Intervention de Bernard Piras

Réunion du 18 janvier 2005 à 16h00
Développement des territoires ruraux — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

... a été examiné par l'Assemblée nationale dès l'ouverture de la session parlementaire, en octobre, ce qui laissait peu de temps, en amont, pour le travail en commission. Les deux chambres du Parlement ont adopté des approches notablement différentes, puisque, à titre d'exemple, le Sénat a supprimé 30 articles et en a rajouté 49 par rapport à la rédaction élaborée en première lecture par l'Assemblée nationale.

A ce titre - et ce n'est pas là l'aspect le moins original de ce parcours -, contrairement à la tradition voulant que notre assemblée s'érige en garante des intérêts de nos campagnes, le Sénat ne s'est pas comporté comme tel en supprimant un certain nombre de dispositions qui représentaient un progrès pour nos territoires ruraux, tendant par exemple à prévoir le remboursement des aides publiques par les entreprises qui se délocalisent à partir de zones rurales, à permettre aux communes rurales de pratiquer des loyers industriels attractifs, à favoriser le maintien des écoles en milieu rural, à garantir un prix unique du timbre sur tout le territoire.

Ce parcours laisse une impression de fouillis, de non-préparation, qui contraste fortement avec l'importance de l'enjeu lié au texte. La ruralité est et doit demeurer une chance pour notre pays, elle mérite indéniablement un débat d'une autre ampleur.

En effet, le problème est le suivant : quel projet, pour nos territoires ruraux, ressort à la lecture de ce texte ? Quel avenir le Gouvernement désire-t-il offrir à ces territoires : souhaite-t-il que le milieu rural soit un lieu de vie et d'activité ou, à l'inverse, un lieu de détente, de repos et même de repli par rapport au monde urbain ? Souhaite-t-il, ce qui serait, me semble-t-il, plus judicieux, qu'un équilibre puisse être trouvé entre les différentes fonctions remplies par ces territoires, qui sont à la fois, je le rappelle brièvement, résidentielles, productives, récréatives, touristiques et, enfin, environnementales ?

Certes, la diversité même de la ruralité rend son approche difficile. Outre la variété des fonctions assumées par les territoires ruraux que je viens d'évoquer, on constate dans certains secteurs une nette déprise foncière et agricole, et dans d'autres, en revanche, l'installation d'une forte pression foncière.

En tout état de cause, j'espère que nous nous accordons tous sur ce constat : nos territoires ruraux ont un besoin impérieux et urgent que les pouvoirs publics se tournent vers eux. Je rencontre fréquemment les maires ruraux de mon département : ils tiennent tous le même discours, quelles que soient leurs opinions politiques ; ils sont inquiets de voir que les exploitations agricoles disparaissent les unes après les autres, les enfants ne souhaitant pas reprendre une activité qui ne permet plus de faire vivre une famille, que les domaines et les terres sont rachetés par des ressortissants européens attirés par la beauté de nos paysages, mais bien souvent peu soucieux des enjeux et des intérêts locaux, que leurs bureaux de poste, perceptions, subdivisions de l'équipement, écoles, hôpitaux ferment les uns après les autres pour des raisons de rentabilité, mais sans prise en compte des conséquences humaines, sociales et économiques engendrées, une simple décision administrative réduisant ainsi à néant les efforts déployés depuis des années par des élus pour assurer le développement de leur commune. Ces élus ne comprennent plus le discours selon lequel la ruralité doit se développer, mais avec de moins en moins de services publics.

Loin de tout dogmatisme, cette situation est une réalité dénoncée chaque jour, qui doit être déplorée mais surtout combattue, ce qui aurait dû être l'une des ambitions des promoteurs de ce projet de loi.

Au regard de cet enjeu, ce texte apparaît bien dérisoire, notamment parce que, pendant que nous débattons, de nombreux services publics continuent d'être supprimés, l'avis des élus locaux étant ignoré... A cet égard, les mouvements revendicatifs de cette semaine sont révélateurs du malaise ambiant.

