L’enjeu peut sembler purement sémantique, mais ce qui est en cause, en réalité, c’est une conception politique et philosophique de la maladie mentale et de la personne souffrant de troubles psychiatriques.
L’intitulé actuel du projet de loi illustre le prisme sécuritaire à travers lequel la question de la maladie mentale est envisagée par le Gouvernement.
L’emploi du groupe verbal « faire l’objet de » est à cet égard significatif. Celui-ci appartient au champ lexical de la sanction, notamment judiciaire. C’est ainsi qu’il est commun d’utiliser des expressions telles que : « il fera l’objet d’une mise en examen », « elle fera l’objet d’un redressement fiscal », etc.
Il est au contraire essentiel de ne pas nourrir l’amalgame entre la maladie mentale, d’une part, et la délinquance, la dangerosité, la violence, d’autre part. De telles associations conduisent à une stigmatisation doublement contre-productive : préjudiciables au traitement sanitaire de la maladie mentale, elles sont aussi un frein à la réinsertion dans la société des personnes atteintes de troubles psychiatriques.
Il est vrai que le Gouvernement ainsi qu’une frange de la majorité sont prompts à entretenir la confusion et à véhiculer des amalgames… Dans cet hémicycle, le débat sur l’immigration en a récemment offert une illustration : ce n’était pas encore la maladie mentale qui était tenue pour une source de délinquance, de dangerosité ou de violence, mais l’étranger.
Aujourd’hui, le Gouvernement et la majorité reprennent la même antienne : seuls les psaumes changent.
Nous nous opposons à cette dérive, qui conduit à une défiance globale et tend à scléroser la société.
Selon nous, les personnes atteintes de troubles psychiatriques ne doivent pas être traitées comme des délinquants, mais comme des patients qui ont besoin d’être soignés.
Encore faut-il, pour cela, au moins considérer que la personne atteinte de troubles mentaux demeure un être humain. Or, au regard de l’intitulé du projet de loi, nous sommes légitimement amenés à nous poser des questions…
Le groupe verbal « faire l’objet de » n’est pas seulement lié au champ lexical de la sanction ; il suggère la chosification de l’individu et le réduit à la passivité. Dans une certaine mesure, la personne atteinte de troubles psychiatriques devrait seulement subir les traitements qui lui sont prescrits. Ce n’est pas assez que, dans certains cas précis, son consentement puisse ne plus être requis ; il ne serait plus même recherché !
Le changement de paradigme est ici manifeste. Il sera lourd de conséquences pour la santé des patients.
C’est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs de l’UMP, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, nous souhaitons vous interroger : serions-nous en train de revenir au XIXe siècle, au temps où, dans les Mystères de Paris, Eugène Sue décrivait les études et les expérimentations dont « faisaient l’objet » les personnes atteintes de troubles mentaux ?
À cette époque, être victime de troubles psychiatriques était synonyme de déshumanisation. La captivité de celles et de ceux qu’on appelait communément les « aliénés » allait de pair avec leur réduction à un état d’extrême passivité. Loin d’être des remèdes à la maladie du patient, captivité et passivité étaient seulement considérées comme des moyens d’assurer une forme de sécurité dans la société ; elles traduisaient l’incapacité des autorités à traiter la maladie mentale d’un point de vue sanitaire.
La conception sur laquelle se fonde le présent projet de loi, pourtant rédigé deux siècles plus tard, ressemble étrangement à la pensée qui dominait au début du XIXe siècle. Quel retour en arrière !
Sans doute, concilier les objectifs de la protection de la santé du patient, de la sauvegarde de sa liberté individuelle et du maintien de l’ordre public peut sembler délicat. Nous craignons cependant que le curseur, avec ce projet de loi, demeure figé sur le seul objectif du maintien de l’ordre public, et cela au détriment de la santé du patient.
C’est un choix politique auquel nous ne pouvons, bien entendu, souscrire.
Nous notons par ailleurs avec étonnement que, dans l’intitulé auquel est revenue l’Assemblée nationale, la notion de consentement a totalement disparu et qu’il est désormais question des soins psychiatriques dans leur globalité.
Que le Gouvernement et la majorité veuillent donc bien répondre à cette question : dans quelle partie du projet de loi est-il traité des soins psychiatriques libres ?
Qui vous autorise à vous octroyer ainsi une forme de publicité en rédigeant un titre trompeur, qui ne correspond absolument pas à l’essence de la « marchandise » que ce projet de loi constitue ? Cette vaste hypocrisie doit être dénoncée ! Ce projet de loi ne traite pas des soins psychiatriques dans leur ensemble : il s’attache uniquement aux soins psychiatriques sans consentement.
Embarrassés pour définir cette notion, vous avez préféré la rayer du texte et de son intitulé… Pour autant, ce raccourci ne saurait justifier une quelconque malhonnêteté intellectuelle : il doit être affirmé dans l’intitulé même du projet de loi que celui-ci traite des soins psychiatriques sans consentement.
Comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises en défendant nos amendements, la suppression de la notion de « soins sans consentement » est de nature à soulever de nombreuses difficultés et incohérences, en particulier pour ce qui concerne les droits des patients. De telles ambiguïtés risquent d’alourdir le contentieux inhérent à la dispensation de soins psychiatriques.
L’intitulé que nous proposons nous paraît beaucoup plus conforme au contenu réel du projet de loi.