Intervention de Jean-François Humbert

Réunion du 22 juin 2006 à 15h00
Arbitres — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert, rapporteur de la commission des affaires culturelles :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la situation de l'arbitrage dans notre pays est préoccupante et se caractérise par une tendance de fond extrêmement inquiétante : la chute continue du nombre d'arbitres sportifs. En cinq ans, plus de 20 000 arbitres, toutes disciplines confondues, sur les quelque 153 200 actuellement en activité, auraient ainsi quitté la profession, faute de soutien des instances sportives et de l'État.

Toutes les fédérations ne sont certes pas concernées et toutes les disciplines ne sont pas touchées de manière comparable par cette tendance de fond. Certaines d'entre elles évoquent ainsi le manque crucial d'arbitres au regard du nombre théoriquement nécessaire ; d'autres sont plus nuancées.

À titre d'exemple, la Fédération française de football, qui compte dans ses rangs pas moins de 27 000 arbitres, constate un taux de rotation extrêmement important au niveau de son corps arbitral : 60 % des nouveaux arbitres abandonneraient l'activité après trois ans d'exercice et 30 % après une année d'activité seulement.

Cette difficulté à susciter des vocations, qui pourrait handicaper dans les années à venir l'organisation de certaines manifestations sportives, est principalement liée à deux facteurs principaux.

Le premier facteur tient au développement des incivilités, voire des violences, sur les terrains de sport et autour de ces terrains. Il ne faut certes pas dramatiser la situation en ce domaine. Sur le plan purement statistique, les violences à l'encontre des arbitres restent en effet marginales. On compte ainsi moins d'un millier de plaintes déposées pour agression chaque année, ce qui est assez peu lorsque l'on sait que, dans le même temps, ce sont plusieurs millions de rencontres qui sont organisées dans notre pays.

Ces chiffres ne reflètent toutefois qu'une partie de la réalité. De nombreux arbitres agressés évitent en effet de porter plainte par peur des représailles ou estiment qu'il n'est pas nécessaire de saisir la justice pour un simple coup de poing.

L'auteur d'un article paru dans Le Monde du 29 mai dernier et intitulé « Le blues des arbitres du dimanche », faisait à cet égard le constat suivant : « La dégradation du climat social au sein du football du dimanche échappe aux statistiques. Insultes, invectives intimidations, accrochages, pressions des dirigeants ou du public ... Tous les arbitres le disent : diriger une rencontre devient de plus en plus difficile, même au plus petit niveau ».

Sans trop s'étendre sur ce phénomène et sans s'appesantir sur les affaires les plus dramatiques, il convient ainsi de garder à l'esprit que les arbitres qui décident de cesser leur activité le font majoritairement en raison du développement de la violence.

Le second facteur expliquant le manque d'attractivité de l'arbitrage en France tient aux ambiguïtés du régime social et fiscal applicable aux arbitres. La législation en ce domaine est en effet extrêmement lacunaire et ne permet pas d'identifier avec certitude le régime applicable aux indemnités perçues par les représentants du corps arbitral.

Ainsi, aucune disposition réglementaire ne permet de qualifier la relation qu'entretient l'arbitre avec la fédération dont il est licencié. La nature de cette relation a pourtant des conséquences importantes puisque le régime social et fiscal des indemnités versées aux arbitres devrait être fonction du degré de dépendance ou d'indépendance de ces derniers dans le cadre de leur activité arbitrale.

Faute de cadre juridique clair et précis, les arbitres se tournent aujourd'hui, pour justifier l'exonération des sommes qu'ils perçoivent, vers le système de franchise instituée par la circulaire interministérielle du 28 juillet 1994.

Destinée aux travailleurs salariés, cette circulaire prévoit des mesures dérogatoires pour les sportifs et les personnes participant à l'activité du monde sportif et pose un principe d'exonération de charges sociales pour les sommes versées au titre de l'arbitrage dans la limite d'une valeur égale à 70 % du plafond journalier de la sécurité sociale et de cinq manifestations arbitrées par mois. Au-delà des limites posées par la circulaire, les arbitres choisissent en revanche la plupart du temps de se déclarer comme indépendants.

Salariés en deçà, indépendant au-delà, il y a là une contradiction sur laquelle les pouvoirs publics devaient se pencher au risque de laisser se perpétuer une insécurité juridique préjudiciable pour le corps arbitral.

Ce bref panorama des difficultés juridiques, sociales et fiscales rencontrées par les arbitres et les juges dans notre pays permet de mesurer l'ampleur de la tâche à accomplir afin de rendre son attrait à l'activité arbitrale.

