Intervention de Annie David

Réunion du 16 juin 2011 à 9h30
Soins psychiatriques — Exception d'irrecevabilité, amendement 82

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de défendre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, je souhaite faire part au Gouvernement du mécontentement de notre groupe au sujet de la manière dont nos travaux ont été organisés. Je pense en particulier à ceux de la commission des affaires sociales, un peu bousculée par la succession de textes que le Gouvernement a cru bon d’inscrire à l’ordre du jour.

Notre mécontentement porte aussi sur la forme : avant même que le projet de loi ne revienne en deuxième lecture au Sénat, il était tenu pour certain, dans la presse, qu’il ferait l’objet d’un vote conforme. Vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que cela bride quelque peu nos travaux. Quid de notre indépendance ?

Après la camisole financière européenne que Guy Fischer a dénoncée hier au cours de l’examen du projet de loi constitutionnelle visant à instaurer la « règle d’or », nous voilà contraints à un vote conforme ! Reste que le Conseil constitutionnel en a décidé autrement.

J’en viens à la motion.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a cela de particulier que, avant même son adoption, nous savons tous qu’il est contraire à notre Constitution. Nous le savons d’autant mieux depuis la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2011.

Ce n’est pas l’amendement n° 82 du Gouvernement qui changera cette situation. Ce n’est pas non plus parce que ce projet de loi trouve son origine dans une décision précédente du Conseil constitutionnel qu’il est, de ce seul fait, à l’abri de toute critique !

Le Conseil constitutionnel avait en effet affirmé que l’hospitalisation d’office d’une personne, en raison de son état de santé ou de troubles graves à l’ordre public, devait être validée par le juge des libertés et de la détention. D’ailleurs, les juges précisaient déjà que, dans le cas d’une hospitalisation d’office, la liberté individuelle ne pouvait être sauvegardée que par l’intervention du juge dans un délai aussi bref que possible.

Si nous sommes favorables à une telle disposition, nous considérons en revanche qu’elle aurait dû être la seule matière du projet de loi ; les autres questions, comme les modalités des soins, auraient dû être traitées dans le cadre d’un projet de loi consacré à la santé publique, et qui aurait inclus un chapitre portant sur la santé mentale et ses modes de traitement.

Nous considérons même, au sein du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, que, compte tenu du maintien dans le projet de loi du pouvoir du préfet de décider d’une mesure d’hospitalisation complète, il aurait été souhaitable que l’intervention du juge des libertés et de la détention se fasse en amont.

Récemment, le juge constitutionnel a décidé que cette intervention précoce ne relevait pas d’une exigence constitutionnelle et qu’il était tout à fait licite qu’une autorité non pourvue de pouvoirs judiciaires décide d’une mesure privative de liberté, à la condition expresse que celle-ci soit confirmée par le juge des libertés dans les plus brefs délais. Nous en prenons acte.

Or l’article 3 que vous vous apprêtez à voter, mes chers collègues de la majorité, ne répond encore pas à cette exigence constitutionnelle.

Si le Conseil constitutionnel a jugé que le pouvoir du préfet d’ordonner l’hospitalisation d’office ne méconnaissait pas la compétence que l’article 66 confie à l’autorité judiciaire, il est beaucoup plus critique sur les modalités d’exercice de ce pouvoir.

En effet, aujourd’hui comme demain, si votre projet de loi était adopté conforme, ainsi que le souhaitent le Gouvernement et la commission, la procédure d’hospitalisation complète à la demande du préfet ne reposerait que sur un seul certificat médical initial, même en l’absence d’urgence, ce qui est déjà contestable en soi. La procédure veut que ce certificat médical unique soit transmis au préfet, qui, et c’est très intéressant, peut n’en tirer aucune conséquence.

Quoi de plus cohérent avec votre politique dans la mesure où cette procédure repose non pas sur l’intérêt du patient médicalement constaté, mais sur la notion de trouble à l’ordre public, notion sécuritaire s’il en est et qui justifie que des mesures de police administrative soient prises !

Comme le souligne à raison le Conseil constitutionnel, « le certificat médical est transmis au préfet, mais, s’il ne confirme pas la nécessité de la privation de liberté, il n’en est tiré aucune conséquence obligatoire quant à la situation de la personne ». Avouez que nous sommes loin, ici, de la notion d’intérêt médical !

