Intervention de Louis Duvernois

Réunion du 25 janvier 2011 à 14h30
Enfants franco-japonais — Adoption de deux propositions de résolution identiques

Photo de Louis DuvernoisLouis Duvernois, auteur de la proposition de résolution n° 94 :

Madame la présidente, madame le ministre d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution soulève un problème éminemment humain. C’est donc sur ce seul terrain que j’entends me placer en la défendant aujourd'hui, car la souffrance d’un père ou d’une mère n’a rien à voir avec un quelconque clivage partisan.

La question qui se pose est celle du droit légitime de l’enfant à conserver un lien familial avec ses deux parents et à pouvoir bénéficier ainsi de la richesse inestimable d’une double culture.

Voilà plus de deux ans que les élus de la circonscription concernée à l’Assemblée des Français de l’étranger ont appelé mon attention sur cette difficile situation, particulièrement injuste pour nos compatriotes parents d’enfants franco-japonais. La situation n’a pas évolué, malgré la ténacité des associations de nos amis Richard Delrieu – SOS Parents Japan – et Jacques Colleau – SOS Papa International.

La hausse du nombre de divorces observée au cours des vingt dernières années interpelle les législateurs que nous sommes sur l’évolution de la notion de famille dans nos sociétés, ainsi que sur la place de l’enfant au sein de celle-ci. En effet, le divorce a toujours une incidence sur le développement de l’enfant et c’est de son intérêt que le juge doit tenir compte au premier chef dans son jugement.

En cas de séparation et de divorce, la loi française établit un partage de l’autorité parentale et assure un droit de visite régulier au parent qui ne reçoit pas la garde. La non-présentation d’enfant y est sévèrement punie par la loi, que la force publique fait respecter. Le divorce entre les parents ne signifie pas le divorce d’un des deux parents avec les enfants.

La question se révèle plus délicate en matière de divorces internationaux, notamment, puisque c’est ce cas qui nous occupe aujourd’hui, lorsque l’un des antagonistes est japonais.

Aujourd'hui, 90 % des divorces se font au Japon par consentement mutuel à la mairie ; concernant les enfants, le formulaire de divorce à remplir par les époux ne permet d’indiquer, sans autre détail, que l’unique parent qui sera désormais détenteur de l’autorité parentale.

Sur les 10 % de divorces restants, environ 9 % vont se résoudre en conciliation judiciaire ; dans 1 % des cas, les parents ne parvenant décidément pas se mettre d’accord, il faut avoir recours à l’arbitrage d’un juge. L’autorité parentale, unique au Japon, est confiée, ainsi que la garde des enfants, dans plus de 80 % des cas à la mère. Le père ne reçoit, en échange, que des devoirs, principalement celui de payer une pension alimentaire, ce dont les pères japonais s’acquittent assez rarement.

Le parent qui n’a pas l’autorité parentale n’a plus aucun droit de regard sur l’éducation des enfants et ne reçoit que très rarement du tribunal un droit de visite, qui n’existe pas dans la loi japonaise et dont l’application est soumise, après le jugement et dans les faits, à l’arbitraire du parent détenteur du droit de garde.

Ainsi n’est-il pas rare qu’un des parents, généralement la mère, prenne l’initiative, avant même que la séparation soit décidée, d’enlever brutalement les enfants et de se réfugier dans sa famille en refusant qu’ils aient désormais le moindre contact avec leur autre parent, tout en réclamant une pension.

La loi japonaise ne punit pas l’enlèvement parental. Le Japon est le seul pays du G8, hormis la Russie, à n’avoir toujours pas signé la convention de La Haye sur les aspects civils des déplacements illicites d’enfant. Il n’applique pas non plus la convention relative aux droits de l’enfant, dite « convention de New York », qu’il a signée le 22 avril 1994. Pis, c’est le parent qui sera le plus prompt à enlever les enfants qui prendra l’avantage sur le plan juridique pour l’attribution de la garde et de la pension !

Soulignons dès à présent l’action de l’ambassade de France à Tokyo grâce, notamment à l’implication personnelle de notre ambassadeur, M. Philippe Faure, qui a permis la création dans cette même ville d’un comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental. Ce comité a pour objet de faciliter le partage d’informations entre la France et le Japon et la mise en œuvre de mesures concrètes de coopération relatives aux cas individuels de déplacements illicites et de non-représentation d’enfant.

Lors de la troisième réunion de cette instance, au mois de décembre dernier, certaines avancées notables ont pu être soulignées : il en est ainsi, notamment, de la participation pour la première fois d’agents du ministère de la justice japonais et du règlement effectif ou en voie de l’être de quelques cas.

La France est le premier pays à avoir mis en place une telle structure avec le Japon.

Le 16 octobre 2009, lors d’une rencontre avec la ministre de la justice, Mme Keiko Chiba, l’ambassadeur de France et ceux de sept autres pays – l’Australie, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Nouvelle-Zélande – avaient appelé le nouveau gouvernement japonais à signer la convention de La Haye. Ce traité, ratifié par plus de quatre-vingts pays, a fixé des procédures pour assurer le retour des enfants dans leur pays de résidence habituelle et pour protéger le droit d’accès à l’enfant des deux parents.

Plus récemment encore, voilà une quinzaine de jours, Mme Hillary Clinton, secrétaire d’État, s’est entretenue à Washington avec M. Seiji Maehara, ministre japonais des affaires étrangères, des quatre-vingt-deux cas similaires de conflits parentaux américano-japonais ; elle a également demandé à l’État japonais de rejoindre les signataires de la convention précitée.

Le premier entretien susvisé avec un haut responsable politique japonais a été suivi, le 30 janvier 2010, d’une démarche menée par notre ambassadeur, M. Philippe Faure, avec le même groupe de pays auprès du ministre des affaires étrangères de l’époque, M. Katsuya Okada, et enfin, le 22 octobre 2010, d’une démarche auprès du successeur de Mme Chiba au ministère de la justice, M. Minoru Yanagida.

Cette dernière action, menée par l’ambassadeur américain au Japon, M. John Roos, a mobilisé pas moins de onze ambassadeurs et représentants d’ambassades, ainsi que la délégation de l’Union européenne. Jusqu’à présent, les États-Unis ont usé d’un ton bien plus comminatoire que la France pour parvenir au règlement du conflit qui nous occupe aujourd’hui. J’en veux pour preuve la résolution n° 1326, adoptée par le Congrès américain, tendant à condamner le Japon pour l’impunité qu’il assure à ses ressortissants coupables d’enlèvements parentaux internationaux.

En ma qualité de représentant des Français établis hors de France, pouvais-je rester insensible à la détresse de nos compatriotes expatriés, dont les droits et les sentiments sont ainsi bafoués et les laisser se débattre seuls dans cet inextricable problème ?

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