Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 22 juin 2006 à 9h30
Législation funéraire — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner en première lecture les conclusions de sa commission des lois sur les propositions de loi n° 464 sur le statut et à la destination des cendres des personnes dont le corps a fait l'objet d'une crémation et n° 375 relative à la législation funéraire, présentées par M. Jean-Pierre Sueur et inscrites à l'ordre du jour de la séance mensuelle réservée en application du troisième alinéa de l'article 48 de la Constitution.

Ces deux propositions sont le fruit de l'engagement personnel et de la réflexion approfondie sur ces questions de notre collègue, qui fut le promoteur de la loi du 8 janvier 1993, laquelle a mis fin au monopole communal en matière d'organisation des obsèques et incontestablement permis la modernisation du service extérieur des pompes funèbres.

Ces dernières années, les pratiques funéraires connaissent de profondes mutations avec le développement important de la crémation et des contrats en prévision d'obsèques. La pratique de la crémation a en effet fortement progressé. Elle concernait moins de 1% des décès en 1980, 10 % en 1993 et 23, 5 %, soit près d'un quart, en 2004.

La crémation figure aujourd'hui dans les intentions de près de la moitié des souscripteurs de contrats en prévision d'obsèques, plusieurs dizaines de milliers de nouveaux contrats étant signés chaque année.

Des réformes récentes, la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit et l'ordonnance du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires prise sur son fondement, se sont efforcées de prendre en compte ces évolutions. La première a encadré les contrats en prévision d'obsèques en exigeant des devis détaillés et en permettant au souscripteur de changer aussi bien d'obsèques que d'opérateur funéraire, tandis que la seconde a prévu des mesures de simplification administrative et précisé la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation.

Malgré ces différentes avancées, des aménagements importants demeurent nécessaires et peuvent s'ordonner autour de quatre préoccupations : garantir la qualité des opérateurs funéraires ; renforcer la protection des familles ; apporter une réponse adaptée au développement très rapide de la pratique de la crémation ; revoir la conception et la gestion des cimetières.

Les conditions d'habilitation, liées à des critères stricts de technicité, de moralité et de nationalité, s'avèrent largement impuissantes à garantir la qualité des opérateurs funéraires, dont il semble nécessaire d'exiger des assurances plus concrètes de professionnalisme en développant la formation et en créant des diplômes pour chacun des métiers relevant du domaine funéraire.

C'est d'autant plus important que, par l'allégement des contrôles et la limitation des autorisations administratives, nous donnons davantage de responsabilités aux opérateurs, ce qui exige de pouvoir leur faire totalement confiance.

La transparence des prix est également insuffisante. Les familles endeuillées, souvent vulnérables, ne sont pas en mesure de comparer les devis des différents opérateurs, et leurs démarches sont encore compliquées par des régimes d'autorisations préalables et de vacations funéraires dont la multiplicité n'a d'égale que l'inefficacité.

Le développement de la crémation invite à s'interroger sur le statut des cendres et à remettre en question le caractère simplement facultatif de la création d'équipements cinéraires par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale.

Enfin, la réaffirmation de la conception du cimetière communal laïc et public semble s'imposer afin d'éviter la coexistence de sites cinéraires pour tous et de sites délégués offrant des options peut-être plus nombreuses et mieux étudiées mais à un prix supérieur pour les familles. La rue qui mène à nos cimetières communaux ne porte-t-elle pas souvent le nom de « rue de l'égalité » et n'est-il pas à la fois opportun et chargé de symbole d'y préserver cette fraternité des défunts au-delà des clivages de toutes sortes qui ont pu opposer les vivants ? Comment ne pas penser en outre qu'il est urgent de promouvoir l'esthétique des cimetières et de préserver ces lieux de recueillement de l'affligeante laideur qui en caractérise malheureusement aujourd'hui le plus grand nombre ?

En octobre dernier, la commission des lois, sur l'initiative de son président Jean-Jacques Hyest, décidait de confier à deux de ses membres issus de l'opposition et de la majorité, Jean-Pierre Sueur et moi-même, une mission d'information sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire.

Au terme d'une quarantaine d'auditions, cette mission formulait vingt-sept recommandations destinées à assurer la sérénité des vivants et le respect des défunts, titre que nous avons donné à notre rapport et qui reflète la constante préoccupation de notre démarche. La commission des lois a adopté, le 31 mai dernier, l'ensemble de ces recommandations, dont vingt-deux relèvent, au moins en partie, de la compétence du législateur et sont intégralement reprises dans la proposition de loi n°375.

