Comme je l’ai expliqué lors de la discussion générale, nous tenons beaucoup à cet amendement relatif au « délit de solidarité ». En rhétorique, cette expression s’appelle un oxymore : comment la solidarité pourrait-elle être un délit ? L’expression est contradictoire dans ses termes mêmes, mes chers collègues !
Nous avons maintes fois eu l’occasion de défendre nos positions à ce sujet ; nous avons même déposé une proposition de loi sur cette question et notre dernière tentative n’est pas lointaine, puisqu’elle a eu lieu au moment de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Le rapporteur et le Gouvernement nous avaient alors répondu que l’amendement que nous avions présenté ne correspondait pas à l’objet du texte en discussion : comme la proposition de loi dont nous discutons actuellement n’a ni objet, ni sujet, ni complément direct ou indirect, j’espère que l’on ne m’opposera pas qu’elle n’est pas appropriée. Si tel devait être le cas, elle ne serait, par définition, appropriée à aucun amendement !
J’espère aussi que l’on ne nous opposera pas – j’essaie de simplifier la tâche du rapporteur ! – que cet amendement devrait être déposé lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, ce qui permettrait de modifier le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA. Cet argument tomberait immanquablement, étant donné que l’article 124 de la présente proposition de loi modifie justement le CESEDA. Ce qui peut être fait à l’article 124 peut donc être fait dans cet article additionnel.
Trêve de discussions sur la forme, parlons du fond ! Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, vous savez bien que ce « délit de solidarité » n’est pas acceptable. Actuellement, « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ». Ces dispositions visent à dissuader toute aide et toute solidarité, y compris familiale, envers ces étrangers en situation irrégulière, qui connaissent, dans la majorité des cas, une détresse extrême.
Nous sommes clairs : s’il s’agit de lutter contre la criminalité, nous sommes d’accord avec cette mesure ; s’il s’agit de lutter contre les trafics qui provoquent l’échouage clandestin de pauvres malheureux sur les plages d’Europe, nous pensons qu’il convient de faire preuve d’une extrême sévérité. D’ailleurs, nous proposons de clarifier l’incrimination de ce délit en substituant au terme trop général de « circulation » celui de « transit », afin de ne viser que les passeurs qui tentent de faire traverser les frontières aux migrants.
Je ne vous citerai pas certains textes que tout le monde connaît, mais celui qui va trouver à sa porte une personne dans le dénuement, menacée dans son intégrité physique, qui a faim et qui a froid et, bien qu’elle soit en situation irrégulière, va lui apporter son aide parce qu’il s’agit tout simplement d’un être humain, cet individu sera-t-il passible d’emprisonnement et d’une contravention ? Monsieur le garde des sceaux, je sais que vous pensez que mes propos sont raisonnables – et M. le rapporteur aussi, j’en suis sûr !
J’espère donc que, cette fois-ci, nous allons pouvoir abroger ce délit dit « de solidarité » qui entache la République.