Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, les enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français, en cas de séparation ou de divorce, vivent une situation particulièrement pénible. C’est en vérité de leur père qu’ils sont le plus souvent privés, et cela est pour eux une source de difficultés psychologiques, voire de déséquilibre. C’est d’ailleurs essentiellement cet aspect qui doit retenir notre attention dans cette discussion.
Par le biais de notre proposition de résolution, nous demandons la ratification par le Japon de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Nous souhaitons en outre que le Japon puisse faire évoluer son code civil sur le droit de la famille de manière à permettre la continuité et l’effectivité des liens familiaux. Enfin, nous suggérons que le comité de consultation franco-japonais sur l’enfant soit élargi de façon permanente au ministère japonais de la justice, voire éventuellement à d’autres ministères, d’une part, et qu’il puisse servir de structure de médiation pour les problèmes familiaux, d’autre part.
Ce débat est difficile, car il touche à des valeurs profondément ancrées dans la société : la place de l’enfant, les rôles respectifs de l’homme et de la femme dans le couple, le rapport entre les deux parents au sein de la famille, la relation entre les enfants et les parents.
Au Japon, le concept de liê établit clairement que le cœur de la famille est constitué de la mère, de l’enfant et de la maison ; le père se trouve en quelque sorte à l’écart. En Occident, notre conception est tout autre. Nous sommes donc en présence de deux traditions et de deux structures familiales qui s’opposent. Mais nous vivons dans un monde qui se transforme à la faveur des échanges entre les peuples, y compris des échanges matrimoniaux. C’est pourquoi il nous faut aborder cette question avec respect, en ayant le souci d’écouter aussi des arguments qui nous sont a priori étrangers.
On dénombre environ 10 000 naissances d’enfants binationaux par an au Japon. Par chance, toutes n’entrent pas dans la catégorie que nous examinons. Les parents français ne sont évidemment pas les seuls concernés : de nombreux pères américains, canadiens, allemands se trouvent confrontés au problème douloureux que j’ai décrit.
Avant d’en venir à l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, je tiens à faire remarquer que c’est la première fois que le Parlement examine, en application de l'article 34-1 de la Constitution – il s’agit d’un droit nouveau, ouvert par la réforme de 2008 –, une proposition de résolution touchant à des affaires internationales. Je me réjouis d’ailleurs que notre collègue Louis Duvernois, lui aussi sénateur représentant les Français établis hors de France, ait suivi un chemin analogue au nôtre et ait déposé un texte identique. J’espère, bien entendu, que ces deux propositions de résolution seront adoptées.
La hausse du nombre de mariages franco-japonais est l’un des signes les plus tangibles du renforcement des liens entre le Japon et la France. En 2009 – je ne dispose malheureusement pas des chiffres de 2010 –, le consulat a transcrit 321 actes de mariage entre Français et Japonais. Il en résulte évidemment une augmentation du nombre d’enfants binationaux : 233 actes de naissance ont été enregistrés cette même année. L’autre conséquence, moins heureuse, est la hausse des séparations et des divorces.
Heureusement, tous les couples franco-japonais ne se séparent pas dans la douleur ; certains parviennent à une solution consensuelle, mais c’est moins souvent le cas lorsqu’ils ont un ou plusieurs enfants. Quoi qu'il en soit, des enfants binationaux en nombre croissant se retrouvent au centre d’un conflit entre leurs parents.
Ainsi, des enfants résidant sur le territoire français ont été enlevés par leur parent japonais et ramenés au Japon sans l’accord du parent français, qui s’était pourtant vu attribuer l’autorité parentale à la suite du divorce.
Étant donné qu’il n’existe aucune convention bilatérale entre la France et le Japon, les décisions judiciaires françaises ne sont pas systématiquement reconnues par la justice japonaise, laquelle donne généralement raison au parent japonais qui a enlevé l’enfant. En outre, le Japon ne sanctionne pas les déplacements illicites d’enfants et n’a pas encore signé la convention de La Haye de 1980. Cette dernière institue une coopération des autorités centrales pour assurer le retour des enfants illicitement déplacés du lieu de résidence habituelle.
