Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 22 juin 2006 à 15h00
Arbitres — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Jean-Marc TodeschiniJean-Marc Todeschini :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, intervenir aujourd'hui sur le statut des arbitres, c'est, en pleine coupe du monde de football, intervenir sur un sujet pleinement d'actualité.

Les quelques matchs de poules qui se sont déroulés ces derniers jours ont mis en avant le rôle, l'impartialité, et toutes les difficultés liées à une mission d'arbitrage.

Toutefois, même si ces arbitres internationaux de haut niveau sont capables d'erreurs d'appréciation et de jugement comme les arbitres amateurs, ces professionnels sont loin de connaître les mêmes désagréments que les bénévoles des fédérations. C'est donc bien à ces arbitres amateurs et bénévoles que cette proposition de loi déposée par notre collègue Jean-François Humbert doit s'adresser en priorité.

Si la question du statut des arbitres est un sujet important, car elle fut pendant longtemps abandonnée, elle donne le sentiment d'avoir soudainement été traitée avec hâte. Mais j'ai trop de respect pour les arbitres pour me permettre de poursuivre avec de tels propos lorsque nous connaissons tous leurs attentes et leurs besoins.

Nos 153 000 arbitres, souvent victimes d'ingratitudes et parfois même de violences lors de compétitions, sont les dignes représentants de la citoyenneté, les garants des valeurs que le sport véhicule : apprentissage et respect des règles, justice, égalité et tolérance ; ils en sont les dépositaires.

Je souhaiterais juste comprendre pourquoi le Gouvernement ne s'est pas saisi complètement de ce dossier, n'est pas allé jusqu'au bout des démarches qu'il a entreprises. En effet, à la vieille des journées de l'arbitrage d'octobre 2005, le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative a présenté aux présidents des fédérations et aux représentants du corps arbitral la synthèse des travaux des groupes de travail mis en place sur votre initiative, monsieur le ministre, au mois de mai 2005.

Dans cette synthèse réalisée par Mme Leclerc de Hautecloque, six propositions relatives à l'évolution du statut de l'arbitre avaient été retenues et devaient faire l'objet d'un projet de loi spécifique. Or nous examinons aujourd'hui non pas un projet de loi du Gouvernement, mais une proposition de loi enregistrée à la présidence du Sénat le 26 avril dernier.

Cette proposition de loi, qui complétait l'article 25 de la loi du 16 juillet 1984, a été toilettée pour son examen en commission, parce qu'elle devait s'adapter à une ordonnance prise par le Gouvernement le 23 mai 2006 et qui abrogeait cet article 25.

Ce point est peut-être un détail qui relève plus de la forme que du fond, mais je tente toujours de comprendre.

J'en viens maintenant au contenu des quatre articles qui nous sont soumis.

Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je partage les objectifs qui sous-tendent cette proposition de loi tendant à répondre à la baisse continue des effectifs du corps arbitral et à lutter contre les incivilités et les violences dont sont victimes les arbitres et les juges.

Je n'ignore pas que le manque d'attractivité de l'arbitrage tient également aux incertitudes entourant le régime social et fiscal applicable aux indemnités versées aux arbitres dans le cadre de leur activité.

Je n'ignore pas non plus que ni la loi ni les règlements ne sont venus définir un régime qui pourrait pourtant se révéler incitatif aux yeux de nos concitoyens.

Cette absence de cadre légal précis laisse un flou total quant à la nature du lien existant entre l'arbitre et sa fédération. Indépendance ou subordination ? De cette question centrale découle la nature du régime fiscal et social à retenir et d'éventuelles conséquences juridiques lourdes.

Si cette proposition de loi n'a certes pas pour ambition de régler tous les problèmes liés à l'exercice de cette activité, mais est simplement l'occasion de commencer ce travail nécessaire à l'instauration d'un véritable statut de l'arbitre et du juge, elle soulève quelques interrogations.

L'article 1er aborde trois notions fondamentales que je développerai : l'indépendance et l'impartialité des arbitres, la mission de service public et le lien de subordination.

Je commencerai par la mission de service public, qui me semble poser le moins de problèmes.

Au cours de ces cinq dernières années, toutes disciplines confondues, plus de 20 000 arbitres ont abandonné leur sifflet. Dans le football, 60 % des nouveaux arbitres ont quitté leurs crampons après trois ans d'activités et 30 % après une année seulement d'exercice.

