Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 31 mars 2005 à 9h30
Aéroports — Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

C'est bien d'une banalisation de ce secteur qu'il s'agit. Pour ce gouvernement, le transport aérien est une activité économique comme une autre, soumise au seul critère de la rentabilité et non plus un secteur stratégique nécessitant une présence forte de l'Etat pour répondre à des enjeux aussi divers que la sécurité du territoire, l'emploi, l'aménagement du territoire, la protection de l'environnement, la sûreté.

En première lecture, le Sénat n'avait pas modifié au fond l'économie du texte, même si nos deux rapporteurs avaient fait part de nombreuses réserves : des risques de conflits entre l'intérêt général et les intérêts privés, le renvoi à de trop nombreux décrets de sujets aussi essentiels que la domanialité publique des biens nécessaires à l'exécution des missions régaliennes de sécurité ou encore la définition des missions de service public et des conditions de leur contrôle.

La majorité sénatoriale avait refusé tous les amendements du groupe socialiste tentant d'y apporter des réponses intelligentes. Ce dernier a donc voté contre ce projet de loi dont il avait récusé globalement l'orientation, et la lecture à l'Assemblée nationale ne peut que le conforter dans cette position.

En effet, il y a toujours dans ce texte de nombreux dangers pour le secteur aéroportuaire français, tant en ce qui concerne Aéroports de Paris que les autres aéroports régionaux.

Quels sont-ils ?

Concernant Aéroports de Paris, l'activité aéroportuaire risque d'être mise en concurrence avec d'autres activités plus rentables : le développement de commerces sur les plates-formes, les parkings, l'ingénierie, les télécoms, au risque d'être fragilisée. Or la mission essentielle d'Aéroports de Paris est de recevoir un trafic aérien.

Les biens d'Aéroports de Paris sont déclassés du domaine public, privant sans doute à jamais l'Etat de la propriété de biens essentiels au bon fonctionnement des services aéroportuaires.

Nous pensons qu'aux missions de service public et à la qualité de l'emploi pour les personnels concernés vous préférez la course à la rentabilité. Nous notons de nouveau, parce qu'il n'y a pas eu de progrès de ce point de vue, que le projet de loi renvoie à un décret la définition du cahier des charges d'ADP qui comprendra, entre autres, la définition de ses missions de service public. Vous savez comme nous avions insisté pour que nous soyons plus précis dans notre oeuvre législative. Ce n'est d'ailleurs qu'un des multiples renvois de ce texte au pouvoir réglementaire - il en est truffé - laissant finalement le Parlement sur la touche.

De même, vous avez martelé que le projet de loi ne modifiait en rien le statut du personnel d'ADP. Mais, comme l'a indiqué le rapporteur de l'Assemblée nationale, et c'est vrai : « aucun statut n'est immuable ». Dès lors, ne perdons pas de vue que les multiples sous-traitants d'Aéroports de Paris ne disposent, eux, d'aucune garantie dans ce texte.

La question du déclassement des terrains et des ouvrages publics au bénéfice d'Aéroports de Paris continue de nous inquiéter. En effet, alors que pour les grands aéroports régionaux, en vertu du principe de simplification, la domanialité publique est préservée, le Gouvernement fait, de manière assez peu compréhensible, le choix inverse pour les deux premiers aéroports français ! Nous voudrions comprendre. Nous pensons qu'il veut transformer Aéroports de Paris en machine à sous au bénéfice des investisseurs privés, en permettant aux nouveaux actionnaires d'engranger de belles plus-values, entre autres lors de la cession d'un certain nombre de terrains, ce qui est une hypothèse ouverte largement dans le débat.

L'article en question renvoie simplement à un décret en Conseil d'État le soin de définir les biens qui resteront dans le domaine public, au lieu de retenir la proposition que nous avions formulée, qui a d'ailleurs été renouvelée par l'opposition à l'Assemblée nationale, de fixer clairement dans la loi une liste a minima des biens qui ne pourront être transférés : les biens nécessaires à la navigation aérienne, les pistes, les voies de circulation, les aires de stationnement des aéronefs, les installations de stockage de carburant. Nous reviendrons par la voie d'un amendement sur ce point qui nous paraît essentiel.

Le texte fait tomber le principe de spécialité, puisque Aéroports de Paris ne sera plus un établissement public et pourra diversifier ses activités, ce qu'il a d'ailleurs largement fait en dépit de son statut. Aucun moyen n'est donné à la puissance publique de contrôler réellement cette politique de diversification - le cahier des charges initial sera, lui aussi, défini par décret - et les diverses opérations de filialisation qui inévitablement s'ensuivront.

