication des observations définitives se trouve ainsi réduite aux seuls cas où il y a à la fois transmission d’un référé au Parlement et motif à interrogation par les commissions des finances. Ce compromis me paraît satisfaisant, dans la mesure où il permet aux commissions des finances de disposer des éléments nécessaires pour apprécier la portée de référés souvent par trop succincts.
En dernier lieu, la commission mixte paritaire a accepté de rétablir l’article 10 qui, introduit par l’Assemblée nationale, tendait à créer une annexe récapitulant les mesures fiscales et les mesures relatives aux cotisations sociales adoptées en cours d’année.
Il s’agissait aussi pour la commission des finances du Sénat de ne pas interférer avec le débat engagé à l’occasion de la réforme constitutionnelle sur l’introduction d’un éventuel « domaine réservé » des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de mesures fiscales et de règles d’assiette des cotisations sociales.
Aujourd’hui, dès lors que la représentation nationale a tranché et que ce principe n’a pas été retenu, la commission des finances – et la commission mixte paritaire ensuite – a admis que ces informations pouvaient très utilement être fournies au Parlement dans une annexe « jaune » classique, même si une modification de la LOLF eût été préférable.
Cette observation m’amène, en guise de conclusion, à souligner que la réhabilitation de la loi de règlement – et les débats auxquels cette commission mixte paritaire a donné lieu – renvoie au problème plus général du toilettage de la LOLF.
Ainsi que notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, l’a souligné à plusieurs reprises, il conviendrait de remettre sur le métier la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
À travers tout à la fois le renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement et l’amélioration de la qualité de l’information qui lui est fournie, c’est bien finalement le redressement de nos finances publiques qui est en jeu.
Une première étape a d’ores et déjà été franchie avec la révision constitutionnelle et l’introduction du principe de la pluriannualité budgétaire dans notre loi fondamentale.
Il nous faut améliorer la performance de l’administration et fonder notre action sur une évaluation sincère de l’état de nos finances publiques.
Un cadre juridique et des procédures peuvent nous y aider. C’est pour cela qu’il faudra probablement adapter la LOLF, mais cela ne suffira pas. En réalité, quels que soient les textes, c’est le comportement des hommes qui compte. Il faut faire preuve de volonté et de courage politique.
Tel est bien le message que je voudrais, au terme de ces quelques années passées à la commission des finances, faire entendre ici.
La lutte contre les déficits et la dette, dont j’avais la charge d’apprécier le poids sur nos finances publiques, n’est pas une nécessité imposée de l’extérieur au nom de l’euro. Elle est un effort de longue haleine qu’il nous faut entreprendre si nous voulons éviter de n’être que les gestionnaires passifs et, en définitive, résignés du déclin de notre pays.
C’est ainsi que nous pourrons préparer l’avenir tout en restant fidèles à la mission que le Sénat s’est toujours assignée.
Mes chers collègues, c’est dans l’espoir que vous adopterez les conclusions de cette commission mixte paritaire que je quitte cette tribune pour la dernière fois.