Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 18 janvier 2005 à 16h00
Développement des territoires ruraux — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux n'apporte pas d'éléments suffisants pour infléchir l'opinion négative que le groupe communiste républicain et citoyen avait émise en première lecture.

En effet, les modifications apportées par l'Assemblée nationale, certaines positives, d'autres négatives, ne changent pas en profondeur l'économie de ce texte, d'ailleurs très économe en matière de deniers publics - j'aurai l'occasion d'y revenir.

Le caractère « fourre-tout » de ce projet de loi évoqué par nombre de collègues aurait pu contribuer à sa force au regard de la diversité et de la complexité de la ruralité.

Cependant, l'orientation des mesures, en déséquilibre dans le rapport privé-public, le manque de crédits d'Etat, la sollicitation financière des collectivités locales déjà défavorisées et le caractère libéral du texte en atténuent sérieusement l'efficacité recherchée.

Nous continuons de penser qu'il manque l'essentiel à ce texte pour assurer un développement harmonieux des territoires ruraux. En témoigne la vitalité des débats que nous avions initiés en première lecture, notamment autour de la question des prix agricoles et de la dotation globale de fonctionnement des collectivités locales.

En effet, ce texte manque cruellement de moyens financiers, de mesures phares, et les questions de fond qui sont nécessaires aux territoires ruraux ne sont pas traitées. Je voudrais évoquer quelques-unes d'entre elles qui n'ont toujours pas trouvé de réponse.

Comment conserver notre potentiel d'agriculteurs autour de 600 000 personnes et éviter d'être 300 000 dans moins de dix ans ?

Comment assurer des prix rémunérateurs pour l'ensemble des productions agricoles ?

Comment réorienter l'agriculture vers le durable, au sens le plus large du terme ?

Comment encourager l'installation agricole de manière efficace et les structures d'exploitation permettant des conditions de vie décentes ?

Comment revaloriser et humaniser les professions de l'agro-alimentaire ?

Comment réglementer les usages de la nature ?

Comment assurer une présence commerciale et multiservices dans chaque commune de France ?

Comment adapter de vrais services publics aux besoins des populations rurales ?

Comment faciliter la scolarisation dans les zones rurales les plus défavorisées et les plus dépeuplées ?

Comment organiser l'intégration des populations communautaires qui arrivent dans nos campagnes ?

Comment, enfin, se dégager, au nom de la subsidiarité, du carcan de l'OMC et de certaines directives européennes qui, par leur ultralibéralisme, mettent en péril, les uns après les autres, les secteurs vitaux du monde rural et agricole ?

Sans vouloir être exhaustif, j'aurais également pu évoquer le logement, les salaires, les déplacements, la santé, la culture, le tourisme rural, tous ces secteurs pour lesquels les moyens manquent aux collectivités.

Poser ces questions, c'est déjà commencer à y répondre, mais le texte ne le fait pas, ou si peu. Nos amendements et interventions reflètent donc ces aspects, que nous jugeons essentiels pour un véritable développement rural.

A propos de l'avenir de l'agriculture et de la pêche, nous constatons que ce n'est jamais le bon moment d'évoquer la question de prix rémunérateurs, ce qui serait pourtant porteur pour la profession et inciterait plus de jeunes à l'installation.

Nous allons donc renouveler notre demande d'une conférence nationale des prix rassemblant tous les acteurs concernés, du producteur au consommateur, sans oublier la transformation et la grande distribution.

Nous redéposerons également les amendements relatifs au prix minimum et au prix de référence, produit par produit, afin de garantir aux producteurs de ne pas vendre à perte et de gagner décemment leur vie.

Le principe du coefficient multiplicateur, qui consiste à établir un rapport entre le prix d'achat et le prix de vente, pourrait également être adopté afin d'inciter la grande distribution à acheter à un prix correct, et cela pas seulement en période de crise.

Nous sommes bien conscients, cependant, que les régulations que nous proposons contreviennent radicalement aux dispositions prises par l'Europe et l'OMC qui suppriment toute entrave à la libre circulation des produits et favorisent ainsi les importations de pays tiers à bas prix pour faire pression sur les prix européens.

Aucune référence à la préférence communautaire n'apparaît dans le projet constitutionnel européen, et le principe de l'unicité des prix des produits agricoles laisse la place « à une politique commune éventuelle des prix ».

La politique agricole commune, en instaurant le découplage des aides, va également accentuer les concurrences et les déséquilibres sur le plan tant infracommunautaire qu'infranational, par le déplacement physique et temporel des productions, de légumes en particulier.

C'est également la PAC réformée qui va modifier en profondeur la valeur marchande des terres en fonction du montant des droits à paiement unique qui leur seront attachés et rendre encore plus difficile la transmissibilité des exploitations agricoles, donc l'installation des jeunes.

Si nous ne voulons pas rester des spectateurs impuissants devant la saignée des effectifs agricoles, il convient d'encourager financièrement la transmission dans un cadre collectif ou pluri-individuel. Et ce n'est pas l'OMC, dont la principale préoccupation est d'abolir les protections douanières, qui va rassurer les agriculteurs dans un monde où la loi de la jungle sera la règle du jeu.

Les services publics de proximité constituent un autre élément structurant des territoires ruraux. A ce titre, les trois articles rescapés du débat sont loin de faire la révolution dans le domaine des services publics.

Le premier, relatif à l'unicité du tarif de base pour le secteur réservé des services postaux, semble oublier que ce secteur va lui aussi disparaître en 2009 au nom de la déréglementation européenne. Formons le voeu que les manifestations des postiers de ce jour contribuent à éclairer les Français sur ce qui les attend.

