Monsieur le ministre, vous avez eu raison de le dire tout à l’heure, ce texte n’a rien de banal. En effet, ce débat est très important, passionné, presque passionnel. Il a même connu quelques dérapages lors de la discussion générale.
En tout état de cause, ce texte engage un processus sociétal et exige par conséquent que ce débat, éminemment politique, soit mené ici, au sein de la représentation nationale.
Je tiens également à indiquer que je m’écarte volontairement de l’approche qui consisterait à s’arc-bouter sur les sondages. En effet, le rôle du Parlement, et l’essence même du travail parlementaire, est d’éclairer l’opinion publique et d’être en avance sur elle. C’est, du reste, ce qui a été constaté à l’occasion du vote de textes de loi évoqués tout à l’heure, l’abolition de la peine de mort, mais également l’interruption volontaire de grossesse.
L’article 1er n’est pas ambigu, il est même terriblement précis. En effet, il a pour objet d’assurer à toute personne « capable et majeure » la possibilité de demander à un médecin une assistance médicalisée pour mourir, dans le cas où cette personne se trouverait « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».
Faut-il, messieurs les ministres, mes chers collègues, avoir une piètre opinion de l’humanité pour faire un « saut en avant » et spéculer, pour l’application de textes comme celui dont nous débattons, sur l’attitude qu’auraient les uns ou les autres par rapport aux personnes que l’on juge les plus fragiles et les plus vulnérables : les personnes âgées ! Nous ne partageons évidemment pas ce pessimisme !
Les dispositions destinées à assurer une mort rapide, décente et sans douleur n’ont d’autre but que de soulager des gens en fin de vie en préservant leur dignité.
En ce qui me concerne, j’ai la faiblesse de penser que la dignité ne répond pas à un standard, et que chacun a le droit de définir, par rapport à sa propre personne, ce que représente la dignité, tout simplement ! §Cette question est donc une affaire personnelle.
Bien sûr, des réserves sont formulées et d’aucuns contestent l’opportunité de légiférer aujourd’hui sur l’aide active à mourir. Elles renvoient à des questions éthiques et religieuses, mais posent également la question des liens particuliers existant entre un patient et un praticien qui a par définition prêté le serment d’Hippocrate. Nous ne pouvons que respecter ces réserves.
Néanmoins, ne pas adopter ce texte aujourd’hui reviendrait à acter le fait que les Français ne sont manifestement pas égaux devant la mort. Certains de mes collègues ont eu le courage de dire que la pratique des injections létales – appelons les choses par leur nom – a lieu aujourd’hui en France, et de manière courante.
Ne restons donc pas sourds aux appels qui nous sont lancés par nombre de nos concitoyens, qui expriment tout à la fois une profonde détresse, une angoisse palpable et une détermination sans faille à faire évoluer la situation dans le bon sens.
Je le répète, ce problème taraude notre société et, paradoxalement, est lié aux progrès de la médecine.
Précisons, encore, toujours et une nouvelle fois, que l’aide active à mourir n’a aucunement vocation à se substituer aux soins palliatifs dont on a dit, sur toutes les travées, qu’ils étaient très insuffisants dans notre pays.
Les dispositions de la loi Leonetti constituent un progrès immense, mais elles ne vont manifestement pas assez loin. Parfois, il n’est tout simplement pas possible de se contenter d’arrêter un traitement curatif pour laisser la place au seul traitement antalgique, dont on connaît toutes les limites. Il est également des cas dans lesquels il est parfaitement inhumain de se « contenter » de laisser mourir les gens.
Le cadre juridique est donc nécessaire pour faire face à ce type de situation. Les familles y ont droit, les proches y ont droit, ainsi que les praticiens confrontés à ce problème.
Je le répète, l’aide active à mourir relève d’une logique différente de celle des soins palliatifs. En outre, cette loi comporte de multiples garanties, à la fois pour le patient, son entourage et le praticien.
La volonté du malade doit être intégralement respectée, sous réserve qu’elle ait été exprimée, au préalable, dans des conditions de clarté et de lucidité. À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas, et reporter sans cesse l’adoption d’une loi, c’est laisser de trop nombreuses personnes dans une incertitude dramatique.
« Aimer la vie et regarder la mort d’un regard tranquille », c’est tout ce que demandent les personnes qui veulent, à nos côtés, faire progresser la loi.