L’article 27, qui constitue l’un des « plats de résistance » de ce projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique – car tel est bien l’intitulé qu’il aurait dû recevoir –, modifiera substantiellement les conditions dans lesquelles pourront, dans notre pays, s’installer les grandes surfaces.
Paradoxalement, on tente, à travers l’article 26 bis, d’apporter une réponse aux inquiétudes suscitées par l’article 27. En d’autres termes, nous sommes amenés à évoquer d’abord la solution à un problème que risque de poser l’article 27. Celui-ci procédant à une déréglementation, on essaie, avec l’article 26 bis, de rassurer les élus qui, sur l’ensemble du territoire, ont exprimé leurs craintes, en leur mettant entre les mains un nouvel outil de régulation : un nouveau droit de préemption en matière commerciale.
Quand on a le souci de légiférer juste, de légiférer vrai, il faut légiférer en créant des outils opérationnels. Or j’ai le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que ce nouveau droit de préemption en matière commerciale sera inopérant. En tout cas, il appelle de nombreuses interrogations de ma part.
L’expérience montre que, en matière de droit de préemption urbain, ou DPU, il faut en moyenne dix-huit mois pour que les textes d’application soient publiés.
De plus, le DPU s’appuie toujours sur un zonage défini dans un document d’urbanisme, et la jurisprudence est constante sur ce sujet : un maire ne peut pas mettre en place de DPU sur la totalité du territoire communal ; il ne peut le faire que pour des zones préalablement définies et en indiquant quel projet le justifie.
À supposer que nous adoptions le dispositif qui nous est soumis, pour qu’il soit opérant, il faudra donc que, après la parution du texte réglementaire correspondant, chacune des communes concernées modifie son plan local d’urbanisme, ou PLU, puis, par une délibération du conseil municipal, institue ce nouveau DPU, qui est un DPU spécifique. Or il faut savoir qu’à l’heure actuelle toutes les communes n’ont pas encore mis en place le DPU classique !
Supposons néanmoins que ce DPU soit institué. Il faudra ensuite, et ce ne sera pas la moindre des difficultés, que les maires trouvent l’argent pour être en mesure de préempter effectivement des terrains qui seraient visés par des implantations commerciales d’une surface comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés. Je vous laisse imaginer la situation ! Si, après une première préemption par la commune, l’investisseur commercial, très motivé, jette son dévolu sur un autre terrain, qu’adviendra-t-il ? La commune devra-t-elle préempter un deuxième terrain, puis, pourquoi pas, un troisième, voire un quatrième ? Avec quels fonds le fera-t-elle ?
Et si d’aventure la commune voisine n’a pas institué de DPU en matière commerciale, l’investisseur se tournera vers elle ! Réapparaîtra alors, et c’est assez paradoxal, une concurrence entre les communes qui auront mis en place le droit de préemption en matière commerciale et celles qui ne l’auront pas fait.
Par ailleurs, l’une des faiblesses du DPU proposé – et elle est de taille – est liée au fait qu’il impose au maire qui a préempté d’installer une surface commerciale sur le terrain concerné dans les douze mois qui suivent l’exercice de son droit. Mais au profit de qui ? Quel sera le nouvel investisseur commercial ? Or, si le maire ne satisfait pas à cette obligation, l’acheteur évincé redevient prioritaire : au bout d’un an, le maire pourra donc se retrouver face au même investisseur !
Enfin, dernière interrogation, pourquoi créer un droit de préemption spécifique en matière commerciale au lieu de rattacher cette nouvelle compétence au droit de préemption existant ? Cette dernière solution permettrait aux maires qui n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour préempter eux-mêmes de déléguer l’exercice de ce droit à l’intercommunalité. Or, en l’état actuel du texte, une telle délégation n’est pas possible.
J’ai un peu le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que ce DPU a été créé « à la va-vite » pour répondre aux inquiétudes que suscitait l’article 27 chez les élus, et je regrette que nous soyons obligés d’examiner l’article 26 bis avant l’article 27, dans l’insécurité totale pour les élus.