Les missions de service public sont assez mal encadrées par la loi, aucun objectif de qualité n'est mentionné dans ce texte. Enfin, la procédure d'opposition au profit de l'Etat sur la vente des biens nécessaires au fonctionnement du service public est assez « légère » ; les sanctions sont quasi nulles.

Aussi, nous proposerons une série d'amendements sur les articles 2 à 6 visant à corriger ce qui nous apparaît comme une série de « légèretés ». Nous demanderons à nouveau que le capital de la société ADP soit entièrement détenu par l'Etat.

J'en viens à l'évolution du statut des grands aéroports régionaux et à l'aménagement du territoire

Le texte confie la gestion des grands aéroports régionaux à des sociétés aéroportuaires dont le capital pourra à terme être majoritairement privé. Seul le capital initial reste public : il est constitué par l'Etat, les chambres de commerce et d'industrie et, éventuellement, les collectivités territoriales qui le souhaiteraient.

Les régions et les chambres de commerce et d'industrie ont demandé que le capital de ces sociétés demeure public afin de garder sous contrôle public un des outils au service de l'aménagement du territoire.

Ce n'est pas écrit dans ce texte. Vous vous êtes contentés de préciser oralement au cours des débats que les chambres de commerce et d'industrie détiendraient 25 % du capital tandis que les collectivités locales se verraient proposer au moins 15 % de ce capital. Mais ce ne sont que des paroles. Ce serait le « noyau dur ». Inscrivons-le dans la loi, tout est ouvert pour l'avenir.

Ainsi, des augmentations de capital peuvent entraîner une dilution « mécanique » de la participation des acteurs publics et donc l'engagement, tel qu'il est pris aujourd'hui, ne vaut que pour ceux qui le reçoivent. Air France constitue à cet égard un cas d'école.

A l'Assemblée nationale, le souhait des CCI a été parfaitement relayé par les députés de la majorité, qui, suivant en cela l'avis du Gouvernement, ont rejeté tous les amendements tendant à attribuer aux collectivités un droit de préemption sur les actions dont l'Etat souhaiterait se défaire par la suite.

Le Gouvernement laisse ainsi entendre qu'il souhaite cantonner le rôle de ces collectivités publiques, afin de permettre une éventuelle privatisation des aéroports. Une telle position ne peut pas être satisfaisante. Le projet de loi devrait, au contraire, garantir une présence significative et durable des acteurs publics dans le capital des sociétés aéroportuaires, sans quoi les pourcentages annoncés ne constitueront en aucune manière une base solide pour inciter les collectivités à prendre part à la gouvernance des aéroports régionaux d'intérêt national. Tel est d'ailleurs l'objet d'un amendement que nous vous soumettrons, mes chers collègues.

C'est un décret en Conseil d'Etat qui déterminera la liste des aéroports concernés. Sur les critères de sélection, j'avoue avoir du mal à m'y retrouver, monsieur le secrétaire d'Etat, car vous avez été, depuis le début, assez flou à cet égard.

Jusqu'alors, le Gouvernement avançait une liste de douze aéroports seulement, dont huit en métropole et quatre en outre-mer. Puis M. de Robien a précisé à l'Assemblée nationale que d'autres plates-formes seraient aussi concernées, dans l'hypothèse, qui est loin d'être simple, où elles seraient directement liées à l'exploitation des aéroports précédemment cités. Quelques exemples ont été cités. Mais, puisqu'ils ne sont pas exhaustifs, la question de la liste initiale est donc loin d'être réglée.

Par ailleurs, l'un des critères évoqués était celui du nombre de passagers. Comme je l'ai constaté à diverses reprises, le seuil cité était un million de passagers. Or le cas de Beauvais, sur lequel j'avais attiré votre attention en première lecture, ne paraît toujours pas faire l'objet d'une position claire.

En effet, le critère à prendre en compte n'est apparemment plus le nombre de passagers puisque M. de Robien a souligné la nécessité d'« établir un réseau structurant d'aéroports suffisamment éloignés des plates-formes parisiennes ».

Faut-il en conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, que Beauvais ne sera pas retenu ? Au demeurant, vous avouerez que tous ces propos sont peu clairs et d'une portée juridique assez faible.