Le deuxième article ouvre la porte à la privatisation des maisons de services publics.

Quant au troisième article, il est truffé de bonnes intentions autour des projets de réorganisation des services publics - « autour des projets de casse des services publics » faudrait-il plutôt écrire ! La concertation autour des préfets semble vouloir aider ces néfastes mesures à paraître acceptables. En réalité, il s'agit là d'un enrobage parlementaire, destiné à camoufler la disparition des services publics voulue par le Gouvernement, qui supprime des fonctionnaires à tour de bras, disparition également voulue par l'Europe, dont la philosophie exclusivement marchande et libérale ne connaît pas la notion de services publics et lui substitue la notion de service d'intérêt économique général, ou SIEG.

A ce propos, le projet de Constitution européenne est également édifiant.

Il y est en effet répété à de multiples reprises que « l'Union offre à ses citoyens un marché unique où la concurrence est libre et non faussée ».

Le texte définit en outre, à l'article 130, l'organisation économique comme suit:

« L'Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur [...]. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux est assurée conformément à la Constitution. »

On peut enfin lire aux articles 166 et 167 des dispositions qui sont sans équivoque :

« Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution [...]. »

« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général [...] sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence [...]. »

« Sauf dérogations prévues par la Constitution, sont incompatibles avec le marché intérieur [...] les aides accordées par les Etats membres ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence [...]. »

Nos services publics sont bien devenus des services d'intérêt économique général, qui entérinent la primauté de la rentabilité sur l'utilité sociale et interdisent toute subvention publique.

Cela justifie pleinement que nous déposions un amendement tendant à établir un moratoire à la fermeture des services publics.

Plus largement, dans le domaine des services en général, une autre bombe est braquée sur nos concitoyens : il s'agit de la directive Bolkenstein, en passe d'être adoptée en 2005 si nous ne faisons rien. Il y est prévu, en matière de services, d'appliquer dans les vingt-cinq pays européens la législation sociale du pays d'origine.

Les secteurs en question sont divers et multiples. Ils concernent, entre autres, l'entretien et la sécurité des bureaux, la publicité, le recrutement, les agents commerciaux, les services liés à l'immobilier, les services de construction, d'architecture, de distribution, de tourisme, les centres sportifs, les services audiovisuels, les loisirs, la santé et les services à domicile, tel le soutien aux personnes âgées.

Cette directive est l'équivalent de l'AGCS à la sauce européenne : elle légalise le dumping social fiscal ; c'est la traite des salariés des temps modernes !

Le droit français du travail, déjà mis à mal par ce gouvernement, éclatera si cette directive voit le jour.

Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, les maires ruraux sont très inquiets de la dérive des services publics et de la faiblesse des moyens financiers qui leur sont alloués sur le plan tant communal qu'intercommunal.

L'attractivité des communes rurales dépend de leur capacité à offrir des services aux plus jeunes, comme aux plus âgés ou aux actifs.

Le dernier congrès des maires est éloquent à ce sujet, et les nombreuses démissions d'élus, à l'instar de ceux de la Creuse, témoignent du profond malaise qui règne dans nos campagnes.

Il est un autre fléau, les délocalisations, qui frappent, certes, autant les villes que les campagnes. Leur impact est souvent catastrophique et précarise les populations des collectivités environnantes.

Là encore, des mesures radicales et dissuasives pourraient être prises et, si elles ne le sont pas, c'est parce qu'elles sont en contradiction avec « la sacro-sainte libre circulation des capitaux, des hommes, des biens et des services ».

La règle européenne de mise en concurrence de tous les services aboutit à substituer aux monopoles publics des monopoles privés. La messe est dite.

Un autre sujet qui me tient à coeur est le commerce de proximité. Je fais partie de ces élus qui pensent qu'une commune digne de ce nom doit avoir au moins un commerce de proximité pouvant également assurer de multiples services afin de contribuer à l'égalité de traitement des citoyens sur l'ensemble du territoire.

Les défauts de financement du FISAC, le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, en 2004 et la situation catastrophique des commerces de proximité, quand ils existent, sont inacceptables quand on sait notamment que les crédits issus de la taxe d'aide sur le commerce et l'artisanat sont complètement déviés de leur objectif. Nous y reviendrons par un amendement.

A propos de l'amendement relatif à la publicité sur le vin, notre groupe estime satisfaisante la position adoptée par l'Assemblée nationale, et s'en tiendra là.

Notre groupe interviendra dans le débat sur la chasse afin de ne pas voir restreindre l'accès de tous à la chasse populaire, notamment au sein des ACCA, et de limiter la responsabilité financière des bénéficiaires de plans de chasse.

Enfin, je voudrais évoquer ici notre surprise de voir fleurir des amendements relatifs à la loi Littoral dans ce débat. J'estime que ce n'est ni le lieu ni le moment dans ce texte. Si le Gouvernement a réellement la volonté d'améliorer la loi Littoral, je propose que nous revenions sur ce texte, et exclusivement sur lui, à un moment ultérieur.

Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, les territoires ruraux français ont besoin de mesures fortes et bien orientées pour leur garantir les conditions d'une ruralité vivante et d'un développement harmonieux.

Le contexte national, européen et mondial me fait craindre le pire en direction de nos territoires les plus fragiles, donc les moins rentables. Nous avons montré que des alternatives plus optimistes existent. Encore faut-il s'en donner les moyens et en avoir la volonté politique. §

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