Si l'arbitre « fait parti du jeu », comme aiment à le rappeler les commentateurs sportifs, il est du devoir du législateur d'offrir à celui-ci les garanties lui permettant d'exercer son activité dans de bonnes conditions. C'est le sens de la proposition de loi que nous discutons aujourd'hui.

Ce texte n'a certes pas l'ambition de régler tous les problèmes liés à l'exercice d'une activité qui s'apparente parfois à un véritable sacerdoce ; il tend simplement à définir les bases d'un cadre juridique pérenne susceptible d'aboutir à la reconnaissance d'un véritable « statut » de l'arbitrage.

Ce texte tend en premier lieu à insérer trois nouveaux articles dans le code du sport.

Le premier article pose le principe de l'indépendance et de l'impartialité des arbitres dans le cadre de l'exercice de leur mission arbitrale et tend à leur reconnaître explicitement le principe d'une « indépendance technique » : en tant que garant de la règle du jeu sur le terrain, l'arbitre ne reçoit d'ordre de personne et prend ses décisions en toute indépendance.

Le deuxième article vise à faire bénéficier les arbitres de la protection pénale spécifique accordée aux personnes chargées d'une mission de service public. Les violences infligées aux arbitres ou les menaces proférées à leur encontre dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur mission seront désormais considérées comme des violences ou des menaces aggravées, passibles des peines renforcées prévues dans le code pénal.

Certains d'entre vous se demandent peut-être si la dissuasion est en mesure d'éviter les actes incontrôlables que les arbitres redoutent et qui constituent l'essentiel des agressions. L'exemple du Rhône semble indiquer que oui.

Dans ce département longtemps montré du doigt, les barèmes disciplinaires ont été relevés de manière spectaculaire en 2001. Depuis cette date, tout coup porté sur un arbitre par un joueur entraîne la radiation à vie de celui-ci, alors que le règlement de la Fédération française de football prévoit seulement une exclusion minimale de cinq ans. Au total, si en 2001 le département du Rhône avait connu 15 agressions d'arbitres, une seule a été enregistrée cette saison.

Le troisième article inséré dans le code du sport exclut tout lien de subordination caractéristique du contrat de travail entre l'arbitre et sa fédération de rattachement. Au regard du code du travail, l'arbitre - ou le juge - est donc considéré non plus comme un salarié de la fédération, mais comme un travailleur indépendant dans l'accomplissement de sa mission. Cette précision me paraît essentielle puisqu'elle devrait mettre un terme définitif aux controverses jurisprudentielles et doctrinales qui ont pu se développer à ce sujet au cours des dernières années.

En sus de ces modifications concernant le code du sport, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter un dispositif fiscal et social permettant de sortir de l'insécurité juridique qui apparaît lorsque les arbitres recourent à la franchise créée par la circulaire du 28 juillet 1994.

Ce dispositif se présente sous la forme de deux articles distincts consacrés aux modifications apportées respectivement au code général des impôts et au code de la sécurité sociale.

En matière sociale, trois dispositions méritent d'être commentées.

La première vise à clarifier et à consolider le statut des arbitres au regard du droit de la sécurité sociale en leur offrant un rattachement systématique au régime général.

La deuxième consiste dans un mécanisme d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale pour les sommes versées à compter du 1er janvier 2007 par les fédérations aux arbitres, dans la limite de 35 fois le montant du plafond journalier de la sécurité sociale.

Avec la troisième, les fédérations sportives seront tenues de remplir les obligations relatives aux déclarations et versements des cotisations et contributions afférentes aux rémunérations versées aux arbitres et juges sportifs, qui seront donc déchargés de cette tâche.

La proposition de loi tend enfin à aligner le régime fiscal des indemnités versées aux arbitres sur le régime social que je viens de décrire : d'une part, les indemnités versées dans le cadre de l'arbitrage seront assimilées à des bénéfices non commerciaux ; d'autre part, ces sommes seront exonérées d'impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2007, dans la limite de trente-cinq fois le montant du plafond journalier de la sécurité sociale.

En guise de conclusion, je formulerai l'espoir que ce texte, destiné à l'ensemble du corps arbitral - et non pas à certaines catégories seulement, comme certains pourraient le croire -, permettra d'assurer la pérennité d'une activité indispensable à la pratique sportive et au bon déroulement des compétitions.

En conséquence, mes chers collègues, je vous demande, sous réserve des modifications qui pourraient lui être apportées, d'adopter cette proposition de loi.

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