Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avec ce projet de loi qui nous est soumis en deuxième lecture, le Gouvernement persiste et signe, nonobstant tous les signaux forts qui lui ont été adressés tant à l’extérieur du Parlement, par l’ensemble des milieux professionnels concernés et les associations de malades, qu’à l’intérieur, au Sénat et à l’Assemblée nationale, non seulement par les parlementaires de l’opposition, mais également par certains de la majorité présidentielle qui l’ont averti des impasses vers lesquelles le conduisait ce projet de circonstance.
En effet, ce texte n’a absolument rien à voir avec la grande loi globale de santé mentale que nos concitoyens attendaient, contrairement à ce que nous a déclaré en commission, le 8 juin dernier, M. le rapporteur, ce que je lui ai du reste fait remarquer.
Madame la secrétaire d'État, le 31 mai dernier, lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, votre majorité a encore aggravé les choses par rapport au texte adopté en première lecture par le Sénat.
Ainsi, l’Assemblée nationale, sur l’initiative de son rapporteur, M. Lefrand, appelle à la rescousse la technique de la dissimulation s’agissant de la possibilité, en psychiatrie, de recourir légalement aux soins sans consentement. De ce fait, elle fait disparaître de l’ensemble du texte la référence aux soins sans consentement. Il est désormais proposé d’utiliser systématiquement une périphrase renvoyant aux nouvelles dispositions légales applicables.
Il s’agit là d’une modification que l’on peut aisément qualifier d’hypocrite, dès lors qu’elle consiste à ne plus écrire ce qui dérange, tout en ne changeant rien sur le fond.
En outre, et c’est plus grave, on peut noter que cette façon de faire est source d’ambiguïté pouvant être préjudiciable à l’ensemble des patients, y compris à ceux qui sont en soins « libres ». Tout cela est fort regrettable.
En première lecture, lors de mon intervention dans la discussion générale, j’ai déjà eu l’occasion de préciser en quoi ce projet de loi était pernicieux et même franchement dangereux.
J’ai expliqué qu’il ne respectait pas l’esprit de mesure qu’impose le juste équilibre entre trois dispositifs également prioritaires que je vous rappelle : tout d’abord, un dispositif sanitaire au service des malades, car le patient ne doit pas disparaître derrière sa pathologie ; par ailleurs, un dispositif judiciaire garantissant les libertés fondamentales de tous les citoyens, a fortiori lorsqu’ils sont en état de faiblesse ou malades ; enfin, un dispositif de sécurité garantissant l’ordre public, visant à la protection de la société dont doit également bénéficier le malade.
J’ai également déjà fait valoir que le cœur de ce projet ne pouvait faire consensus, tant il est paradoxal. En effet, comment parvenir à soigner quelqu’un sans son consentement, a fortiori à domicile et dans le champ de la psychiatrie ?
Décidément, cette innovation juridico-médicale que constitue la création de la notion de « soins sans consentement en ambulatoire » ne passe pas. En psychiatrie, outre le recours aux médicaments, même très performants, la relation ou l’alliance thérapeutique entre le malade et son thérapeute est essentielle ; elle repose sur la confiance. Il s’agit d’un contrat implicite et souvent explicite qui appelle le consentement du patient si l’on recherche effectivement des résultats thérapeutiques. En la matière, imposer des soins sans consentement en ambulatoire, comme le prévoit ce projet de loi, pose problème.
Permettez-moi maintenant, à titre de témoignage, de rappeler ce qu’a déclaré à la presse le 26 mai dernier la présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie, la FNAPSY, Mme Claude Finkelstein.
« La formulation “soins sans consentement en ambulatoire” au lieu d’hospitalisation sans consentement n’est pas anodine. Jusqu’à présent, on interdisait au patient d’aller et venir librement ; c’est une situation qui peut se justifier mais, tout en étant enfermée, la personne pouvait refuser des soins ».
« Avec les soins sans consentement, on va pouvoir donner des soins de force, donner des molécules de force, ce qui équivaut à violer le corps. » Le terme est fort ! « C’est intolérable pour nous, car on enlève toute liberté à la personne. »
Mme Finkelstein reconnaît qu’actuellement, dans la pratique, des médicaments sont « administrés de force » ; mais la différence est, dit-elle, que « cette pratique sera désormais autorisée par la loi ».
« Nous avions dit que nous voulions un véritable contrat entre le psychiatre et le malade, pour s’assurer que le malade était d’accord pour revenir à son domicile. Or il n’est question que d’un protocole ou d’un programme de soins ».
