Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 22 juin 2006 à 15h00
Gestion de l'après-mines — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en introduction, je tiens à dire à Philippe Leroy que sa question au Gouvernement était tout à fait opportune. Venant après la discussion, en 2004, de sa précédente question sur l'après-mines, elle nous permet en effet de parler à nouveau ou, devrais-je dire, de continuer à parler de la gestion de ce dossier et, avec l'espoir de les résoudre un à un, des nombreux problèmes qui demeurent en suspens, problèmes qui parfois sont douloureux pour les populations des bassins miniers, qui en tout cas les préoccupent et préoccupent les élus.

Tous, nous avons présent à l'esprit que ces régions, qui ont joué un rôle essentiel dans le développement de la France pendant un siècle et demi et qui souffrent depuis quelques années, méritent une attention particulière, et chacun aura relevé la cohérence de la Lorraine sur ce sujet, dont je regrette d'ailleurs à mon tour qu'il ne semble toucher que notre région, alors qu'il y a 300 bassins miniers en France.

Je voudrais éviter les redondances avec les interventions précédentes, mais, inévitablement - la répétition n'est-elle pas cependant l'art de la pédagogie ? -, mon propos portera sur un certain nombre de points déjà évoqués : l'indemnisation des sinistrés, l'élaboration des PPRM, le devenir de l'agence de prévention et de surveillance des risques miniers et les futurs contrats de projets État-région.

L'indemnisation des sinistrés est le premier point que je traite parce qu'elle s'adresse aux populations les plus touchées dans ce qui leur est cher.

Après l'intervention des sociétés minières elles-mêmes ou de leurs assureurs et le règlement de la délicate question des clauses restrictives dans les contrats de vente aux particuliers, qui n'a pas été évoquée aujourd'hui mais qui a fait couler beaucoup d'encre par le passé, puisque certains particuliers s'étaient, sans le savoir, engagés à ne jamais se retourner contre les sociétés minières, l'État s'est substitué aux sociétés minières défaillantes et la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages a mis en place - comme le rappelait Philippe Leroy, le consensus était général - un nouveau dispositif d'indemnisation par le biais du fonds de garantie des dommages immobiliers d'origine minière, et c'était en effet une excellente chose.

Mais nous répétons, et nous répéterons encore, que cette loi n'intervient que pour les dégâts survenus à compter du 1er septembre 1998, alors même que les premiers effondrements ont été constatés dès 1994.

Les chiffres que je vais citer recoupent ceux qui ont été précédemment avancés.

Selon les services de la préfecture de la région Lorraine, à la fin de 2005, 287 demandes d'indemnisation ont été enregistrées par le fonds de garantie. La majorité de ces dossiers porte sur la commune de Roncourt, qui avait été particulièrement touchée, et sur le fameux secteur du bassin de Landres-Piennes.

À ma connaissance, sur ces 287 dossiers, 115 ont été traités - dont 85 dossiers indemnisés et 30 demandes rejetées - et six sont en cours d'instruction.

Quant aux 166 autres dossiers, ils sont encore en instance, la plupart d'entre eux - Philippe Leroy a cité le nombre de 140 - étant antérieurs au 1er°septembre 1998. L'évaluation annoncée par M. Devedjian, alors ministre délégué à l'industrie, voilà un an et demi, n'a pas été publiée, mais, sur le terrain, nous savons qu'il s'agit de sinistres de faible ampleur dont l'indemnisation s'élèverait en moyenne à 2 000, 3 000 ou 4 000 euros au plus.

Dans ces conditions, il semble à tous que l'État s'honorerait s'il prenait en charge l'ensemble de ces dossiers antérieurs à 1998 pour régler cette question lancinante. Certes, il paraît qu'il y a des règles et qu'il pourrait y avoir une jurisprudence, mais, le délai, qui, en la circonstance, est de dix ans, nous ramène à 1996 et il n'y a plus grand risque que cette jurisprudence trouve encore à s'appliquer. À l'évidence, une telle mesure contribuerait à renforcer la notion d'égalité d'indemnisation de toutes les victimes de dégâts miniers.

L'élaboration des plans de prévention des risques miniers constituera, je l'ai dit, le deuxième point de mon intervention.

Lors du débat sur l'après-mines d'octobre 2004, le ministre en charge de ce dossier avait dit qu'il attachait une grande importance au déploiement rapide des PPRM et il avait même assuré que le bassin ferrifère lorrain serait traité en priorité.

Je veux témoigner ici de l'effort qui a été accompli : les acteurs impliqués, GEODERIS, les DRIRE, les DDE, ont fait, compte tenu des moyens dont ils disposaient, aussi vite que possible. À ce jour, pratiquement tous les PPRM sont prescrits - en Meurthe-et-Moselle, ils le sont tous.

Dans un premier temps, à la demande des préfets, la quasi-totalité des PPRM ont été appliqués par anticipation, avec l'inconvénient que les zones d'aléas n'avaient pas toutes étaient fixées.