En première lecture, nous affirmions que le préfet n’avait pas les compétences pour décider d’imposer une mesure d’hospitalisation complète ; on sait aujourd’hui que la loi actuelle, comme celle à venir, lui octroie des prérogatives contraires à la Constitution.

Comme le précise le commentaire de la décision n° 2011–135/140 QPC, en date du 9 juin dernier publié, dans les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, « la possibilité que le préfet ordonne ou maintienne une mesure privative de liberté de nature médicale, alors que le psychiatre de l’établissement s’y oppose, soulève une difficulté constitutionnelle touchant à l’équilibre des principes constitutionnels en cause ».

C’est exactement ce que nous dénoncions. Or cette difficulté n’est pas levée par la rédaction de l’article 3 du projet de loi : « Dans un délai de trois jours francs suivant la réception du certificat médical mentionné au troisième alinéa de l’article L. 3211–2–2, le représentant de l’État dans le département décide de la forme de prise en charge prévue à l’article L. 3211–2–1, en tenant compte de la proposition établie, le cas échéant, par le psychiatre en application du dernier alinéa de l’article L. 3211–2–2 et des exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public ».

Il est bien écrit « en tenant compte », de même qu’il est précisé « le cas échéant ». Cela signifie que le préfet n’est pas tenu par la décision du médecin psychiatre ; il peut passer outre cette recommandation de ne pas maintenir une personne en hospitalisation complète. Nous revoilà dans la même situation que celle qu’avait dénoncée le Conseil constitutionnel dans sa décision de censure.

Le préfet peut d’autant mieux passer outre à cette recommandation que ce même alinéa précise expressément que celui-ci, pour prendre sa décision, tient compte des observations médicales délivrées par le psychiatre, mais les confronte aux « exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public ». Ainsi, le préfet peut décider de maintenir en hospitalisation complète, c’est-à-dire de priver de liberté, l’un de nos concitoyens, l’une de nos concitoyennes, contre l’avis médical, au seul motif que la sortie de celui-ci ou de celle-ci pourrait avoir des effets négatifs sur l’ordre public.

Mes chers collègues, ces dispositions ne sont pas conformes à la Constitution, et singulièrement à son article 66. Plutôt que de paraphraser le Conseil constitutionnel, je préfère citer un extrait de l’un de ses considérants : « […] ; que, dans l’hypothèse où ce certificat médical ne confirme pas que l’intéressé doit faire l’objet de soins en hospitalisation, les dispositions contestées conduisent, à défaut de levée de l’hospitalisation d’office par l’autorité administrative compétente, à la poursuite de cette mesure sans prévoir un réexamen à bref délai de la situation de la personne hospitalisée permettant d’assurer que son hospitalisation est nécessaire ; qu’un tel réexamen est seul de nature à permettre le maintien de la mesure […] ».

C’est pourquoi, mes chers collègues, nous considérons que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le maintien de l’article 3 fait courir le risque d’une nouvelle décision d’inconstitutionnalité. Cela a été confirmé par le juge constitutionnel.

Nous estimons que la procédure d’hospitalisation complète à la demande du préfet, c’est-à-dire l’ancienne hospitalisation d’office, doit reposer, comme l’ancienne hospitalisation à la demande d’un tiers, sur deux certificats médicaux et que, en cas de discordance entre ces deux certificats, la mesure de mainlevée doit être prononcée immédiatement.

Là encore, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel est clair, et je vous renvoie aux documents qu’il a bien voulu communiquer à la presse : « Seul un réexamen, s’il confirmait la nécessité de soins en hospitalisation, serait de nature à permettre le maintien de la mesure, nonobstant le premier avis médical contraire. En revanche, si ce réexamen infirmait à nouveau la nécessité de soins en hospitalisation, la mesure ne pourrait qu’être levée. Le dispositif d’HO est en effet la résultante de deux exigences médicale et d’ordre public appréciées respectivement, par le psychiatre et par le préfet. C’est pourquoi, face à l’insuffisance des garanties présentées par l’article L. 3213–1 du CSP, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition ».

Ce ne sont pas les dispositions visées à l’amendement n° 82 qui permettront de répondre totalement aux objections formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision de censure.

De la même manière, nous nous interrogeons sur la faculté ouverte par le projet de loi de prolonger la décision de maintien en hospitalisation complète sans que le juge des libertés et de la détention intervienne.

