Aujourd’hui, dans trois cas sur quatre, on meurt à l’hôpital, le plus souvent seul. Certaines personnes âgées prennent même des risques importants, en refusant parfois d’y être conduit tant elles ont peur d’y mourir, loin de chez elles, loin des leurs, dans un environnement où leur parole et leur capacité de choisir leur sont ôtées, au nom de ce qui est « bien » pour elles.
Au cours des auditions, comme des échanges qui ont suivi, bien des interrogations sur la qualité de la prise en charge de la fin de la vie ont été soulevées, et celles-ci sont bien loin d’être résolues. Aucun d’entre nous ne souhaite que les conditions de vie que connaissent les personnes dépendantes, dans certains établissements, ne les poussent à souhaiter la mort pour fuir les traitements parfois indignes qu’elles subissent. Le respect dû à la vie ne consiste pas à empêcher un malade en fin de vie de choisir quand et comment il cessera d’être au monde, il consiste plutôt à ne jamais perdre de vue la personne derrière le patient, l’homme qui souffre derrière le corps que l’on manipule.
À la question de la prise en charge de la dépendance, s’ajoute celle de l’insuffisance des services de soins palliatifs dans notre pays. Aujourd’hui, seules 20 % des personnes concernées bénéficient d’un accompagnement en unité de soins palliatifs.
Dans cet hémicycle, la plupart de ceux qui refusent l’idée d’une assistance médicalisée à mourir mettent en avant l’existence des soins palliatifs, alors qu’ils ont sciemment voté des crédits notoirement insuffisants à l’hôpital public. Que vous le vouliez ou non, cette situation empêche la création en nombre suffisant de ces services, indispensables au respect de la fin de la vie.
Quant à nous, si nous défendons aujourd’hui ce texte, nous menons aussi le combat pour le développement des soins palliatifs, car l’assistance médicalisée à mourir ne rentre pas dans le même champ. Les deux démarches sont complémentaires et non opposées. Malheureusement, même si l’accès aux soins palliatifs était un droit universel et garanti, il n’en reste pas moins que choisir les conditions dans lesquelles une personne en fin de vie souhaite partir resterait, selon moi, toujours aussi légitime.
La souffrance subie et ressentie par certains peut être telle que même une prise en charge adaptée ne suffirait pas à redonner un sens à la poursuite d’une vie que la personne concernée considère comme insupportable ou dénué de sens. Au nom de quoi la fin de vie dépouillerait-elle l’être humain du droit à la subjectivité ?
Certes, on pourrait continuer à fermer les yeux, hypocritement, en se disant que la pratique existe et qu’elle est, de fait, tolérée. On pourrait se rassurer à bon compte en faisant observer que, chaque fois qu’une personne a été poursuivie pour avoir aidé un proche à mourir, les cours d’assises ont toujours acquitté les prévenus.
Mais nous avons été confrontés, lors des auditions, ou lors de témoignages récents, à la violence que représente pour le professionnel, comme pour la personne proche, le fait de devoir assumer seul, dans le silence et le refoulement, un geste qui coûte déjà tant et qui, même s’il repose sur l’amour, reste l’ultime transgression.
Dans des cas aussi extrêmes, il n’est pas possible de réduire une telle décision à des faits objectifs. Qui d’autre que le malade peut estimer si sa vie vaut la peine d’être vécue ? Comme le disait Jacky Le Menn lors de nos débats en commission, dans notre système de santé, tout a été fait pour toujours respecter la volonté du malade : pourquoi introduire une exception au moment de la mort ? C’est parce que l’exercice éclairé de son libre arbitre fait de l’être humain une exception dans le règne du vivant que nous avons cosigné une telle proposition de loi et que nous la soutenons. Nous voterons donc contre les amendements de suppression.