La France est un pays avant tout rural. L'espace rural, nous le savons, occupe plus des deux tiers du territoire national. L'identité des Français s'est constituée autour de ce lien très fort, dans la mesure où les lieux tant d'habitation et de travail que de socialisation se confondaient avec le territoire de vie jusque dans les années 1950, époque où l'agriculture occupait encore 50 % des actifs en zone rurale. Par ailleurs, la structure de notre démocratie est organisée autour des communes rurales, qui représentent aujourd'hui 83 % des communes françaises. On peut donc affirmer que c'est le lieu de l'identité de la nation.
La paysannerie est fondatrice de l'identité nationale puisqu'elle a rassemblé pendant des siècles le plus grand nombre, qu'elle nourrit les hommes, qu'elle tisse des liens étroits et qu'elle est attachée à son territoire.
Le développement des territoires ruraux doit être pris en compte plus qu'il ne l'est actuellement et doit s'appuyer sur un soutien permettant la parité entre les territoires.
Oui, l'égalité des chances est indispensable pour assurer l'identité nationale, dont l'Etat est garant : il convient de le rappeler avec détermination.
De fait, l'administration des territoires ruraux exige de l'ensemble des élus la prise en compte, essentielle, de l'espace à gérer. Ainsi, les habitants de certaines communes sont si peu nombreux qu'ils pourraient facilement être regroupés dans une copropriété qui ne nécessiterait que des équipements collectifs élémentaires : parking, eau, assainissement, électricité et téléphone. Mais - vous le savez bien, messieurs les secrétaires d'Etat, vous qui parcourez notre pays - la réalité de la France rurale est tout autre : nombreuses sont les communes dont le territoire est très important et compte bien souvent des dizaines de kilomètres de chemins ruraux, de voiries communales, de réseaux à entretenir, sans parler des investissements à réaliser pour répondre à tous les contextes de vie, fort différents les uns des autres.
A ce titre, on doit à la vérité de le souligner, il nous faut saluer l'initiative du Gouvernement, qui, dans la loi de finances pour 2005, a pris en considération ce que l'on appelle l'« espace à gérer » puisque la dotation globale de fonctionnement comportera un financement spécifique qui tiendra compte de la surface ; c'est bien ! Je sais que la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons ne nous permet pas les « il n'y a qu'à » et les « il faut que ». Mais reconnaissons que cette initiative est insuffisante.
Le tiers de nos 36 000 communes, 11 688 d'entre elles très exactement, sont classées en zone de revitalisation rurale et concernent 4 442 962 habitants, pour une surface de 212 339 kilomètres carrés. Pour toutes ces raisons, les zones de revitalisation rurale doivent être soutenues et leur développement accompagné.
Dans cette perspective, messieurs les secrétaires d'Etat, je soutiendrai deux amendements visant à permettre aux communautés de communes de devenir une référence, au même titre que les cantons, et de contribuer ainsi à la survie d'un arrière-pays pauvre et délaissé en lui apportant une richesse extérieure qu'il ne peut espérer trouver seul en raison de sa situation géographique.
Aujourd'hui, ce sont près de 2 400 communautés de communes qui maillent le territoire national.
Oui, nous devons nous mobiliser pour notre monde rural, car demain, si les aides européennes subissent un ralentissement important, nos territoires auront besoin d'un véritable accompagnement pour continuer de vivre et de survivre.
N'oublions pas non plus, avant qu'ils ne ferment les uns après les autres, que, dans l'immense majorité des cas, les commerces de proximité sortent des frontières de leur simple fonction et remplissent bien souvent des missions de service public essentielles. Leur présence doit donc être reconnue et soutenue. C'est la raison pour laquelle le FISAC, le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, doit être renforcé.
Faut-il, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, rappeler les conditions de vie que connaissent parfois ceux qui habitent et travaillent dans ces territoires ? Pourtant, leur exigence est toujours mesurée et réaliste. Nous devons l'apprécier, et ne pas l'oublier.
