Intervention de Jean Desessard

Réunion du 16 juin 2011 à 9h30
Soins psychiatriques — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de cette deuxième lecture, je souhaite évoquer la situation de la psychiatrie dans notre pays.

Les moyens consacrés à la psychiatrie ne cessent de baisser depuis vingt ans. En France, le nombre de lits a ainsi diminué de 43 % entre 1989 et 2000, alors que les besoins, eux, s’accroissent.

Les fortes disparités démographiques de la répartition des psychiatres, le manque d’attrait de la profession de psychiatre des hôpitaux pour les étudiants en médecine et le recrutement insuffisant des infirmiers en psychiatrie concourent à aggraver les difficultés rencontrées dans la prévention et la prise en charge des malades. Les professionnels le répètent inlassablement : la psychiatrie est en crise !

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer ces professionnels, comme le docteur Halimi, président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement des centres hospitaliers spécialisés, ainsi que des usagers, comme Mme Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY ; j’ai également reçu le collectif Psychiatrie. Tous s’accordent à reconnaître la nécessité d’une réforme, mais pas n’importe laquelle. Ils ont d’ailleurs des propositions à faire.

Malheureusement, les engagements et les mesures d’urgence formulés lors des états généraux de la psychiatrie, en 2003, n’ont pas été retenus par le Gouvernement dans le présent projet de loi. Je pense en particulier au maintien du secret médical en dépit des pressions administratives, à la sauvegarde de l’indépendance professionnelle indispensable à la qualité des soins ou au soutien des intérêts des patients contre toute contrainte extérieure.

Quant aux mesures d’urgence qui avaient été demandées, comme la formation massive et urgente d’infirmiers afin de faire face aux besoins, l’augmentation du nombre de lits et le développement des structures extrahospitalières ou le fait de garantir des conditions d’accueil et d’hospitalisation décentes, elles n’ont aucunement été prises en compte.

Vos préoccupations semblent bien éloignées des attentes des professionnels et des usagers !

Pis, parce que la situation s’aggrave, l’hospitalisation sans consentement est détournée de sa fonction première afin de pallier des lacunes plus générales. C’est ainsi que des malades qui souhaitent se faire hospitaliser librement ont parfois recours à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, car c’est pour eux le seul moyen d’obtenir une place à l’hôpital. Pendant ce temps, un malade qui pouvait encore avoir besoin de soins est prié de quitter l’établissement. On hospitalise également en psychiatrie des personnes pour cause de trouble à l’ordre public, car l’élu municipal est le seul à se mobiliser dans l’urgence, faute d’un médecin disponible pour signer un certificat.

Bref, la psychiatrie est forcée d’assumer des dysfonctionnements sociaux qui la dépassent largement.

Ces aspects sociaux ne doivent pas être niés. Franco Basaglia, psychologue italien de renom, avait pour habitude, avant de se préoccuper de leur vie psychique, de poser à ses patients les questions suivantes : « Avez-vous un logement ? » « Vos ressources sont-elles suffisantes ? » « Vos liens sociaux sont-ils solides ? ». Répondre aux troubles psychiques en délaissant les troubles sociaux serait sans effet ; c’est d’autant plus vrai que, comme le montrent les chiffres, les malades en hospitalisation sous contrainte sont généralement plus précaires et plus isolés socialement que les malades en hospitalisation libre.

Mais comment répondre aux besoins sociaux et psychiques quand les professionnels font face à un déficit de l’offre de soins, de prévention, de suivi et d’accessibilité des structures de soins ?

Le constat a été fait à de nombreuses reprises : c’est d’une loi globale de psychiatrie et de santé dont notre pays a besoin.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette situation générale m’interpelle davantage que les rares moments de violence que peuvent avoir certains malades qui traversent des périodes critiques dues à l’évolution de leur pathologie. Pour vous, au contraire, c’est le point central de votre projet de loi.

Venons-en d’ailleurs à ce projet.

Pourquoi élaborer un projet de loi sans concertation avec les acteurs du secteur ? Je dois dire, madame la secrétaire d’État, que vous avez réussi à faire l’unanimité contre vous. Comment et pourquoi obliger une personne à se soigner ? D’ailleurs, comment obliger les professionnels à prodiguer des soins dans de telles conditions ?

C’est l’objectif inverse qui devrait être recherché : alléger la contrainte et favoriser l’adhésion aux soins. Cette situation serait de loin la plus profitable, pour les soignés comme pour les soignants.

Pourquoi proposer une réforme dont le principal objectif consiste à réduire un risque de dangerosité que seul un petit nombre de malades présentent, qui plus est seulement à certains moments de leur vie, alors même qu’elle aura, au-delà de ceux-ci, des conséquences négatives sur un très grand nombre de personnes prises en charge ?

Enfin, pourquoi s’entêter à prendre des mesures toujours plus liberticides, alors que le Conseil constitutionnel a censuré deux articles relatifs à l’hospitalisation d’office, considérant qu’ils méconnaissaient le principe du respect de la liberté individuelle que l’article 66 de la Constitution garantit ?

Les besoins sanitaires sont immenses. Pourtant, vous n’avez qu’une idée fixe : toujours plus de mesures sécuritaires ! Aussi les sénatrices et le sénateur écologistes voteront-ils contre ce projet de loi.

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