« Il faut se rendre compte que ramener quelqu’un à son domicile s’il n’est pas d’accord peut se transformer en horreur. Quand la voiture avec le logo de l’hôpital va se garer dans la rue et que l’infirmier va venir sonner à la porte, si la personne ne veut pas le laisser rentrer, elle peut se jeter par la fenêtre. C’est ça le risque, [...] et c’est ce que les gens qui décident ne comprennent pas ».
Pourquoi tant d’incompréhension de votre part, madame la secrétaire d'État, par rapport à la pertinence de ces propos ? Pourquoi persister à vouloir imposer des soins psychiatriques sans consentement en ambulatoire ? Il s’agit là d’une question essentielle, philosophique, voire éthique.
Madame la secrétaire d'État, votre proposition fait peur, non seulement parce que les soins sans consentement en psychiatrie risquent de devenir la règle, mais aussi parce que, comme l’affirment l’Association française des psychiatres d’exercice privé et le Syndicat national des psychiatres privés, l’AFPEP–SNPP, « nous considérons ce projet comme facteur d’exclusion et de stigmatisation de personnes qui auraient besoin bien au contraire de trouver place dans la cité ».
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a également souligné ce point, comme on l’a déjà dit. C’est encore ce que ne cessent de vous dire les professionnels qui devront mettre en œuvre cette loi, ainsi que les associations de malades concernées au premier chef.
Comment comptez-vous arriver, en pratique, à faire vivre cette loi contre tant d’oppositions particulièrement fondées ? Comment allez-vous faire pour inculquer cette nouvelle culture médicale et soignante dans le champ de la santé mentale ? Quels moyens supplémentaires allez-vous mettre en place, notamment en personnels médicaux, soignants et de justice ?
Du reste, je relève que, lors d’un débat sur France Culture le 4 juin dernier, un député de votre majorité, M. André Flajolet, a lui-même déclaré d’une manière très lucide que, « effectivement, en l’absence de moyens, cette loi n’est pas applicable ».
Où se trouve le respect de la liberté des patients dans tout cela ?
Persévérer dans cette volonté – je dirai même « dans cette erreur » ! – de vouloir imposer des soins psychiatriques sans consentement à nos concitoyens fragilisés par la maladie mentale nous conduit à subodorer l’amalgame que font le Gouvernement et le Président de la République entre troubles psychiatriques, délinquance et dangerosité. Cet amalgame que nous pressentons, nous le dénonçons avec force et détermination. Il signe le penchant sécuritaire d’un texte que nous ne pouvons accepter.
Du reste, nous retrouvons ce penchant sécuritaire à bien d’autres niveaux dans ce projet. Par exemple, après avoir supprimé les sorties d’essai des malades hospitalisés sans leur consentement, vous introduisez dans le texte un ersatz de fichier psychiatrique des patients ; c’est le cas au douzième alinéa de l’article 3 concernant les sorties de courte durée.
Ainsi, pour les personnes dont les cas sont les plus lourds, celles qui sont passées dans une unité pour malades difficiles ou qui sont entrées en hôpital psychiatrique dans le cadre d’une procédure pénale, le droit à l’oubli est mis à mal et n’interviendra qu’au bout de dix ans. Vous aurez beau dire, madame la secrétaire d'État, ces malades qui ne sont pas les plus faciles – nous ne le réfutons pas – verront la trace de leur passé mise à la disposition des préfets.
En l’occurrence, cette information des préfets nous semble particulièrement critiquable. « Dans ces unités spécialisées [...] les traitements sont puissants ; [...] Après un séjour dans ce type d’établissement, de deux choses l’une : soit la personne est guérie et on ne voit pas la nécessité de garder une trace informatique de ce passage ; soit la personne n’est pas bien stabilisée, est sujette à des rechutes ou des résurgences pathologiques qui sont l’une des caractéristiques des maladies psychiatriques les plus lourdes, et on ne voit pas l’intérêt de la trace préfectorale. [...] Les préfets n’étant pas des médecins, cette information est-elle utile ? Je ne le pense pas. Elle paraît superflue, sauf à considérer, ce qui serait extrêmement grave, que toute personne ayant séjourné dans une unité pour malades difficiles doit être surveillée pendant dix ans après sa sortie. »
Madame la secrétaire d'État, cela vous a été dit par les députés de gauche à l’Assemblée nationale. Permettez-moi, de le répéter à nouveau avec force au nom de mon groupe au Sénat.
Une telle disposition appartient plus au volet sécuritaire, ...