Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 18 janvier 2005 à 21h30
Développement des territoires ruraux — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Je suis un peu étonné, d'ailleurs, que l'on n'ait pas plus parlé de ce sujet, probablement trop peu médiatique. Il s'agit pourtant d'une question vitale pour une bonne partie du monde rural, la plus peuplée, celle où la poussée démographique se fait le plus sentir et qui vit une véritable mutation.

Ce texte apporte une réponse qui a sa logique. Reste à savoir si cette réponse est à la hauteur des enjeux et, si ce n'est pas le cas, à apporter des éléments de solution.

Il s'agit effectivement d'un problème essentiel : les communes rurales périurbaines couvrent 30 % du territoire national. Elles représentent 30 % aussi de la « surface agricole utile » et 35 % des exploitations, leur taille étant au demeurant comparable à la moyenne nationale. Cependant, compte tenu de la pression foncière, la surface agricole utile y diminue quatre fois plus vite que dans le reste du territoire. Certaines régions, certains départements sont si affectés que l'équilibre précaire entre les usages urbains et agricoles du sol - qui donne à ces territoires leur caractère encore rural - est proche de la rupture, quand celle-ci n'est pas déjà consommée.

L'exemple de mon département, le Var, est particulièrement significatif. En constante diminution depuis les années cinquante, l'agriculture varoise n'occupe plus que 12, 5 % du territoire départemental. C'est un seuil de rupture. Si le mouvement se poursuivait, cela signifierait un changement qualitatif pour le Var. La perte ne serait pas seulement économique :c'est l'espace lui-même, les paysages, qui ne seraient plus entretenus, avec l'impact que l'on imagine sur l'activité touristique et les risques que chacun connaît en matière d'incendies de forêt.

Consciente du danger, la chambre d'agriculture du Var, en partenariat avec les autres chambres consulaires, les associations d'élus, le conseil général, les services de l'Etat, vient d'élaborer une charte de protection et de gestion des territoires départementaux à vocation agricole. Celle-ci est sans valeur réglementaire et repose sur l'engagement volontaire des collectivités territoriales, mais elle constitue un signe fort de la prise en compte de ces préoccupations.

Le projet de loi a été notablement amélioré au cours de la discussion parlementaire sur des points essentiels, je le reconnais. Le dispositif proposé a sa cohérence. Je crains cependant qu'il ne soit pas à la hauteur des enjeux.

En un mot comme en cent, on n'arrêtera pas la marée de l'urbanisation, encore moins celle de la spéculation foncière, avec un filet réglementaire et sans en confier directement la mission aux principaux intéressés, à savoir les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale.

Le texte se veut une réponse à la disparition accélérée, en secteur périurbain, à la fois des espaces naturels et du foncier agricole. Or il s'agit de deux problèmes très différents.

Pour les espaces naturels, des mesures réglementaires de protection et des programmes d'actions relativement légers suffisent.

Il en va tout différemment du foncier agricole. L'objectif est non seulement d'empêcher l'urbanisation, mais aussi d'assurer la pérennité d'une activité économique dont les contraintes sont très particulières. Si des mesures réglementaires peuvent interdire la construction dans les zones agricoles, celles-ci ne sont « agricoles », à la différence des espaces naturels, qu'autant qu'il y a des agriculteurs pour les exploiter.

Or, même dans des terroirs particulièrement riches - je pense, par exemple, à celui des vins de Bandol -, dès lors qu'il s'agit d'un secteur hautement touristique, la culture la plus rentable demeure celle de la maison et du lotissement ! Le risque majeur est donc qu'à la cessation d'activité de l'exploitant, s'il n'y a pas de continuité familiale, les terrains n'aillent à la friche en attendant des jours meilleurs. Les écarts de prix du mètre carré en terre agricole et en terrain constructible sont tels qu'un propriétaire non exploitant y a intérêt. Ma foi, on le comprend !

Sans implication forte des collectivités locales directement concernées, les communes et leurs EPCI, on ne préservera pas l'activité agricole, on multipliera les friches jusqu'au jour où, face à la pénurie foncière, ne serait-ce que pour de bonnes raisons, à des fins publiques - logements, équipements collectifs, zones d'activités, etc. -, on débaptisera ces terrains inutiles, voire occupés sans titre.

Si ce n'est juridiquement pas possible, les friches resteront ou seront aménagées en parcs de loisir, mais l'activité agricole ne reviendra pas.

S'il s'agit de protéger, l'acteur principal du dispositif peut être le département ; il le fait déjà pour les espaces naturels sensibles. S'il s'agit de réguler la transmission des terres agricoles entre des exploitants qui entendent le rester, les SAFER sont là. S'il s'agit d'installer de nouveaux agriculteurs sur des terres sans repreneur classique pour qu'elles demeurent agricoles, il en va tout autrement.

Confier cette mission de sauvegarde de l'outil agricole en zone périurbaine aux communes et à leurs EPCI plutôt qu'aux départements ne serait pas seulement cohérent sur le plan juridique : c'est la condition de l'efficacité.

L'urbanisme est de la compétence des communes et de leurs EPCI : voilà pour la cohérence juridique. II serait logique et, une fois de plus, efficace, d'une part de confier la délimitation des périmètres d'intervention prévus par le présent projet de loi en priorité aux EPCI et aux syndicats mixtes chargés de l'élaboration et de la mise en oeuvre des SCOT et, en leur absence, aux départements - dans ce cas, une délimitation à la parcelle serait nécessaire - et, d'autre part, de donner aux communes et à leurs EPCI la capacité d'initiative et d'intervention en matière d'acquisitions, dont dépend le dynamisme du dispositif.

Je n'ignore pas que cette question a déjà été débattue et l'option écartée par le Gouvernement.

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