Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la majorité de la commission des affaires sociales s’est prononcée en faveur de la suppression de l’article 1er de la présente proposition de loi, dont nous débattons à cette heure tardive. Mais la question posée reste évidemment entière !
Refuser qu’une personne – il faut avoir les termes de l’article en tête – « capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » puisse demander à bénéficier, dans les conditions prévues par la proposition de loi, d’une assistance médicalisée à mourir rapidement et sans douleur contraindra – nul ne l’ignore – le malade soit à recourir à une aide frauduleuse, voire à se déplacer à l’étranger s’il le peut, soit à souffrir continuellement jusqu’à la mort !
Adoptée après la médiatisation d’une affaire qui a déjà largement été évoquée, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, marque une avancée majeure pour les soins palliatifs, mais elle est malheureusement insuffisamment mise en œuvre aujourd'hui. Surtout, elle n’est, triste paradoxe, d’aucun secours dans un tel cas !
Il aura fallu apporter « la démonstration contre le droit, contre la loi, que donner la mort peut être aussi un acte d’amour, de compassion et de responsabilité » pour n’aboutir qu’à « cette unique solution » : « […] cesser de le nourrir. Le laisser mourir de faim, mais entouré des siens, et surveillé par une équipe médicale. […] À quoi ressemble une société qui se satisferait de pareils faux-fuyants ? Et que reste-t-il d’humanité dans cette proposition-là ? » Tel était l’amer constat du docteur Frédéric Chaussoy.
Resteraient donc le silence, la clandestinité et l’hypocrisie ?
À l’opposé, c’est une loi de protection, de responsabilité et d’humanité qui est aujourd’hui soumise à notre réflexion. Au contraire de décisions abandonnées au libre arbitre du corps médical, et nombre d’entre vous ont témoigné des souffrances des médecins eux-mêmes confrontés à cet affreux dilemme, c’est leur offrir la garantie d’actes réfléchis, encadrés et dépénalisés.
Pour quelle raison refuser ces garanties légales aux malades qui le veulent et aux médecins qui le réclament ?
La rationalité n’y trouve pas son compte, de même qu’elle n’y trouvait pas son compte en 1975 dans le débat sur l’interruption volontaire de grossesse, celui des souffrances imposées contre la liberté alors refusée aux femmes !
Il est vrai qu’il était encore proposé dans cet hémicycle – mais c’était il y a une vingtaine d’années -, à l’occasion d’une refonte du code pénal et du code de procédure pénale, de rétablir le délit d’auto-avortement de la femme sur elle-même !
Mais le législateur a su évoluer, reconnaître et garantir toujours mieux la dignité de la personne malade avec les dispositions sur le traitement de la douleur en 1995, le droit d’accès aux soins palliatifs en 1999, les droits des malades en 2002, ainsi que le droit de refuser toute investigation ou thérapeutique, même si ce refus met la vie en danger.
La possibilité pour chaque individu d’accéder à une mort digne, sans souffrance, s’inscrit dans une telle continuité, et n’en est que l’aboutissement.
La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Mais, dans ce cas, à la liberté de qui l’exercice du libre choix de mourir porte-t-il atteinte ? Au nom de quelle autre liberté protégée pouvez-vous sanctionner la mienne ?
En cet instant, je pense simplement aux dernières paroles de Roger Quilliot : « Notre choix de la mort est un acte de liberté. » Cette liberté est essentielle, respectable et mérite d’être préservée.