Nous le savons tous, la France rurale s'appauvrit de jour en jour. A chaque coucher de soleil, des dizaines, voire des centaines d'exploitations agricoles s'éteignent. Certes, même dans les zones de revitalisation rurale, on trouve peu de terres sans hommes en France. Mais déjà, dans certains cantons situés dans ces zones, on ressent les prémices d'un exode rural important. Dans certains cas, les agriculteurs redoutent déjà plus l'absence de voisins que le manque de surfaces : ils ne veulent pas de ce que l'on pourrait appeler des « oasis rurales ».
Donnons donc à notre pays et à l'ensemble de ses territoires les moyens de survivre, et de vivre comme ils le méritent. Personne ne demande de privilège, il s'agit simplement de parité.
Oui, dans ce que l'on appelle les « territoires ruraux difficiles », le nombre d'agriculteurs, je le rappelais à l'instant, diminue tous les jours et les habitants se sentent peu à peu oubliés. Le travail artisanal ou industriel se délocalise lentement, régulièrement et sûrement, entraîné par un courant irréversible. Nous devons donc tout faire pour qu'il en soit autrement et pour soutenir courageusement la présence des hommes.
La France rurale ne peut pas se contenter d'être passivement spectatrice de son déclin. Au contraire, elle veut être actrice de son renouveau. Elle attend pour cela d'être comprise.
Reconnaissons également ensemble que, depuis des années, aucun des gouvernements successifs n'a été assez courageux et déterminé pour contrer cette érosion.
Défendre le monde rural, c'est un état d'esprit. Pourtant, c'est bien souvent un monde silencieux : il ne s'exprime pas dans la rue, il n'a pas de syndicat spécifique. C'est la France de la terre, celle qui a gardé de nombreuses richesses humaines et professionnelles, qui a souhaité les transmettre aux générations futures.
J'ai pleinement conscience qu'aménagement du territoire ne signifie pas, et c'est important, industrialisation uniforme. Mais tous les Français ont droit à l'égalité face aux services publics et à la nécessaire solidarité nationale. Nous devons y penser.
Nous savons que les décideurs implantent leurs activités artisanales ou industrielles là où ils le souhaitent, et non pas nécessairement là où ils sont attendus.
Afin de démontrer au monde rural, qui nous regarde, que notre volonté se concrétisera par des actes, ne faut-il pas inciter nos artisans, nos commerçants, à s'installer dans une commune rurale, y compris en zone de revitalisation rurale, grâce à l'attribution d'une dotation spécifique offerte à la création et à la reprise d'activité ? Cette démarche doit également être imaginée à l'égard de tous ceux qui reprennent une activité, quelle qu'elle soit, et qui n'ont pas peur de payer de leur personne ni d'investir une part de leurs finances dans un projet.
Réfléchir au maintien d'un commerce dans certaines communes rurales, c'est aussi, pourquoi pas, imaginer la création d'une aide de soutien, d'une participation dynamique de nature à établir un contrat qui permettrait la préservation des services en milieu rural.
N'oublions pas non plus que la compensation du handicap allouée par l'Europe ou par la France n'est pas un privilège : il s'agit simplement d'assurer une parité afin d'atténuer les handicaps dus à la topographie, au relief, au climat, à l'habitat dispersé, au surcoût des transports.
Demain, la diminution des aides européennes risque de frapper en tout premier lieu les territoires les plus fragiles. Imaginons dès aujourd'hui les chemins pour les conforter et non pour les abandonner.
Ne laissons pas ce recul de vie sans réponse, mais permettons à tout homme et à toute femme présents au coeur de ces territoires de bénéficier d'un environnement auquel ils peuvent prétendre.
Messieurs les secrétaires d'Etat, je vous remercie d'avoir écouté le message d'un habitant parmi d'autres de ces territoires ruraux, le message mais aussi l'appel d'un élu souvent désarmé devant de telles situations ou de telles perspectives.
Non, la ruralité n'est pas simplement une identité, c'est aussi une réalité pleine de vitalité si nous la comprenons et si nous l'aidons.
Pour conclure objectivement, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, je dirai qu'au sein du monde rural il y a moins d'habitants, donc moins de revendications, que le potentiel électoral y est - parlons un langage de vérité - en régression, mais je suis convaincu que la France ne peut être la France sans ses territoires ruraux.
Nous savons tous que le contexte est difficile, qu'il n'y a pas de solution miracle, mais lorsqu'il y a une volonté il y a un chemin.