Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat de ce soir est non seulement intéressant, mais également poignant. Pour ma part, je me suis trop investi dans les services des soins palliatifs pour rester muet.
Monsieur le ministre, la mise en place des unités de soins palliatifs en France est encore trop lente ; nous avons un retard considérable par rapport à d’autres pays. Toutefois, c’est une première réponse face à l’urgence de démythifier la mort. Est-elle suffisante ? À mon sens, il faut aller plus loin et réapprendre à vivre avec les mourants, afin de leur restituer toute leur place parmi nous, en accordant un temps à la mort accompagnée, un temps pour les ultimes moments de la vie. Il faut assurer une mort dans la dignité, afin que celle-ci soit, comme le prétendait Mallarmé, « un peu profond ruisseau calomnié ».
Chateaubriand disait de la vieillesse, et des maux qu’elle induit, que « d’une dignité » elle était devenue « une charge ». C’est, hélas ! toujours vrai. Mais elle doit être distinguée de la dépendance totale, de la vie qui n’est plus une vie et qui serait seulement une plainte si on avait la force de l’exprimer.
L’agonisant n’est ni un intrus ni une charge. Il n’a pas besoin, et ses proches non plus, de mimer « la mort de celui qui fait semblant qu’il ne va pas mourir », selon l’expression de l’historien Philippe Ariès.
Une mort sereine et paisible, évidemment médicalisée, semble une exigence raisonnable de notre époque, car l’homme peut faire cesser la cruauté d’une agonie inexorable, lente et solitaire, donc indigne d’une époque qui se veut humaniste. Qu’une suite d’actes planifiés pour mettre en œuvre un geste aussi grave soit nécessaire est une évidence. C’est vrai pour le malade, pour son confort, pour la famille, qui est souvent culpabilisée, pour le médecin, pour les soignants, qui vivent l’inexorable drame, et pour la société, à laquelle ils redonnent confiance en la médecine et en son éthique.
Encore faut-il distinguer la douleur de la souffrance, qui, même si elle n’implique pas forcément la douleur physique, devient intolérable dans la mesure où elle inclut le mal de vivre, le non-vivre, l’inquiétude, la peur et l’insupportable compassion des autres, sans cesse renouvelée à en devenir lassante quand on est enfermé dans la plus angoissante solitude !
La mort accompagnée dans le cadre d’une assistance médicalisée – elle ne concerne que peu de cas, mais ils sont extrêmement douloureux –, c’est le temps réservé aux dernières confidences, aux derniers moments les plus vrais d’intimité, aux ultimes caresses. C’est le dernier service où l’on est admis avant la mort.
Mourir dans la dignité avec une assistance médicale dûment acceptée par le malade ou par la famille lorsque le malade ne peut pas s’exprimer, si le médecin juge l’acharnement thérapeutique inutile, c’est accepter que l’on arrive à la fin de sa vie dans une sorte de paix et de sérénité sans faire des services de soins palliatifs le passage plus ou moins obligé des mourants, puisqu’une large majorité de malades souhaitent mourir chez eux, entourés des leurs, tout en bénéficiant d’une hospitalisation à domicile.
Mais, au-delà du médecin, c’est toute l’équipe de soignants et des bénévoles formés à l’accompagnement de la fin de vie qui doit s’impliquer humainement et dépasser l’indispensable geste technique pour suppléer la famille dans les moments d’intense douleur et des dernières effusions. L’objectif n’est pas seulement contenu dans le traitement ; l’objectif, c’est le malade tout entier et l’aide que l’on peut lui apporter au moment le plus décisif de sa vie !
Il est temps pour la médecine de se souvenir qu’elle n’a longtemps été que palliative. L’impuissance ressentie par le soignant devant un diagnostic fatal doit faire repenser que la guérison n’est qu’un des deux aspects de sa mission, l’autre étant d’assurer le bien-être, y compris jusqu’à la mort.
En effet, monsieur le ministre, le droit à mourir sans être chosifié, le droit à être entouré de sollicitude et de compréhension face à la souffrance physique et à la terreur d’une perspective à la fois naturelle et impensable, c’est le droit de chacun à conserver sa qualité d’être humain jusqu’au bout !
Selon les termes de l’article 1er, toute personne « capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » doit pouvoir demander à bénéficier d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. Cela sera reconnu un jour comme l’un des droits universels de l’homme !
C’est pourquoi je voterai avec la majorité des membres du groupe socialiste l’article 1er et, au-delà, cette proposition de loi.