Intervention de Jacques Blanc

Réunion du 18 janvier 2005 à 21h30
Développement des territoires ruraux — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Jacques BlancJacques Blanc :

Messieurs les secrétaires d'Etat, cette deuxième lecture va nous permettre d'améliorer encore le projet de loi, et pourtant beaucoup a déjà été fait.

Je tiens à féliciter ici notre rapporteur, M. Jean-Paul Emorine, et à remercier le Gouvernement car il a accepté un certain nombre d'amendements qui donnent à ce texte une dimension importante. Il s'agit d'un changement : émerge enfin une volonté politique de tenir compte des problèmes spécifiques de la montagne.

En tant que président du groupe d'études sénatorial sur la montagne, j'ai eu l'honneur de conduire une mission, en liaison avec l'association nationale des élus de montagne, l'ANEM, présidée par M. Pierre Jarlier, et nous avons déposé une proposition de loi que M. le président du Sénat a lui-même signée en tant qu'élu des Vosges.

Nous nous étions fixé un certain nombre d'objectifs : il nous est apparu que la meilleure stratégie était non pas d'attendre que l'on discute d'un projet de loi consacré exclusivement à la montagne, mais d'introduire dans les textes concernant la décentralisation, dans la loi de finances et dans ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, des éléments permettant de créer une étape nouvelle dans cette politique de la montagne.

Mes collègues du groupe d'études sur la montagne - nous sommes plus de quarante - se félicitent avec moi des avancées qui ont été réalisées et espèrent pouvoir aller encore plus loin aujourd'hui.

Les huit titres qui composent le présent texte traitent notamment de la solidarité des territoires ruraux - laquelle doit également jouer en zone de montagne -, de la gestion foncière et de l'accès aux services.

A cet égard, j'évoquerai tout particulièrement le problème des équipements sanitaires et de l'installation des médecins ou des personnels de santé.

Quelle folie de constater qu'un Etat complètement centralisé a été incapable de former les personnels nécessaires, notamment les médecins et les infirmières ! Si la situation des zones de montagne est encore plus difficile dans ce domaine, des mesures très fortes ont cependant tout de même pu être votées.

Ce projet de loi traite également des espaces naturels, avec d'importantes mesures concernant la chasse et la gestion des forêts, et, enfin, de la politique de la montagne.

Une telle démarche s'intègre dans la politique de la décentralisation, avec l'objectif de parvenir à un aménagement équilibré et harmonieux de notre territoire. En effet, mes chers collègues, pour les montagnards comme pour l'ensemble de notre société, l'enjeu est le même : il s'agit de trouver un nouvel équilibre, de lutter contre l'hyperconcentration urbaine et contre la désertification de nos montagnes. Messieurs les secrétaires d'Etat, je sais que vous partagez cet objectif.

Notre pays est fou ! On le laisse s'« hyperconcentrer » d'un côté et se vider de l'autre ! On touche ainsi à un mode de vie, à un choix de civilisation.

Par conséquent, après des années d'abandon d'une politique d'aménagement du territoire et d'une politique de la montagne, je me réjouis qu'une volonté de changement apparaisse enfin.

Cette volonté est exprimée non seulement par le Gouvernement et par la majorité, mais aussi par d'autres élus qui n'avaient pas trouvé d'écho auprès des gouvernements que nous avons subis...

Cette exigence, l'élu de la Lozère que je suis la mesure peut-être davantage : l'ensemble de ce département est situé en zone de montagne, il est le plus pauvre et le moins peuplé de France. Vous comprendrez combien je tenais, pour ma part, à transmettre un tel message, porteur d'un modèle de société et d'une exigence d'équilibre.

Je pense réellement que, si notre société ne parvient pas à redonner des chances de vie à ces espaces ruraux fragiles, notamment en zone de montagne, nous ne pourrons pas répondre aux besoins.

Tout le monde parle de développement durable, mais nous voulons, pour notre part, le mettre en oeuvre. Or cela passe par une exigence d'aménagement équilibré et harmonieux du territoire.

