Comme je l’ai dit tout à l’heure à propos de l’Observatoire national de la fin de vie, des questions restent en suspens et un certain nombre de travaux doivent encore être conduits en ce qui concerne non seulement l’euthanasie, mais également le suicide assisté, qui est certainement la solution dans certains des cas que nous avons évoqués.
Cependant, je ne me résous pas non plus à franchir ce pas. Je pense en effet que, face à certaines situations bien particulières, la question en jeu est non pas celle de la fin de vie, mais le souhait de mettre un terme à sa vie alors que l’on n’a pas les moyens de le faire.
Évitons d’être manichéens et de chercher à opposer la loi Leonetti à la proposition de loi présentée ce soir, car aucun de ces deux textes n’est en mesure de résoudre tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Je le répète, j’ai été marqué par le témoignage de Mme Humbert. Même si nous avons tous parlé du cas de Vincent Humbert, et je ne dénie à personne le droit de le faire, elle reste la seule, en tant que mère, à pouvoir réellement juger de la situation de son fils.
La France, madame Létard, nous le savons, a un retard important en matière de prise en charge de la fin de vie. Je suis persuadé que nous sommes capables de le combler. Cependant, la question n’est pas uniquement celle du nombre de lits ou d’unités de soins palliatifs, il s’agit aussi de culture, je veux parler de la culture palliative des professionnels de santé.
Madame Desmarescaux, nous partageons les mêmes réflexions, les mêmes préventions, les mêmes objectifs. Nous avons également une approche commune de la notion de dignité humaine, dont personne n’a le monopole. Le regard que vous portez, nous sommes nombreux à le porter non seulement dans cet hémicycle, mais également dans la société française.
Monsieur Barbier, j’ai été marqué par vos propos. Vous avez raison : tout le monde, sans exception, a peur de souffrir et souhaite une mort sans souffrance. Or des soins adaptés peuvent pallier cette peur et cette souffrance. Vous l’avez dit, l’un des enjeux est de ne pas confondre le droit de mourir avec le droit à la dignité.
Monsieur Fischer, vous estimez que nous ne sommes pas égaux face à la mort. Ainsi, certains se rendent à l’étranger afin de « s’offrir une mort choisie ». Voilà pourquoi il faut développer sans faiblir les soins palliatifs, en promouvoir la culture et la pratique.
L’humanisme que vous évoquez, moi, je le vois dans le devoir que nous avons de protéger les plus faibles, ceux qui ont perdu l’autonomie de la volonté comme le dit M. Godefroy, et de proposer à tous ceux qui en ont besoin un égal accès aux soins palliatifs.
Monsieur Fouché, vous l’avez indiqué, ce n’est pas parce qu’il existe un cadre légal qu’il n’y a pas de dérive. En Belgique, par exemple, près de 47 % des euthanasies sont pratiquées hors du cadre légal. Voilà pourquoi un cadre légal qui irait beaucoup plus loin, ce que je ne souhaite pas, n’apporterait pas une garantie complète.
Monsieur Kerdraon, vous avez évoqué la culpabilité de celui qui peut choisir sa mort et la crainte de peser sur son entourage. Mais cette crainte peut aussi être induite par les souffrances de l’entourage. Ce choix relève-t-il toujours et uniquement d’un désir intime ? À mon sens, il est difficile de le savoir. Pensez à ces malades dont la conscience vacille et alterne entre des moments de flou et des moments de lucidité. C’est bien un risque que les soins palliatifs, en soulageant la souffrance du patient et des proches, permettent d’éviter.
Monsieur Détraigne, je partage votre point de vue. Plutôt que d’ouvrir une brèche dans notre législation autorisant une mort rapide et sans détour, nous devons continuer à protéger les plus vulnérables en développant les soins palliatifs.
Madame Schillinger, en revanche, je ne partage pas votre point de vue. Quelles garanties réelles cette proposition de loi offrirait-elle à la personne alors que le contrôle s’effectuera a posteriori ? Nous le savons, ce texte permettrait des dérives possibles vis-à-vis des personnes vulnérables, celles qui ne sont plus capables d’exprimer une demande à la fois libre et éclairée. Or on ne m’enlèvera pas de l’esprit que légaliser, c’est prendre le risque de banaliser.
Monsieur Retailleau, vous avez raison, avec l’euthanasie, on peut confondre le droit à mourir et le droit à la dignité. Or je suis également persuadé que la dignité humaine ne se résume pas à la seule question de l’intégrité physique ou psychique.
Monsieur Mézard, vous avez invoqué la liberté de choix pour demander la légalisation de l’euthanasie, en parlant toutefois d’exception. Je le répète, légaliser, c’est toujours prendre le risque de banaliser. Il ne faut pas méconnaître ce risque, même si, j’en suis sûr, la banalisation n’est pas dans l’intention des promoteurs du texte ou du rapporteur. Reste que ce risque existe et qu’il peut parfois se tapir sous les meilleures intentions.
