Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 16 juin 2011 à 9h30
Soins psychiatriques — Question préalable

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à en croire le Gouvernement, le texte que nous examinons en deuxième lecture a pour principal objet de réformer la loi du 27 juin 1990. Plus précisément, il entend simplifier et sécuriser le dispositif d’hospitalisation à la demande d’un tiers, améliorer la prise en charge des malades ainsi que le dispositif de sortie, garantir les droits des patients ; autant d’objectifs que personne ne saurait réfuter. Néanmoins entre les intentions affichées, les discours et la réalité de ce texte, il y a un monde !

Sur la forme, comment ne pas revenir sur le parcours pour le moins chaotique, voire sans précédent, de ce texte ?

Jamais nous n’avions connu pareil cheminement. Certains ont parlé d’un véritable « psychodrame » marqué dans un premier temps par le rejet par la commission des affaires sociales de la notion de « soins ambulatoires sans consentement », puis par la non-adoption par la commission de son propre texte, enfin par la démission du rapporteur et son remplacement de dernière minute.

Enfin, le fait que le Conseil constitutionnel ait, en date du 9 juin dernier, censuré le texte proposé par l’article 3 du projet de loi pour les articles L. 3213-1 et L. 3213-4 du code de la santé publique oblige le Gouvernement à modifier son texte. En l’occurrence, le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel est identique à celui qui a présidé à la décision du 26 novembre 2010. À l’avenir, en cas d’hospitalisation d’office, le préfet ne pourra maintenir le patient en hospitalisation au-delà de quinze jours sans l’intervention du juge des libertés et de la détention. Le renouvellement du contrôle par le magistrat devra avoir lieu chaque quinzaine.

De fait, le dispositif prévu par le Gouvernement à l’alinéa 33 de l’article 3 n’est plus de mise. Dès lors, on peut s’interroger sur la constitutionnalité de l’alinéa 34 de l’article 2, qui prévoit le maintien de la mesure de l’hospitalisation d’office pour une durée maximale d’un mois, sans contrôle du juge des libertés et de la détention.

Quant à l’article L. 3213-1, jusqu’alors, dans l’hypothèse où le second certificat médical établi dans les vingt-quatre heures suivant l’admission ne confirme pas que l’intéressé doit faire l’objet de soins en hospitalisation, le préfet pouvait maintenir cette mesure privative de liberté. Avec la décision du Conseil constitutionnel, et à défaut d’avoir prévu un mécanisme de réexamen à bref délai aux fins de justification du maintien en hospitalisation, tel n’est plus le cas, ce qui entraîne la révision indispensable du dispositif prévu aux alinéas 3 à 23 de l’article 2.

Comment ne pas voir dans cette difficile élaboration, pour ne pas dire gestation, à laquelle viennent de s’ajouter les conséquences des décisions du Conseil constitutionnel, les signes évidents d’un texte mal préparé ?

Madame la secrétaire d’État, vous avez déclaré que « le psychiatre se trouvait au centre de ce texte », ce qui devrait donner une prépondérance à l’approche et à la gestion sanitaires. Or il en va tout autrement, puisque la lettre et l’esprit de ce projet de loi en sont très éloignés. En outre, comment ne pas y voir le signe évident d’un exécutif sourd aux attentes, puis à l’opposition quasi unanime des professionnels de santé, comme des patients et de leur famille, qui sont les premiers concernés ? Comment et pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas eu à cœur de considérer les oppositions qui se sont fait jour, y compris au sein de sa propre majorité ?

Oui, le malaise est immense ! Mais, visiblement, rien n’y fait : vous demeurez arc-boutée sur une logique tout autre que l’impératif sanitaire. Alors que le bien des patients devrait être au centre de vos préoccupations, vous préférez faire écho à la démarche sécuritaire voulue par le Président de la République. Vous préférez au dialogue et à la concertation le passage en force. Cette méthode augure mal de l’avenir que vous voulez donner au secteur de la santé mentale. Tout comme le monde de la santé, nous en prenons acte et le déplorons.

Certes, quelques avancées ont permis de faire évoluer le texte initial. Je pense bien évidemment à l’intervention du juge des libertés et de la détention. Il est vrai que cette modification n’est pas de votre fait : l’avis rendu par le Conseil constitutionnel au mois de novembre dernier vous le commandait. Mais même dans ce registre, vous vous êtes empressée de limiter cette mise en application au strict minimum requis.

Un autre point positif tient à l’unification, d’ici à 2013, du contentieux en matière d’hospitalisation sous contrainte, lequel était initialement éclaté entre le juge judiciaire et le juge administratif. Il reviendra finalement au juge judiciaire. Il en va de même de la création d’un droit à l’oubli d’une durée de dix ans pour les personnes ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale ou ayant séjourné en unité pour malades difficiles.

Néanmoins, ces avancées ne peuvent masquer les attentes des professionnels de la santé mentale, des patients et des familles, attentes demeurées vaines jusqu’à présent.

Nous le savons tous, et cela a été dit sur ces travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, le monde psychiatrique est en attente d’une grande loi sur la santé mentale. La loi portant réforme de l’hôpital et relatives aux patients, à la santé et aux territoires avait exclu la psychiatrie de son domaine d’application. Nous l’avions alors vertement déploré, mais la ministre de la santé de l’époque nous avait promis qu’un grand texte serait débattu rapidement. Or, fidèle à sa méthode, le Gouvernement nous propose de débattre d’un important sujet sanitaire et social uniquement du point de vue sécuritaire. Nous sommes donc bien loin d’une grande loi sur la santé mentale, puisque ce texte ne concerne qu’une infime partie des 660 000 personnes en souffrance qui, chaque année, franchissent le seuil des établissements psychiatriques.

Le socle de votre projet de loi trouve ses origines dans le discours présidentiel d’Antony. Il se fait la traduction législative du détestable amalgame insinuant qu’un lien quasi organique existe entre malade et source de danger, source de troubles à l’ordre public. Par-là même, vous distillez dans la société cette dommageable équation, vous stigmatisez une partie de nos concitoyens en situation de fragilité parfois extrême.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion