Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n’est pas facile d’intervenir en dernier ! Il y aura sans doute des redites dans mon intervention, et je vous prie par avance de m’en excuser. Mais je ne pouvais me taire sur ce sujet, qui me tient particulièrement à cœur.
« La perversion de la Cité commence par la fraude des mots », disait un philosophe grec.
« Euthanasie volontaire », « aide active à mourir », « aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés », « assistance médicalisée pour mourir », quels que soient les termes employés, ne nous y trompons pas : il s’agit bien d’assister le suicide d’autrui en légalisant l’acte de mort.
Au nom de quoi ? Au nom du respect de la liberté et de la dignité de l’homme affaibli, dans le but d’abréger, à sa demande, ses souffrances, afin qu’il soit l’acteur de sa propre mort ?
Mais quelle est donc, mes chers collègues, cette conception de l’homme qui rabaisse sa dignité et l’enferme dans son seul état biologique, psychique ou psychologique ?
C’est le principe même d’humanité qui fait la grandeur, la liberté et la dignité de l’homme, quel que soit son état, du début à la fin de la vie. Si la société ne reconnaît pas ce principe imprescriptible et inaliénable, elle court le risque d’exclure les personnes les plus vulnérables et d’aboutir, à plus ou moins brève échéance, à l’eugénisme, au meurtre des personnes désignées comme indésirables, à une déviance des consciences. La société perd ses repères.
Comment ? Chacun le sait : le champ d’une loi d’exception, même bien encadrée, finit toujours par s’élargir et son application par se généraliser. Qu’adviendra-t-il des malades devenus incapables de s’exprimer ? Qui jugera de l’intensité de leur souffrance ? Qui prendra l’ultime décision ?
Je ne peux ainsi passer sous silence le sort des personnes mentalement handicapées, dont certaines sont complètement mutiques. Qui jugera pour elles ? les médecins ? les familles ? les tuteurs ? Et à quelle aune, sinon à celle de leur propre capacité à continuer de supporter ou non la dépendance de leurs proches ? Je pense en particulier aux parents âgés : épargnons-les ! Ne prenons pas le risque de commencer par légaliser, avant d’imposer un geste létal non désiré.
Puisque nous parlons de dépendance, mes chers collègues, pensez-vous qu’à l’heure où le Gouvernement se penche sur la manière de prendre en charge la perte d’autonomie – débat de société et affaire de cœur s’il en est, comme le disait une voix autorisée lors d’une récente cérémonie de vœux ! –, cette proposition de loi soit vraiment opportune ?
Je ne ferai à personne l’affront de penser que, sous couvert de compassion et de sollicitude, il y aurait ici une manière de traiter du financement de la dépendance. Mais prenez-y garde : certains pourraient faire ce procès, et aucun parlementaire n’en sortirait grandi.
Ces propositions sont inacceptables à tous égards. On ne vole pas la mort d’autrui. Une demande d’euthanasie doit être écoutée, et reçue en priorité comme un appel.
Tous les témoignages sont formels : pour certains, c’est un appel à apaiser des souffrances devenues intolérables, pour d’autres, un appel à un accompagnement médical adapté, et surtout à un accompagnement psychologique et affectif qui ne laisse pas le malade à sa solitude face à la mort qui vient.
De plus ces propositions de loi sont inutiles. La loi Leonetti de 2005, insuffisamment connue et exploitée, permet de répondre à ces situations extrêmes. Elle exige l’administration de soins appropriés, même au prix d’un raccourcissement de la vie, refusant tout à la fois l’euthanasie et l’acharnement thérapeutique.
Les soins palliatifs existent et apportent dans tous les cas une réponse apaisante à la souffrance et à la crainte, ô combien humaine, de la mort.
Voir partir un proche en paix, à son heure, permet à ceux qui restent d’être, eux aussi, en paix.
Ne laissons pas le corps médical courir le risque de trahir le serment d’Hippocrate ! Ne laissons personne prendre le risque de se sentir coupable de n’avoir trouvé, comme unique solution au stade ultime de la vie, que l’œuvre intentionnelle de mort. Celle-ci n’est-elle pas une manière de dire : « Dans notre impuissance, nous ne pouvons que t’abandonner », une impuissance oublieuse des rapports de cœur et de la main tendue, peut-être à la recherche du « meilleur des mondes » ?
« Ce n’est pas un droit à l’euthanasie que demandent les grands malades, mais un droit à la solidarité », disait récemment à la radio la mère d’un grand accidenté de la vie.