Madame Hermange, je suis d’accord avec vous. On peut partager les interrogations de ceux qui veulent légaliser l’euthanasie sans partager aucune de leurs convictions. Vous avez raison de rappeler que l’euthanasie va non seulement à l’encontre de nos « fondements anthropologiques », diront certains, mais aussi et surtout de notre tradition juridique, qu’il s’agisse de la Constitution européenne ou de la législation française ainsi que de la déontologie et de la pratique médicales.
Madame Payet, je vous rejoins : la peur de souffrir, la peur de mourir, nous le savons, ne feront que grandir, car elles sont aussi liées à l’augmentation de l’espérance de vie. D’une certaine façon, la loi du 22 avril 2005 a été conçue pour répondre aux attentes et aux peurs des Français, et j’entends par là les patients comme leurs proches.
Comme vous le soulignez, la demande de mort n’est-elle pas avant tout une demande de secours, un cri de détresse, une souffrance qu’il convient surtout d’apaiser ? Cette idée a d’ailleurs été reprise par de nombreux intervenants, et nous devons aussi l’avoir présente à l’esprit.
Monsieur Desessard, vous avez évoqué la pratique de l’euthanasie en France. Aucune étude n’existe sur le sujet.
Vous avez également évoqué l’euthanasie légale pratiquée aux Pays-Bas, sur laquelle nous possédons plus d’informations, en soulignant que c’est ainsi que l’on peut sortir de la clandestinité. Mais comment expliquez-vous la proportion à peu près équivalente d’euthanasies illégales qui est pratiquée dans le même pays ?
En outre, un chiffre n’est jamais évoqué par les partisans de l’euthanasie : le nombre des décès que nous aurions ainsi à constater dans notre pays, compte tenu de la différence démographique entre les pays où cette pratique est légale et la France. Les proportions seraient en effet difficilement acceptables pour certains de nos concitoyens.
Monsieur Lorrain, certains partagent avec vous le souci du risque de confusion que vous avez évoqué et les dérives possibles que cette proposition de loi pourrait provoquer.
Monsieur Guillaume, selon vous, il ne s’agit pas d’une proposition de loi sur l’euthanasie. Dois-je vous rappeler la définition de ce mot, notamment celle du Larousse ? Certes, le terme n’est pas employé dans le texte, mais l’acte est bien présent. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les amendements qui seront défendus tout à l’heure.
Cette proposition de loi, disons-le clairement, vise à créer une exception légale au principe de l’interdiction de donner la mort. Ce n’est pas neutre, ce n’est pas un texte banal. Pour le dire autrement, la proposition de loi vise à créer une autorisation légale à donner la mort, c’est-à-dire à autoriser l’euthanasie.
Je peux le dire de différentes façons, le propos peut être adouci, mais, en définitive, nous en arriverons exactement au même point pour définir ce qui est ici proposé.
Monsieur Lardeux, je vous rejoins également quand vous dites qu’il ne faut pas céder à l’émotion dès que l’on aborde le thème de la fin de vie, mais qu’il faut s’interroger avec objectivité afin de faire le choix le plus juste possible.
Vous pointez également l’acception parfois trop large de la notion de « fin de vie ». Comme je l’ai dit tout à l’heure, ne confondons pas les situations. En revanche, vous le savez, je n’ai jamais eu de doute quant au bien-fondé de la loi Leonetti, texte qu’il faut promouvoir encore et toujours dans les pratiques et la connaissance.
Monsieur Milon, j’ai été marqué par la justesse de ton de votre intervention. Il est vrai que le sujet est complexe, qu’il entrecroise les soubassements sociologiques, juridiques, sociétaux de notre condition d’homme ainsi que de notre statut de citoyen. Il fait en outre peser une lourde responsabilité sur les épaules du législateur comme sur celles des soignants.
C’est pourquoi il convient d’avancer avec autant de prudence que de résolution afin que chacun puisse accéder, si besoin est, à ces soins que nous avons évoqués tout au long de cette soirée, à savoir les soins palliatifs.
Madame Dupont, la fraude des mots que vous avez évoquée en commençant votre intervention n’est pas imputable aux promoteurs du texte ; c’est, d’une certaine façon, la confusion inhérente à un débat. Tout à l’heure, j’ai cité à dessein ce sondage dans lequel 94 % des Français se déclarent favorables à l’euthanasie. Or, dans leur esprit, c’est une fin de vie telle qu’elle est prévue dans la loi Leonetti. Voilà pourquoi il faut nous garder de la confusion et des grandes envolées. Sachons conserver le ton approprié dans ce débat juste et digne.
Quoi qu’il en soit, la position du Gouvernement n’a pas évolué depuis le début de la discussion générale. Nous refusons de franchir ce pas comme il nous est proposé de le faire. Toutefois, nous avons bien conscience de la responsabilité qui est la nôtre de développer encore et toujours les soins palliatifs. Tous ceux qui l’ont dit ce soir sont dans leur droit, tous ceux qui attendent ces soins pour accompagner leur fin de vie sont également dans leur droit.