Le texte qui nous est soumis a été très largement amélioré, grâce aux échanges qui ont eu lieu entre le Gouvernement et le Parlement. J'en profite pour rendre hommage, messieurs les secrétaires d'Etat, au travail de vos prédécesseurs, MM. Gaymard et Delevoye.

Toutefois, ce texte est encore perfectible, et je souhaite que nous puissions l'améliorer au cours de cette deuxième lecture. Perfectionnement et enrichissement : tels sont d'ailleurs les principes qui ont motivé les travaux du groupe d'études sur la montagne.

Pour ce qui nous concerne, tel est l'état d'esprit dans lequel nous abordons cette deuxième lecture : nous espérons que les échanges entre le Gouvernement et le Parlement se poursuivront, afin de déboucher sur un texte encore meilleur.

S'agissant du titre Ier, nous souhaitons un renforcement des zones de revitalisation rurale. Si nous parvenons à donner un corps, un esprit, une réalité à ces zones, ce texte constituera un acquis dans ce domaine. Certes, quelques problèmes de définition de zones et de reconnaissance de frontières subsistent, mais cela arrive à chaque fois qu'un zonage est mis en place.

Au demeurant, nous aurons ancré très profondément la réalité des zones de revitalisation rurale, qui pourraient - je ne crains pas de le dire - être quasiment assimilées à des zones franches. Messieurs les secrétaires d'Etat, vous pourrez donc faire accepter l'idée de ces zones à Bruxelles, dans le cadre des nouvelles politiques régionales ou des politiques d'aide au développement économique.

Pour ma part, je souhaite que le dispositif adopté sur ce point par l'Assemblée nationale puisse être amélioré, en étendant aux professions libérales les mesures fiscales envisagées pour les entreprises commerciales ou artisanales en cas de reprise.

Si les créations d'entreprises sont des éléments positifs, les reprises s'avèrent indispensables. En effet, combien d'activités disparaissent parce qu'elles ne sont pas reprises ?

Il faut donc nous mobiliser, et étendre la mesure très forte votée par l'Assemblée nationale aux professions libérales, qui sont indispensables à la vie des zones de revitalisation rurale.

S'agissant de ces mêmes zones, nous proposerons de reconsidérer la situation des bourgs-centres qui sont exclus du dispositif en raison de l'importance de leur population. Nous proposerons de proroger le classement communal actuel de ces zones jusqu'à la fin de 2007, voire, si c'est possible, monsieur le secrétaire d'Etat, jusqu'à la fin de 2008, pour tenir compte des prochaines élections municipales. En effet, même si nous sommes d'accord sur l'exigence d'intercommunalité, vous savez comme moi combien il est parfois difficile de réaliser des communautés de communes. Il faut donc nous laisser un peu de temps pour avancer dans ce domaine de l'intercommunalité.

De même, il nous paraîtrait équitable que les entreprises dont le siège social est situé en zone de revitalisation rurale et qui y réalisent 75 % de leur activité puissent bénéficier de l'exonération d'impôt sur les sociétés ou sur le revenu.

Nous proposerons également la mise en place d'un système de compensation de pertes de recettes en faveur de territoires qui consentent de gros efforts auprès des entreprises locales pour maintenir un tissu économique dynamique.

S'agissant du titre II, nous avons déposé un amendement qui vise à permettre aux communes ayant élaboré sur leur territoire un plan de prévention des risques naturels de bénéficier d'un droit de préemption sur les parcelles de forêt qui seraient cédées dans le périmètre de ce plan.

Nous avons également souhaité que les travaux de transformation d'anciens bâtiments agricoles en logements bénéficient d'une TVA minorée, dans la mesure où il existe un potentiel intéressant de patrimoine bâti agricole.

Nous proposerons en outre l'extension, en zone de montagne, de la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles à des actions d'études que les collectivités n'ont pas les moyens de conduire, car ces actions requièrent des connaissances très fines des milieux naturels.