Lorsque le couple binational réside au Japon, il arrive que le parent japonais abandonne le domicile conjugal et parte avec l’enfant sans le consentement de l’autre parent. En France, une telle pratique est sanctionnée. Au Japon, en revanche, elle n’est pas considérée comme une infraction et ne justifie donc pas le recours à des mesures d’exécution forcée pour faire revenir l’enfant au domicile familial. Le parent qui a enlevé l’enfant est même souvent maintenu dans ses prérogatives par la justice japonaise.
Dans ces conditions, des citoyens français ayant divorcé d’un ressortissant japonais se trouvent dans l’impossibilité d’exercer au Japon leurs droits parentaux. Les services consulaires français ont connaissance d’une quarantaine de cas, mais nous pensons qu’il y en a significativement plus. Les couples franco-japonais étant majoritairement constitués d’un ressortissant français et d’une ressortissante japonaise, ce sont le plus souvent des pères français qui sont concernés.
Alors que la loi française établit un partage de l’autorité parentale en cas de séparation ou de divorce, l’article 819 du code civil japonais prévoit que la garde de l’enfant ou des enfants est accordée à un seul parent. Ainsi, dans 80 % des cas, l’autorité parentale est confiée à la mère en vertu du principe socialement admis qu’elle est la personne la plus importante pour l’enfant et qu’il n’appartient pas au père de s’occuper directement de son éducation. Dans d’autres cas, c’est la préservation des intérêts de la mère qui prévaut sur la continuité des relations de l’enfant avec ses deux parents. Ainsi, même lorsqu’un tribunal japonais constate l’instabilité de la mère, il peut choisir de lui confier l’autorité parentale.
Le Japon et la France n’ont pas non plus la même conception du droit de visite.
Selon la législation française, l’exercice de ce droit ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves ; lorsque la continuité et l’effectivité des liens de l’enfant avec ce parent l’exigent, le juge aux affaires familiales a la possibilité d’organiser le droit de visite dans un espace de rencontre désigné à cet effet.
Au Japon, le droit de visite est non pas inscrit dans le code civil, mais laissé à l’appréciation du juge aux affaires familiales et au bon vouloir du parent auquel a été attribuée la garde de l’enfant. En vertu de l’article 766 du code civil japonais, l’un des deux articles qu’il conviendrait de modifier à l’issue de la procédure de ratification de la convention de La Haye par le Japon, le juge japonais peut ordonner toutes les mesures nécessaires dans l’intérêt de l’enfant.
Le parent français rencontre aussi des difficultés à expliquer au juge les raisons pour lesquelles il veut se voir reconnaître ce droit de visite. Au demeurant, il n’est pas rare que le juge japonais lui attribue un droit de visite. Toutefois, cette décision n’est pas mise en œuvre lorsque le parent japonais, invoquant la volonté de l’enfant, refuse que ce dernier voie son autre parent ; d’où des situations très douloureuses, d’autant qu’il arrive que le parent ayant la garde parle en mal à son enfant de la personne de laquelle il est séparé. Je précise aussi que, dans les affaires familiales, l’absence d’exécution des jugements n’est pas sanctionnée.
En outre, quand un droit de visite est accordé au parent français, il se résume souvent à une seule visite de quelques heures par mois, alors qu’en France les modalités les plus répandues prévoient un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.
Par conséquent, de nombreux pères français, ou d’autres nationalités, n’ont plus de contact avec leurs enfants, qui se voient ainsi privés d’une partie essentielle de leur identité. Le droit de ces enfants à avoir deux parents, deux familles, deux cultures, deux langues, est bafoué. Il en résulte des effets psychologiques graves. Certains enfants souffrent notamment du syndrome d’aliénation parentale, un désordre psychologique qui atteint l’enfant lorsque le parent présent exerce sur lui, de manière plus ou moins consciente, une sorte de pression visant à détruire l’image du parent absent.