Une propriété associée au principe d’inaliénabilité du corps humain qui, à juste raison, prévoit que si l’on peut décider en droit du sort que l’on veut réserver à son propre corps on ne peut pour autant, au nom d’un principe légitime de protection des droits collectifs, décider d’en faire commerce. Le corps de chacun est ainsi exclusivement partagé entre la volonté individuelle et les droits collectifs.
Cette question de la propriété abordée ici n’a pas pour objet de souligner certaines divergences. Elle nous renvoie toutefois à une autre question selon moi incontournable : « la législation relative à la vie doit-elle imposer une règle générale qui est bonne par définition ou bien doit-elle intégrer l’idée d’exception ? ».
À cette question, c’est en citoyen ou plutôt, devrais-je dire, en homme libre que je veux répondre.
Cette proposition de loi ne tend pas à faire de l’assistance médicalisée à mourir la seule mort possible. Elle ne tend pas à la généraliser ou à l’imposer à toutes et à tous. Elle n’a pour objectif que de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de partir dignement. C’est-à-dire de partir avant que la souffrance physique ou psychique ne soit trop forte, avant que la maladie et les dégradations qui l’accompagnent l’emportent sur l’humanité.
Il s’agit, comme le précise le journaliste et écrivain François de Closets, « d’offrir et non pas d’imposer un recours contre cette mauvaise mort. Non pas en prenant en charge les destins individuels, mais en permettant aux volontés de chacun de s’exprimer et d’être respectées ».
Certains y verront une œuvre libérale, au sens philosophique du terme. J’y vois personnellement une réponse humaniste et solidaire face à une situation que l’écrivain Viviane Forestier a parfaitement décrite en ces termes : « Être devenu un lieu terrible pour soi-même, un enfer, une prison. Y être maintenu de force, enfermé sans espoir, alors qu’il serait possible d’en soustraire ceux qui le demandent, ceux qui en font le choix, tel est le sort auquel sont condamnés beaucoup de vivants ».
Mes chers collègues, le XXe siècle a été, en termes de droits individuels, de conquête des droits de l’homme sur lui-même, marqué par la reconnaissance – ô combien légitime – du droit des femmes à s’approprier leur avenir en décidant, avec les méthodes modernes de contraception, le moment qu’elles estiment opportun pour donner la vie. Le XXe siècle leur a également permis de refuser une maternité qu’elle ne voulait pas.
C’est dans cette continuité que s’inscrit la présente proposition de loi, à l’instar de la loi légalisant l’avortement, qui ne contraint personne à avorter mais qui élargit simplement le champ des libertés individuelles. Aucun médecin ne sera contraint de pratiquer un tel acte, soit parce qu’il transmettra le dossier de son patient à un confrère, soit parce que le patient pourra accomplir le geste salvateur lui-même dans un acte de suicide assisté. Cette proposition de loi donne la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent, par goût de la vie, de la quitter sereinement.
Véronique Neiertz, ancienne secrétaire d’État aux droits des femmes, le dit avec ces mots, sobres et généreux : « C’est le droit de disposer de son corps sans avoir de permission à demander à personne et sans que cela puisse entraîner de sanction pour quelque soignant que ce soit. »
Mes chers collègues, je sais que cette proposition de loi peut susciter en vous nombre d’interrogations voire d’inquiétudes, mais, je le crois, l’examen des articles qui la constituent sera de nature à lever vos craintes tant ils sont protecteurs.
Pour conclure, je voudrais vous dire qu’il ne faut pas chercher à opposer sur ce sujet nos concitoyens. En l’état actuel de sa rédaction, la proposition de loi permet, pour reprendre les mots de Louis Bériot, que soit respectée l’idée selon laquelle la conception de l’existence ne doit pas être exclusive et que celles et ceux qui veulent choisir librement le moment de leur mort ne soient pas excommuniés.
Je vous rappelle que dans notre législation l’assistance au suicide reste pénalisée, par le biais soit de la non-assistance à personne en danger, soit de la fourniture d’un produit vénéneux. Le corps de Chantal Sébire a dû subir une autopsie et une enquête a été diligentée pour savoir qui lui avait fourni le produit.
Cette proposition de loi ne repose pas sur un projet de société. C’est en revanche un important débat dans notre société, et la différence n’est pas mince. Il ne s’agit pas de dessiner un modèle unique reposant sur un refus des soins palliatifs. Ceux-ci sont naturellement incontournables et nous n’imaginons pas – cette proposition de loi le prévoit clairement – qu’il puisse être satisfait à la demande d’un patient de disposer d’une assistance médicalisée à mourir sans que lui soient auparavant proposées des thérapeutiques destinées à éviter les souffrances.
Mais s’agissant de celles et ceux pour qui les soins palliatifs ne sont pas suffisants ou sont sans effet sur des douleurs plus lourdes encore que celles qu’ils ressentent dans leur chair – je pense aux douleurs psychiques –, il faut avoir le courage de les laisser partir, comme ils le souhaitent, comme ils le demandent.
S’agissant de celles et ceux pour qui, actuellement, la fin de vie passe d’abord par un refus de soins, puis un refus d’alimentation et d’hydratation, ce que l’on appelle la sédation, et qui s’accompagne d’interminables souffrances, d’une lente agonie, de l’attente pesante d’une libération tant espérée, il est de notre responsabilité, parce que nous souffrons quand les autres souffrent, de les aider à partir. Nous devons faire preuve du même courage que celles et ceux qui demandent à quitter cette vie en reconnaissant avec eux que « le prolongement de cette vie n’est pas une fin en soi et qu’il est honorable de savoir y mettre un terme ».
Pour toutes ces raisons, je vous invite avec conviction, avec courage et avec émotion à voter en faveur de cette proposition de loi qui, venant s’inscrire dans la continuité des lois réaffirmant les droits des patients et plus légalement les droits individuels, constitue une réponse, parmi d’autres, à celles et ceux qui souffrent.