Nous avons alors constaté de la part des services instructeurs des permis de construire, des interprétations diverses selon les départements, en particulier sur les zones à affaissements résiduels, c'est-à-dire les zones à aléas beaucoup plus faibles Ainsi, on a pu voir, sur un même bassin minier s'étalant sur deux départements limitrophes, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, des décisions divergentes, acceptation dans un cas, refus dans l'autre, alors que les circonstances étaient identiques.

Ce n'est évidemment pas très convenable et cela prouve qu'il serait bon qu'une attitude cohérente soit définie assez « haut » pour que les règles soient appliquées de la même manière dans tous les départements.

Plus grave, ces dysfonctionnements ayant été constatés, une décision de caractère administratif est « tombée » - je suppose qu'elle émanait de la préfecture de la région -, imposant par précaution une application très stricte des PPRM en cours d'élaboration.

Ainsi, là où on avait été d'abord plus « large » et où des fondations avaient, après approbation de bureaux d'études, été acceptées, il a fallu revenir en arrière. Les maires qui avaient conseillé les pétitionnaires sur la base des premières instructions se sont vus, dans une certaine mesure, désavoués et ils ont aujourd'hui le sentiment que l'on est revenu en arrière.

En conséquence, après un progrès, l'application mal coordonnée des règles a finalement rendu plus complexe l'examen des permis de construire, ce qui a eu pour effet de multiplier le nombre des refus.

Peut-être, monsieur le ministre, avez-vous, conjointement avec votre collègue chargé du logement, un rôle à jouer à ce stade, car il conviendrait de mettre les différentes administrations d'accord entre elles afin d'assurer un traitement égal sur l'ensemble du territoire.

Le troisième point de mon intervention portera sur l'Agence de prévention et de surveillance des risques miniers.

Cette agence a été évoquée par Philippe Leroy et par Gérard Longuet. Elle est d'ailleurs évoquée un peu partout, mais il semble que cela n'aille pas plus loin... Membre de son conseil d'administration, je la pratique depuis sa mise en place et je reprends une comparaison que j'ai déjà faite : on a le sentiment que chacun est un peu honteux qu'après un accouchement difficile on ait donné naissance à un enfant malformé.

Je voudrais que l'on parle sereinement de l'APSRM.

Le législateur en 1999, sur le fondement du rapport du député de Meurthe-et-Moselle Jean-Yves Le Déaut, avait décidé la création de cette agence pour assurer une véritable mémoire de l'après-mines dans un lieu de partage des connaissances d'où celles-ci pourraient être transmises de manière simple et rapide.

Défini dans la loi puis précisé par un décret qui, il faut bien le dire, avait tardé puisqu'il avait fallu attendre trois ans sa publication, ce qui prouve qu'il y avait des réticences, au plus haut niveau de l'État ou dans certains ministères, quant à la mise en place de cette agence, le rôle de celle-ci devait être le suivant : recueillir les pièces essentielles du dossier d'arrêt d'exploitation minière ; conserver dans ses locaux et sous sa responsabilité ces documents ; les mettre à la disposition des personnes et collectivités qui en auraient l'usage.

Elle devait par ailleurs être associée par le préfet à toutes les étapes de l'élaboration des plans de prévention des risques miniers établis en application de l'article 94 du code minier, « son avis [étant] réputé favorable s'il n'est pas exprimé dans le délai d'un mois à compter de chacune de ses saisines », phrase qui a elle seule fait apparaître qu'il s'agit d'un avis purement formel.

L'agence devait en outre pouvoir être consultée, ce qu'elle n'a jamais été, sur les projets de textes réglementaires portant sur la prévention des risques miniers.

Après une difficile mise en place et une difficile montée en puissance, l'agence a dû faire face à une autre difficulté : son budget a sans cesse été revu à la baisse.

Tout cela fait planer, on le sent bien, un doute réel sur son existence future.

Je voudrais faire un petit historique de cette agence depuis sa création en 2002 et rappeler au Sénat, qui a désigné parmi ses membres deux administrateurs, lesquels ont donc à rendre compte de ce qui s'y passe, qu'au fond elle a toujours été dans une situation extrêmement délicate, et c'est un euphémisme.

En 2003, année de son démarrage, il a été procédé à la nomination du président et du directeur. Mais l'exécution du budget n'a pu être conforme aux prévisions puisque le directeur a démissionné en novembre de la même année - je ne cherche pas à savoir pourquoi, mais il a démissionné.

En 2004, alors même que le directeur n'a toujours pas été remplacé, c'est le président qui, cette fois, démissionne après quelques mois d'activité. Donc, l'exécution budgétaire n'a été que partielle, extrêmement faible.