Pour beaucoup, la crise des vocations semble liée au développement des incivilités, voire des violences sur et autour des terrains de sport.

On dénombre près d'un millier de plaintes pour agression par an. Ce chiffre peut paraître marginal au regard du million de compétitions organisées et du nombre d'arbitres dans notre pays. Mais aussi minime soit-il, ces violences ne peuvent rester impunies, car elles ne menacent pas seulement les arbitres et les juges dans leur intégrité physique et morale : elles remettent en cause les valeurs nobles que le sport véhicule et que j'évoquais précédemment.

Rendre les arbitres et les juges titulaires d'une mission de service public, c'est leur offrir une protection importante, puisque les agressions, outrages ou menaces dont ils sont victimes seront soumis aux peines aggravées prévues par le code pénal.

J'y suis favorable, comme le groupe auquel j'appartiens, même si l'on peut s'interroger sur la nécessité d'appliquer cette mission de service public au sport professionnel, par exemple, qui n'est pas soumis aux mêmes risques que le sport amateur.

Néanmoins, leur confier une telle mission peut permettre à ces arbitres, souvent agents de la fonction publique au titre de leur activité principale, de ne pas se trouver en situation d'illégalité au regard du principe selon lequel « les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit ».

La notion d'indépendance et d'impartialité prévue à l'article 1er semble faire référence à une simple et unique indépendance technique dans la mesure où l'arbitre et le juge demeurent soumis au contrôle d'exercice de la mission par leur fédération. Cette compétence de contrôle des fédérations ne contredit-elle pas cette notion d'indépendance ?

Certes, cette notion telle que définie à l'article 1er peut se comprendre et se justifier par la volonté de l'auteur de la proposition de loi d'exclure tout lien de contrat de travail entre l'arbitre et sa fédération de rattachement. Le seul lien qui existerait entre eux serait celui qui serait conféré par l'obligation d'avoir une licence.

À défaut de lien de subordination, l'arbitre et le juge sont considérés non pas comme des salariés, mais comme des travailleurs indépendants. Cette idée qu'aucun lien de subordination ne peut être opposé me semble précipitée, dangereuse et incohérente.

Elle est précipitée, car en refusant d'attribuer la qualité de salarié aux arbitres, les fédérations se trouvent exonérées de la souscription d'une assurance en responsabilité civile pour ces derniers. Il s'agissait pourtant d'une obligation imposée aux fédérations par l'article 25 de la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

Or cet article a été abrogé par ordonnance en mai dernier et la proposition de loi que nous examinons n'en fait plus état dans sa nouvelle version. Quid des assurances en responsabilité civile des fédérations ? Vous me répondrez probablement sur ce sujet, monsieur le ministre.

Cette idée est dangereuse, car en entérinant le statut de travailleur indépendant des arbitres, la loi va permettre de protéger les fédérations contre d'éventuels recours devant les tribunaux d'arbitres rétrogradés ou destitués. Les arbitres seront démunis et n'auront plus aucune possibilité de contester les décisions et les sanctions des fédérations. L'indépendance sera de nouveau compromise.

Cette inexistence de lien de subordination est également incohérente. Comment peut-on croire qu'un arbitre ou un juge pourrait être considéré comme un travailleur indépendant, un prestataire de service public, alors qu'il ne dispose d'aucune liberté dans l'organisation de son travail, dans le choix des matchs, des horaires, des programmes de formation et de mise en condition et qu'il est soumis au règlement et au contrôle de la fédération qui le rémunère ?

Sur ce sujet, la jurisprudence est contrastée. Les derniers arrêts rendus en la matière, dont celui du tribunal administratif de Dijon du 14 janvier 2003, ont retenu l'existence d'un lien de subordination.

L'article 1er confère un pouvoir de contrôle aux fédérations Par conséquent, il y a non plus entière liberté mais bien subordination ; j'y reviendrai lors de l'examen des amendements.

Cette question de l'existence d'un lien de subordination est déterminante quant au choix du régime fiscal et social auquel sera soumis l'arbitre ou le juge.

Ce régime fiscal est abordé à l'article 2 de la proposition de loi qui tend à assimiler les indemnités perçues par les arbitres à compter du 1er janvier 2007 à des bénéfices non commerciaux, puisque l'article 1er consacre l'absence de tout lien de subordination caractéristique du contrat de travail.