Je ne voudrais pas oublier les personnels des CCI qui seront transférés aux nouvelles sociétés, même si l'on nous dit de ne pas nous inquiéter. A la demande de ces personnels, nous proposerons des amendements visant à leur donner des garanties supplémentaires et, surtout, à accélérer la négociation de la convention collective qui leur sera applicable.

J'en viens au troisième point, à savoir les dispositions relatives à l'ensemble des aéroports.

Nous ne croyons pas beaucoup à l'opportunité de créer la commission « de conciliation » aéroportuaire, devenue aujourd'hui la commission « consultative » aéroportuaire. Mais je sais que cette commission est chère à notre rapporteur, qui en avait été à l'origine !

Nous proposerons tout simplement de supprimer l'article relatif à cette commission, laquelle, au départ, était conçue comme une préfiguration d'une énième autorité dite indépendante et devait, à terme, se voir confier la régulation des activités aéroportuaires au détriment de la puissance publique, ce que nous refusions.

Nous avions alors opté pour une sorte de moyen terme. Finalement, cette commission a été quelque peu vidée de son sens par l'Assemblée nationale puisqu'il ne s'agit plus que d'une commission consultative auprès du ministre.

Pour autant, mes chers collègues, si vous tenez absolument à conserver cette commission, nous avons prévu une solution de repli pour cette structure. Etant donné qu'elle abordera très largement les relations entre les transporteurs aériens et les aéroports, il serait pour le moins utile que les collectivités territoriales y soient représentées hors des communautés aéroportuaires, qui ont un rôle tout à fait différent. Nous proposerons également d'inclure dans cette commission un représentant d'une association nationale représentative des usagers du transport et des intérêts des riverains. S'il s'agit d'une commission consultative qui émet des avis, autant tenir compte de l'avis de tous !

Par ailleurs, le projet de loi met en place de nouveaux modes de calcul des redevances aéroportuaires, s'agissant des services rendus payés par les compagnies aériennes. Là encore, la logique du profit au bénéfice des futurs actionnaires des aérodromes a visiblement prévalu. Je ne suis pas certain que le principe de la caisse unique soit pleinement reconnu. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, il s'agit plutôt d'une « caisse unique aménagée », pour reprendre l'expression utilisée par le rapporteur de l'Assemblée nationale.

Nous préférerions que le désengagement de l'Etat soit moins important. Nous proposons donc que l'homologation des redevances par les ministres chargés de l'économie et du transport aérien soit maintenue.

Dans le cadre de cette caisse unique aménagée, il n'est pas prévu que le montant des redevances prenne en compte les recettes tirées des activités extra-aéronautiques. En revanche, le texte précise que le produit global des redevances ne peut excéder le coût des services rendus, précision qui me semble tout à fait dangereuse pour la caisse unique. En définitive, il s'agit toujours de développer des activités qui ne sont pas liées au transport aérien et donc de ne pas trop les taxer.

A l'instar de ce qui se passe pour la plupart des grands aéroports internationaux, nous souhaitons que soit pleinement affirmé le principe de cette caisse unique, qui présente à nos yeux un intérêt économique évident pour Aéroports de Paris. Nous proposerons un amendement en ce sens.

Enfin, le texte transpose au secteur aérien un principe d'inspiration très largement libérale, qui est déjà en vigueur dans les secteurs des télécoms et de l'énergie et qui conduit à alléger le contrôle des tarifs par la puissance publique.

En effet, il n'y a plus d'approbation au cas par cas par l'Etat des redevances ou des tarifs. Il est simplement prévu une contractualisation d'objectifs tarifaires sur plusieurs années. Selon nous, il est nécessaire, en contrepartie, de prévoir dans la loi une concertation préalable entre l'aéroport et ses usagers, voire une consultation chaque année, au cours de l'exécution du contrat pluriannuel. En effet, à la lueur de l'évolution du transport aérien depuis 2001, on peut dire qu'il sera très difficile de se projeter plusieurs années en avant pour fixer globalement une sorte de contrat qui encadrerait le produit des redevances.

Voilà brièvement exposées les remarques que nous avons à formuler sur ce texte, qui constitue un pas de plus dans le démembrement du service public.

Après la privatisation d'Air France, dont l'Etat ne détient plus que 20 % du capital, après le transfert des aéroports aux collectivités locales, nous nous inscrivons finalement dans la voie d'un enterrement de toute la politique publique en matière de transport aérien. Naturellement, nous le regrettons.

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