Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme d’autres viennent de l’exprimer, je fais le vœu que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le plus apaisé possible, que de part et d’autre on évite les anathèmes, les amalgames grossiers, les raccourcis dangereux, et que l’on considère tous les intervenants, dans la pluralité de leurs propos et de leurs convictions, pour ce qu’ils sont : des femmes et des hommes ayant des positions personnelles en la matière et souhaitant les défendre.
Je voudrais d’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, remercier chacun des membres de mon groupe pour avoir, durant nos propres échanges, donné corps à ce principe. Je veux leur dire que, par respect pour celui qu’ils m’ont témoigné, je comprends leurs questionnements et leurs doutes.
À vous tous, mes chers collègues, ainsi qu’à celles et ceux qui suivent aujourd’hui nos débats – ils sont nombreux, j’en suis certain –, je dirai qu’en intervenant devant vous je me fais seulement le porte-parole d’hommes et de femmes partageant certaines convictions, et non celui d’un groupe ou d’un parti.
C’est la raison pour laquelle je me retrouve dans les interventions ou les prises de position de certains de mes collègues du groupe UMP ou de l’Union centriste, avec qui nous sommes très souvent en opposition dès lors qu’il s’agit d’économie, de fiscalité, de politique des territoires ou de droits sociaux.
Naturellement, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait rendu possible, et ce par une majorité importante de ses membres, l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit d’un texte de consensus issu des trois propositions de loi initialement déposées, celle de M. Jean-Pierre Godefroy et d’une partie des membres du groupe socialiste, celle de M. Alain Fouché et celle que j’ai moi-même déposée, avec mon ami François Autain et quelque dix-huit autres membres du groupe CRC-SPG.
L’adoption par la commission des affaires sociales de la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner ce soir ainsi que le débat qui va suivre ne marqueront pas la victoire d’un camp sur un autre. Si nous avons été nombreux à nous réjouir du sort que la commission a réservé aux textes que nous avions déposés, c’est parce que, d’une part, la commission n’a pas entravé par son vote le droit des parlementaires à légiférer et que, d’autre part, elle a permis que soit abordé en séance publique un sujet aussi important pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre position.
Mes chers collègues, c’est en républicain, en laïc et en citoyen que je m’exprime devant vous pour défendre cette proposition visant à inscrire dans la loi la possibilité pour celles et ceux de nos concitoyens qui, « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, [leur] infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou [qu’ils jugeraient] insupportable » voudraient, en pleine connaissance de cause, bénéficier dans des conditions très particulières, précises et encadrées d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort sans douleur et plus rapide que celle qui peut survenir naturellement.
Je veux m’en expliquer, d’abord en républicain.
Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, je suis attaché à notre République. Cet attachement est fondé sur un double pilier : d’une part, l’état de droit et, d’autre part, les principes propres à notre République, qui sont inscrits aux frontons de nos écoles et de nos mairies : liberté, égalité, fraternité.
Mon engagement en tant que militant politique et qui se poursuit aujourd’hui au Sénat a toujours été, et demeure, celui d’une œuvre législative respectant nos concitoyens et, devrais-je même dire, les plaçant au cœur de notre politique, au-delà de tout autre intérêt, fût-il commercial, économique ou politique. L’État de droit n’a de sens pour moi que si les lois servent à l’émancipation des femmes et des hommes, une émancipation qui n’est naturellement pas étrangère à la notion d’égalité.
Or plus personne ne l’ignore aujourd’hui, malgré les volontés affichées ou les déclarations péremptoires de certains, nous ne sommes pas égaux devant la mort, que celle-ci survienne naturellement ou qu’elle soit choisie. Car celles et ceux qui font, en pleine connaissance de cause, le choix de mettre médicalement un terme à leur vie et qui disposent tout à la fois des informations et des moyens financiers nécessaires peuvent s’offrir une mort choisie dans l’un des pays voisins du nôtre l’autorisant. L’expression « pouvoir s’offrir une mort choisie », je le sais, vous interpelle. Mais les témoignages multiples, médiatisés ou plus confidentiels l’attestent : il y a aujourd’hui, d’un côté, ceux qui disposent des possibilités techniques et matérielles de choisir une mort digne et rapide et, de l’autre, ceux qui, plus démunis, ne disposent pas de cette possibilité.
Pour ceux-là, le droit à une mort choisie s’apparente plus à un bricolage, composé d’attentes, de renoncements, de craintes ou de solutions violentes.
Ce n’est pas sans nous rappeler la situation que supportaient les femmes avant l’adoption – et dans les conditions que l’on connaît – de la loi du 17 janvier 1975 légalisant l’avortement, dite loi Veil, du nom de la ministre qui la défendit courageusement. Souvenons-nous qu’avant cette date l’avortement clandestin n’était pas sans risque. Ceux qui les réalisaient encouraient la peine capitale, et tout le monde se souvient du sort terrible qui fut réservé à Marie-Louise Giraud, jugée coupable d’avoir réalisé plusieurs avortements et qui fut décapitée en 1943. Les femmes prenaient de leur côté d’importants risques sanitaires et les décès post-avortement étaient nombreux.
Soixante-huit ans plus tard, d’importantes similitudes subsistent entre les deux situations. Même s’il est rare que les personnes qui optent pour une mort volontaire n’y parviennent pas, à quel prix le font-elles ? Elles le payent parfois d’une souffrance physique importante et souvent d’une souffrance morale que l’on a du mal à mesurer. Cette souffrance repose beaucoup sur le sentiment des personnes voulant être accompagnées dans une mort qu’elles ont choisie de réaliser un acte mal perçu par notre société, un acte si abominable aux yeux des autres et de la loi qu’il est réalisé dans la clandestinité et le secret et demeure interdit au point que ceux qui assistent les personnes désirant mourir encourent une peine criminelle pour assassinat.
C’est en laïc ensuite que je défendrai cette proposition de loi.
Bien évidemment, tous ceux qui s’opposent aujourd’hui à ce que soit légalisée l’assistance médicalisée à mourir ne le font pas sur des fondements religieux. À l’inverse, je sais pertinemment qu’il existe des croyants parmi ceux qui plaident en faveur d’une telle évolution législative. Mais je reconnais aussi parmi les associations qui s’opposent vigoureusement au droit à mourir dans la dignité les mêmes associations « pro vie » – comme si nous étions, de notre côté, des défenseurs de la mort – qui s’opposent au droit à l’avortement.
Ce sont, pour l’aide active à mourir comme pour l’avortement, les mêmes discours, selon lesquels ce serait nuire à la dignité humaine que de décider du moment de sa mort, une mort qui par nature ne peut être naturelle et que les femmes et les hommes ne pourraient que subir. Pour les tenants de ces discours, les êtres humains sont en quelque sorte extérieurs à leur mort, qui ne peut être programmée que par celui qu’ils vénèrent.
Entendant ces discours, je ne peux que me dire que notre pays, paradoxalement Terre des lumières après avoir été fille aînée de l’Église, a tout à gagner à ce que notre débat soit assis sur un principe simple : le corps des hommes n’appartient à aucune autre entité que l’homme lui-même, dans le respect des règles propres à garantir des protections collectives.