Dès lors que ces indemnités sont considérées comme des bénéfices non commerciaux, elles deviennent des honoraires versés en contrepartie d'une prestation de service et elles devraient être automatiquement soumises à la TVA et à la taxe professionnelle. Je n'ignore pas que des possibilités d'exonération existent. Il y a en effet le système de la franchise défini par la circulaire du 28 juillet 1994 et visant les personnes en situation de salariat.

Je trouverais inégalitaire de soumettre les arbitres et les juges à la taxe professionnelle. En effet, l'article 1460 du code général des impôts énumère certaines catégories socioprofessionnelles exonérées de taxe professionnelle, parmi lesquelles « les sportifs pour la seule pratique d'un sport ».

Les arbitres et les juges font partie du monde sportif ; sans eux il n'y aurait pas de compétitions. Dans l'article 6 de la proposition de loi initiale, M. Humbert complétait l'article 1460 du code général des impôts en y incluant les arbitres ou juges. Pourquoi ne pas l'avoir repris dans la proposition définitive ?

De même, un amendement déposé sur ce sujet a été retiré par son auteur. Là aussi, monsieur le ministre, je souhaite comprendre et je ne doute pas que vous me répondrez.

Par ailleurs, l'article 2 vise à exonérer de l'impôt sur le revenu les indemnités perçues dans la limite de trente-cinq fois le montant du plafond journalier de la sécurité sociale pour une année civile, comme l'article 3 pour les cotisations de sécurité sociale et de CSG, soit, si je prends le plafond journalier fixé pour 2006 de 143 euros, 5005 euros.

Jusqu'ici, la circulaire du 28 juillet 1994 exonérait les sommes versées aux arbitres, théoriquement salariés, dans le cadre de leur activité arbitrale dans la limite de 70 % du plafond journalier de la sécurité sociale et de cinq manifestations sportives par mois.

L'application pratique de ce dispositif se traduisait en 2005 par une exonération de 81 euros par manifestation, soit une exonération de 4872 euros par an.

La référence annuelle pour 2005, calculée à partir du plafond de 4872 euros et du plafond journalier de la sécurité sociale qui était alors de 116 euros, se serait élevée à quarante-deux fois le plafond de la sécurité sociale.

Ce chiffre de quarante-deux avait été retenu dans la première proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert. Il aurait dû conduire à un plafond annuel de plus de 6000 euros. Pourquoi être passé à un indice de trente-cinq ? Pourquoi l'avoir calculé à partir du plafond annuel de 2005 et du plafond journalier de 2006 ?

Si c'est pour rester dans l'épure de la circulaire du 28 juillet 1994, pourquoi nous dire que le dispositif qui était appliqué était injuste et inadapté aux caractéristiques d'une saison sportive ? Il suffisait d'annualiser l'ensemble.

Au-delà de cette remarque, si les exonérations prévues devaient permettre à la grande majorité des arbitres qui perçoivent une rémunération dérisoire au titre de leur activité de ne pas être pénalisés, elles soulèvent deux interrogations : la première concerne le rôle des fédérations et la seconde les frais professionnels. Mais nous avons déposé un amendement visant à régler ce problème des frais professionnels et le Gouvernement a fait de même deux jours après ; j'y reviendrai tout à l'heure lors de l'examen des articles.

S'agissant du rôle des fédérations, les arbitres n'étant plus considérés comme des salariés, que se passera-t-il lorsqu'un arbitre ou un juge sera en arrêt de travail après s'être blessé en exerçant sa mission pour le compte de sa fédération de rattachement ? Dans quelle situation se trouvera-t-il par rapport à son emploi principal ?

En conclusion, la crise des vocations est réelle. Elle s'explique avant tout par l'augmentation des violences, des incivilités, du caractère ingrat de la mission. Elle s'explique aussi par le régime fiscal et social. Mais sur ce point, nous devons être très vigilants, car il faut éviter que les dispositifs prévus ne découragent les arbitres amateurs.

Cette proposition de loi doit aboutir à la définition d'un vrai statut de l'arbitre. L'attente du corps arbitral est forte.

Confier aux arbitres et aux juges une mission de service public est une solution pour les protéger des violences dont ils peuvent être victimes, mais le groupe socialiste, qui ne votera pas contre cette proposition de loi, souhaite que la réflexion engagée se poursuive afin de donner au corps arbitral un vrai statut juridique, juste et sécurisant.

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