S'agissant du titre V, les amendements que nous présenterons concernent des dispositions plus spécifiques sur la montagne, dont notre collègue Jean-Paul Amoudry est un grand spécialiste. Certains portent sur les remontées mécaniques, sur les conséquences des pertes de valeur patrimoniale de terrains situés en zones de montagne et privés du droit à construire. D'autres portent sur la procédure relative aux unités touristiques nouvelles, ou procédure UTN, qui a été très largement développée dans le rapport de la mission d'information, et sur l'aménagement de la définition du seuil de déclenchement de cette procédure. Si cette dernière ne doit pas être galvaudée, elle ne doit pas pour autant bloquer un certain nombre de projets qui ne nécessitent pas sa mise en oeuvre.

Enfin, il sera proposé d'insérer un article additionnel après l'article 65, afin de mieux prendre en compte la répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales à partir des caractéristiques des territoires ruraux, qui, plus particulièrement dans les zones de montagne, sont confrontés à la faible densité de leur population, alors que de nouvelles obligations de nature environnementale comme la protection contre les risques ou l'amélioration de la qualité des réseaux et des espaces hydrographiques pèsent sur elles. Il existe en effet une disproportion entre le nombre d'habitants et les charges supportées.

Nous souhaitons également donner une nouvelle dimension aux opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir, les ORIL, en complétant le dispositif voté par l'Assemblée nationale pour stimuler la création d'hébergements dans ces zones, à plus forte raison quand elles se situent dans le cadre organisé et résidentiel des ORIL.

Je voudrais aussi appeler l'attention du Gouvernement sur un problème particulièrement difficile et délicat, qu'il faut traiter, là encore, avec équilibre et intelligence : il s'agit des dégâts causés par les gibiers et des rapports existants entre les associations de chasse, les agriculteurs et les pouvoirs publics.

A cet égard, nous sommes sortis de la difficile situation créée par l'adoption de la loi Voynet, qui avait abouti à une culpabilisation des chasseurs et à leur pénalisation. Au demeurant, les chasseurs épousent notre objectif de protéger l'environnement. Nous allons rassembler toutes les volontés et toutes les énergies dans le cadre de ce développement durable, qui est la clé de la réussite pour les territoires ruraux.

Par ailleurs, il est heureux que nous ayons pu dépasser un certain nombre d'oppositions entre les uns et les autres. Je souhaite qu'un message fort puisse être porté lors de cette deuxième lecture et consacré par le texte définitif : il faut retrouver la foi en l'avenir des pays ruraux, des zones de montagne notamment, et la conviction que ces pays répondent aujourd'hui aux attentes, parfois angoissées, des populations.

Pour s'en convaincre, il suffit de constater la volonté qui perdure en Lozère, alors que ce département a perdu une part ô combien importante de sa population. Je vous invite donc, messieurs les secrétaires d'Etat, à vous y rendre, car c'est non seulement un beau département, mais aussi un laboratoire expérimental en matière d'aménagement du territoire.

Cela étant, une fois ce texte voté, il sera essentiel que les décrets d'application soient pris très rapidement. De surcroît, au niveau tant de la délégation du Sénat pour l'Union européenne que du Comité des régions de l'Union européenne, que j'ai eu l'honneur de présider et dont je suis toujours membre, il faut mobiliser les responsables pour que la place de la montagne soit reconnue dans les politiques européennes.

Il est important de mettre en oeuvre une véritable politique régionale qui vienne compenser le handicap permanent qu'entraîne la situation spécifique de la montagne. De ce handicap, nous ferons ainsi un atout nouveau pour ceux qui font vivre la montagne, notamment les agriculteurs, les commerçants, les artisans, les salariés et les services publics, ô combien préoccupants chez nous.

En agissant ainsi, nous ferons aussi de la montagne et de la politique d'aménagement du territoire une chance nouvelle pour la France, qui peut devenir un modèle d'aménagement équilibré et harmonieux du territoire pour l'ensemble de l'Europe.

Tel est notre objectif et tel est le message que nous souhaitions porter lors de cette deuxième lecture.

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