C'est bien évidemment une satisfaction supplémentaire que de voir une première lecture devant le Sénat intervenir aussi rapidement et un partenariat étroit et fructueux se nouer avec le Gouvernement, par votre intermédiaire, monsieur le ministre, laissant espérer un aboutissement législatif de nos travaux avant la Toussaint 2006.

Je sais bien qu'un certain nombre de points nous opposent encore, même si la commission des lois a donné un avis favorable, lors de sa réunion d'hier, à bon nombre d'amendements du Gouvernement, mais je suis convaincu que l'état d'esprit qui nous anime les uns et les autres permettra de mettre à profit la procédure législative pour faire converger nos positions.

Il est vrai qu'un certain nombre de réformes que nous proposons bouleversent l'état actuel du droit.

Je n'en veux pour preuve que le statut des cendres. À partir du moment où nous considérons que les cendres des personnes dont le corps a donné lieu à crémation ne sont pas de simples choses, mais doivent être traitées avec respect, dignité et décence, il devient incontournable de mettre fin aux nombreuses dérives auxquelles nous assistons aujourd'hui et d'interdire tant leur appropriation privative que leur partage.

Si le Parlement accepte de nous suivre, chacun - famille, proches, amis - pourra aisément se recueillir devant les restes d'une personne décédée ou en face du lieu où ses cendres auront été dispersées, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Par ailleurs, nous ne vous proposerons pas de légiférer sur deux questions importantes qui mériteraient cependant une vaste réflexion ainsi que des adaptations de notre droit, celles des carrés confessionnels et du statut des foetus et enfants mort-nés au regard de l'acte d'enfant sans vie.

Lors de son audition par la mission d'information sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, le vice-président du Conseil français du culte musulman, Fouad Alaoui nous a appris que 80 % des corps des personnes de confession musulmane décédées dans notre pays, un nombre croissant d'entre elles ayant pourtant la nationalité française, étaient expatriés vers le pays d'origine de leurs familles, faute notamment de carrés confessionnels en nombre suffisant. C'est une évidence que de constater que cette expatriation ne favorise guère l'intégration des populations concernées.

Ce problème était évoqué en ces termes en avril 2003 par Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, lors du vingtième rassemblement de l'Union des organisations islamiques de France. Je le cite : « Je pense encore au problème des carrés musulmans dans les cimetières qui suppose que vous puissiez définir avec les maires ces emplacements. Chacun doit pouvoir enterrer ses morts, les prier, les honorer, les aimer dans le respect des religions et de sa culture. Devant la mort, nous sommes tous égaux. La peine d'un musulman est la même que celle d'un catholique, d'un juif ou d'un protestant. » Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs créé une commission chargée de mener une réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, qui abordera largement cette question.

Pour notre part, nous appelons à l'approfondissement du dialogue avec les maires et affirmons notre conviction que la tolérance, fille de la laïcité, devrait amener à faciliter les regroupements confessionnels au sein des cimetières.

C'est aussi le point de vue de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi, lorsqu'elle indique dans son rapport de 2003 que « la laïcité ne peut servir d'alibi aux autorités municipales pour refuser que des tombes soient orientées dans les cimetières ».

Quant à l'humanisation de la prise en charge des morts périnatales, si nous y sommes bien évidemment favorables, il nous semble nécessaire d'avancer avec beaucoup de prudence, afin d'éviter l'octroi d'un statut juridique au foetus qui risquerait de rejaillir sur d'autres législations, comme la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse.

Enfin, monsieur le ministre, nous nous permettons de vous inviter à un examen rapide des recommandations de la mission d'information revêtant un caractère réglementaire et, tout spécialement, de notre souhait de voir publiée rapidement une circulaire d'application des dispositions de la loi du 9 décembre 2004 encadrant le recours aux contrats en prévision d'obsèques.

Permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de citer en ultime conclusion et de mémoire, mais je pense sans en déformer les propos, le général de Gaulle, lorsqu'il écrivait : « Que demander à Notre- Dame la France, si ce n'est que, le jour venu, elle nous ensevelisse dans sa bonne et sainte terre. » Les temps ont certes quelque peu changé, mais l'ardente recherche de sérénité des vivants, ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas, se nourrira toujours du respect des défunts. C'est ce à quoi nous tentons modestement de contribuer aujourd'hui.

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