Ce texte apparaît également dérisoire parce qu'il survole de nombreux domaines, la ruralité exigeant une approche transversale. Cependant, chacun des domaines effleurés mériterait qu'un texte spécifique lui soit consacré, qu'il s'agisse de l'agriculture - ce sera prochainement le cas -, de la chasse, de la montagne, des services publics... Nous y aurions, à n'en pas douter, gagné en clarté et en lisibilité, ce qui aurait permis d'adresser un vrai signal en faveur des territoires ruraux, et non un message flou, voire incohérent.

Ce texte apparaît tellement comme un agglomérat de suggestions sectorielles que les comptes rendus de presse n'évoquent, à titre d'exemple, que des problèmes de publicité sur les vins ou de vente des antiparasitaires pour animaux de compagnie. Ces sujets méritent évidemment d'être traités, mais ils occultent le véritable débat sur l'avenir des territoires ruraux.

Une loi sur la ruralité aurait dû assurer, au nom de l'égalité des citoyens en tous les points du territoire, un avenir à des millions de personnes qui ont fait le choix de vivre hors des villes, cette orientation ne devant pas leur être préjudiciable.

Il est indéniable que ce texte manque de vision politique sur l'avenir des territoires ruraux pour le xxie siècle.

Bien évidemment, il comporte quelques avancées, comme par exemple sur les groupements d'employeurs ou les exonérations de taxe professionnelle ; mais il ne propose aucun projet global pour nos territoires ruraux, qui dépérissent.

En outre, et ce n'est pas le seul paradoxe, alors que d'un côté ces territoires voient la plupart des services publics disparaître, il est constaté officiellement que, depuis 1990 et pour la première fois depuis un siècle, la population s'accroît dans la majorité des communes rurales, dans les petites communes des couronnes périurbaines comme dans les autres catégories d'espaces ruraux.

Ces nouveaux résidents ruraux ont besoin de développement économique, de services publics, de logements, de transports, de désenclavement par la route, le rail ou les nouvelles technologies.

Ce texte aurait dû être l'occasion d'accompagner et d'amplifier ce mouvement, qui est sans doute une chance et peut conduire à un aménagement du territoire plus cohérent, ce qui devrait demeurer, ne l'oublions jamais, un objectif prioritaire pour les territoires ruraux.

Comment persuader une personne de s'installer dans une région et, dans le même temps, lui dire que tout service d'urgence médicale se situe à plus d'une heure de son domicile ?

Le maintien d'un maillage de services publics de qualité est un élément déterminant d'une ruralité vivante et le gage d'une équité territoriale dont l'Etat est le garant. Si les collectivités locales sont prêtes à se mobiliser, comme elles l'ont déjà démontré depuis longtemps, elles ne souhaitent pas se substituer à l'Etat. Confier la gestion des services publics aux communes, c'est rompre l'égalité en faisant payer deux fois les bénéficiaires, la confier à des personnes privées, c'est inéluctablement, à court ou à moyen terme, transformer ce service en bien marchand.

Un soutien à ces territoires ruraux s'avère d'autant plus crucial qu'une étude récente a démontré que la majorité de ces nouveaux résidents avaient la particularité d'être soit pauvres, soit inactifs.

Qui oserait prétendre que ce projet de loi répond à ce nouvel enjeu de société ? S'il manque d'ambition et de volonté politique, il manque aussi cruellement de moyens, les deux aspects étant bien évidemment liés.

Ces territoires ruraux, s'ils ont des avantages, possèdent également de lourds handicaps qu'ils ne peuvent surmonter sans la solidarité nationale et une indispensable péréquation des richesses.

Or ce texte ne prévoit pas d'engagements financiers, mis à part quelques exonérations fiscales peu conséquentes. Face à des territoires ruraux aux faibles ressources, l'Etat se présente les poches vides.