En posant le principe d’une intervention du juge dans « le plus court délai possible », le Conseil constitutionnel a entendu réaffirmer le principe selon lequel nul ne peut être privé de liberté sans l’intervention d’une autorité judiciaire. Or le mécanisme de prolongation prévu dans le projet de loi, parce qu’il renvoie à des périodes très longues – six mois ! –, ne nous semble pas conforme à ce principe ni à celui de l’intervention du juge des libertés et de la détention à bref délai. En effet, nous ne partageons pas l’analyse selon laquelle la prolongation serait la simple poursuite de la mesure initiale. Il n’existe pas, en droit, de mesure privative de liberté qui pourrait être reconduite sans qu’aucun juge n’intervienne.

D’ailleurs, le régime de la rétention de sûreté lui-même n’obéit pas à ce mécanisme. Le code pénal prévoit que la rétention de sûreté peut être prononcée s’il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine – j’ai bien dit « un réexamen » –, que les personnes en cause présentent une particulière dangerosité, dangerosité se caractérisant par une probabilité très élevée de récidive du fait qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité.

Or, en l’espèce, il n’est prévu aucun mécanisme de réexamen par le juge des libertés ; pourtant, chaque décision de renouvellement doit s’apparenter, en droit, à une nouvelle décision, ce qui rend obligatoire la saisine de ce dernier.

Je formulerai une dernière observation, portant cette fois-ci sur le recueil du consentement des patients.

Aux termes de l’alinéa 31 de l’article 1er, « Avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212–4, L. 3212–7, L. 3213–1 et L. 3213–4 ou définissant la forme de la prise en charge […], la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état ».

Ainsi, les observations du patient ne constituent pas une exigence légale. On pourrait donc se retrouver dans une situation totalement absurde où seules les personnes hospitalisées en psychiatrie, mais dont l’état mental le permettrait, c’est-à-dire qui ne seraient en réalité pas malades, pourraient donner leur avis. Espérons pour elles et pour les libertés publiques que ces cas sont purement théoriques !

Or le Conseil d’État, dans une décision du 27 mai 2011, cassant un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles – laquelle opérait déjà un revirement de jurisprudence –, a affirmé que les décisions d’hospitalisation sans consentement prononcées sans que le patient ait pu faire part de ses observations méconnaissaient manifestement l’article 24 de la loi du 12 avril 2000.

Là encore, mes chers collègues, permettez-moi de citer cet arrêt : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et n’est d’ailleurs pas contesté que les arrêtés des 20 février, 21 mai et 20 novembre 2004 renouvelant l’hospitalisation d’office de Mme A ont été pris sans que l’intéressée ait été mise en mesure de présenter des observations écrites ou, le cas échéant, des observations orales ; qu’il ne ressort du dossier aucune situation d’urgence ni aucune circonstance exceptionnelle de nature à exonérer, au cas d’espèce, l’administration de l’application des dispositions citées ci-dessus […] ; qu’il suit de là que ces arrêtés, pris en méconnaissance de ces dispositions, sont entachés d’illégalité ; ».

Prenez garde, mes chers collègues, en votant ce projet de loi, de reproduire les mêmes erreurs !

Pour conclure, outre ces observations de nature constitutionnelle, je voudrais dénoncer la méthode avec laquelle le Gouvernement a agi.

Pendant des semaines, il a tenté de nous faire croire que le projet de loi recevait l’assentiment des patients et de leurs familles. En réalité, il n’en est rien !

Dans un communiqué de presse du 26 mai, la présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie, Mme Claude Finkelstein, a exprimé son profond désaccord avec ce projet de loi sur les soins sans consentement en psychiatrie. Jacky Le Menn vient de le rappeler. Elle a déclaré : « Nous ne sommes pas d’accord sur la finalité du projet de loi, qui porte atteinte aux droits des personnes ». Elle a même précisé : « Je suis extrêmement choquée que la secrétaire d’État à la santé, Nora Berra, se prévale d’un soutien de la FNAPSY au projet de loi, notamment dans l’émission de France Culture Du grain à moudre du 9 mai. Nous avons dit au ministère de la santé que nous n’étions pas d’accord ; c’est une malhonnêteté intellectuelle de leur part de prétendre le contraire. »

Mes chers collègues, au-delà de la forme, c’est bien en raison des motifs d’inconstitutionnalité de ce projet de loi que je vous invite à voter notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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