En 2005, si un nouveau président est nommé en janvier, le directeur n'est nommé qu'en mai. Le fonctionnement réel ne peut se faire qu'à partir de cette date, c'est-à-dire pendant l'été 2005. Puis, à partir de la mi-septembre, ordre est venu d'en haut de mettre un terme à un fonctionnement raisonnable. En effet, sur la subvention initiale, qui avait été fixée à 550 000 euros pour cette année, on a versé 36 000 euros seulement, invoquant des réserves de l'année précédente. À l'évidence, on ne pouvait pas continuer à travailler ainsi. En tant qu'administrateur, j'ai même reçu, à un moment donné, des appels téléphoniques de la part de personnels de l'agence, pas payés depuis quatre mois, ce qui est quand même étrange pour un établissement public d'État !

Évidemment, en 2006, l'engagement financier est totalement insuffisant. En effet, le budget de cette année s'élève à 212 000 euros. Je rappelle que pour 2004, année a priori de plein fonctionnement, c'était 850 000 euros. C'est clair : si on lui donne 212 000 euros, c'est qu'on la condamne à l'inertie !

La tâche de cette agence est plus que difficile : elle est impossible. Au regard des missions qui lui sont fixées par la loi, elle n'a pas les moyens de fonctionner et elle n'a pas le potentiel d'intervention suffisant.

Au regard de son statut, on est un peu dans le ridicule. Il est évident qu'un établissement public qui emploie deux ou trois personnes, franchement, ce n'est pas adapté, ce n'est pas proportionné.

Au regard des besoins de gestion de l'après-mines, on peut s'interroger. Ce sont les textes réglementaires qui le disent. Actuellement, le décret ne lui donne l'accès qu'à 10 % des dossiers d'arrêt définitif d'exploitation minière : elle ne verra pas 90 % des textes compte tenu de la date retenue de 2001. Pour ne citer qu'un exemple, s'agissant du bassin ferrifère lorrain dont l'arrêt définitif a eu lieu avant 2001, elle ne disposera jamais des documents de fermeture de ces concessions. C'est tout de même assez surprenant ! Nous, Lorrains, qui sommes ici, il faut que nous le sachions, au moment où nous parlons de cette agence.

Insuffisamment dotée pour assurer ses strictes missions, son fonctionnement n'est évidemment pas satisfaisant, et cela renforce l'idée d'une agence peu présente, voire inutile. Vous l'avez bien compris, si je dis tout cela, c'est pour montrer qu'on ne peut évaluer l'action de cette agence au vu de ses réalisations : elle n'a jamais pu maîtriser convenablement son développement.

Il est assez tentant, à ce stade, de dire qu'au fond sa suppression n'aurait pas de conséquences. Le BRGM, par exemple, serait tout à fait adapté pour traiter des questions dont elle est chargée. Les archives départementales, entre autres structures, pourraient aussi traiter de ces questions, encore que M. Philippe Leroy nous ait mis en garde contre le risque de trop surcharger les archives départementales.

Honnêtement, je trouve le raisonnement un peu court. Il faut revenir à l'esprit : l'agence devait représenter un espace d'échange où pourraient s'exprimer sans contrainte élus et services de l'État, en particulier sur le sujet épineux des plans de prévention des risques miniers et, plus largement, sur toutes les questions d'aménagement et d'urbanisme en domaine minier, par nature contraint.

L'agence possède en elle cette légitimité intéressante, car elle est l'un des seuls intervenants à pouvoir introduire dans la médiation des arguments techniques autres que ceux qui sont avancés par les services de l'État chargés de l'instruction.

Pour le moment, le statut de l'agence est original. Les tâches centralisées au niveau du ministère qui seront menées ne sont pas actuellement envisageables par les entités après-mines ni par les archives territoriales.

La seule question qui se pose à nous est une question de fond : y a-t-il encore intérêt à disposer au sein du dispositif national d'un lieu de concertation et de coordination - la question des PPRM est un bon exemple - qui a valeur de référent, de centre de ressources et d'appui à la gestion de l'après-mines ?

Ayant été l'un des rares à participer à la gestion de cette agence - un second sénateur avait été désigné mais n'ayant pu occuper la fonction de président qu'il briguait, il a démissionné immédiatement et critique depuis systématiquement cette agence à l'administration de laquelle il ne participe pas -, je réponds oui, sans hésitation. En effet, je ne veux pas laisser les collectivités locales seules face à la technique et à l'administration. Déjà dans une situation difficile, elles ont besoin, à l'évidence, d'une médiation originale, et c'était le cas. De ce point de vue, rien n'interdit de penser qu'elle pourrait être plus présente au moins dans sa déclinaison au niveau régional.

Rien ne l'interdit après tout. Certes, je sais que l'on fait souvent la comparaison avec les plans de prévention des risques naturels, lesquels sont élaborés sans qu'il y ait une agence nationale des risques naturels. J'en conviens, mais l'activité minière se rapproche plus, en termes de risques, des risques technologiques. Or pour ce qui est de ces derniers, on a mis en place, que je sache, des comités locaux d'information qui réunissent élus et population. Ils prouvent que, sur ces questions, une concertation à la base est nécessaire.

Réfléchissons-y à deux fois avant de s'engager dans la suppression de cette agence au prétexte qu'elle n'aurait pas suffisamment travaillé. Elle n'en a jamais eu les moyens. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain !

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