En réalité, ce texte organise la solidarité entre les pauvres. Vous allez demander aux territoires les moins favorisés de se payer ce que d'autres, plus aisés, ont gratuitement, et ce au mépris d'un aménagement cohérent du territoire et de l'égalité républicaine entre ces territoires.

Légiférer n'a de sens que si une volonté politique et des moyens sont consacrés à un projet. Or, ici, rien de tout cela n'existe.

En outre, ce texte, qui alourdit un peu plus le fardeau des collectivités territoriales, vient renforcer et conforter l'incertitude des élus locaux liée aux récents transferts de compétences insuffisamment compensés.

Dans cet hémicycle, mes collègues et moi-même avons dénoncé le fait que l'orientation prise lors de cette nouvelle phase de décentralisation conduise inéluctablement à une rupture d'égalité des citoyens pour l'accès au service public, à une augmentation importante de la fiscalité locale et à une perte d'autonomie financière des collectivités locales. Sans revenir sur l'accueil réservé au Premier ministre lors du dernier congrès des maires de France, les enquêtes menées auprès des élus locaux démontrent invariablement que cette orientation est rejetée de façon massive.

Dans un tel contexte, comment les départements et les régions vont-ils pouvoir continuer à soutenir le tissu local, au moment même où les communes doivent faire face à la baisse des aides de l'Etat ?

Je pense sincèrement que chaque sénateur, avant de se prononcer sur ce projet de loi, devrait rencontrer les maires ruraux de son département pour comprendre le décalage entre la réalité vécue par ces élus locaux désespérés et les réponses apportées. Ils comprendraient alors certainement que le développement des territoires ruraux ne sera pas assuré par ce texte, qui ne peut que masquer les insuffisances de l'ensemble de la politique du Gouvernement en faveur des territoires ruraux.

Compte tenu des enjeux, les membres du groupe socialiste étaient prêts à participer à l'élaboration d'un texte fondateur de la ruralité du xxie siècle. Malheureusement, nos ambitions respectives sont trop éloignées.

Pour terminer, je voudrais revenir sur la récente étude de la DATAR relative à la France rurale en 2020, étude que je vous invite à relire, messieurs les ministres. Elle pose une question qui me semble cruciale : la France rurale aura-t-elle des ressorts propres à son développement, ou est-elle condamnée à servir d'annexe urbaine pour apporter aux villes ce qui leur fait défaut, c'est-à-dire des espaces résidentiels, des lieux d'implantation industrielle, des sites environnementaux ou de stockage des déchets urbains ?

Ce second scénario, fondé sur la dépendance, n'est évidemment pas acceptable, car il cumule tous les inconvénients, qu'ils soient sociologiques, économiques ou écologiques.

Parmi les propositions présentées par les auteurs de cette étude, j'en ai retenu plusieurs qui me semblent essentielles et qui, pourtant, n'ont pas été prises en compte par ce projet de loi.

Tout d'abord, il faut donner les moyens aux territoires ruraux de se développer par eux-mêmes et non de demeurer dépendants des villes.

Ensuite, le désir de campagne manifesté par un nombre croissant de nos concitoyens peut constituer un phénomène structurant et pérenne, la réalisation d'une telle aspiration pouvant avoir un effet d'amorce sur l'ensemble de l'économie rurale, notamment en matière de services aux personnes, de commerces. C'est particulièrement vrai pour les retraités qui sont de plus en plus nombreux.

Enfin, et c'est sur ce point que je voudrais conclure, « une nouvelle politique de développement durable suppose une forte volonté reposant en partie sur le soutien fort de l'Etat pour les espaces ruraux les plus défavorisés en termes d'habitat, d'accessibilité, de développement économique et de services aux populations, la solidarité étant incontournable dans ce domaine ».

Il est indéniable que ce texte ne répond pas à cette attente ; notre groupe, même s'il défendra des amendements visant à améliorer les problèmes techniques abordés, regrette que cette loi soit une nouvelle occasion manquée.

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