J’ai déjà évoqué ce sujet lors de la discussion générale. Je trouve inacceptable qu’au détour de cette proposition de loi de simplification on modifie par décret en Conseil d’État des dispositions qui touchent aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, alors que cela relève du domaine de la loi. Par conséquent, je ne comprends pas comment le législateur se dessaisirait de ces questions en décidant qu’elles seraient désormais fixées par décret en Conseil d’État
Il est vrai que des dispositions législatives ont d’ores et déjà dispensé certaines matières des conclusions du rapporteur public. Toutefois, les articles visés appartiennent au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et concernent le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français opposées aux demandeurs d’asile ou des arrêtés de reconduite à la frontière.
Indubitablement, ce sont les contentieux concernant les plus démunis et les étrangers qui constitueront le champ de ces exemptions. Pour eux, on va décider qu’il n’est plus nécessaire que le rapporteur public rappelle la loi, alors que tel est son rôle en matière de contentieux administratif.
Or, comme tout litige requiert l’application de la loi, tout litige requiert l’intervention du rapporteur public. C’est aussi simple que cela.
L’amendement vise à rendre cette intervention facultative dans les matières énumérées par décret en Conseil d’État. On voit d’emblée de quels cas il s’agit, puisqu’ils relèvent, nous dit-on, du contentieux de masse. Ils sont en effet nombreux, mais chaque cas concerne une personne. Peut-on alors parler de contentieux de masse ?
En réalité, cet amendement a sans doute pour seule justification la perspective d’économies, guidée par votre conception évidemment comptable des dépenses de l’État.
L’économie attendue de cet expédient me paraît dérisoire, parce que la garantie que représente la faculté d’entendre des conclusions sur les affaires qui peuvent en être dispensées disparaîtra de fait.
Pour n’évoquer que la première instance, au terme de la procédure écrite, le demandeur ne pourra rien dire à l’audience qu’il n’ait consigné dans ses mémoires ; il entendra le défendeur, à supposer que ce dernier soit présent ou représenté, formuler des observations tout aussi brèves. C’est à cela que se résumera l’audience.
S’il est vrai qu’elle prendra moins de temps, le jugement sera moins bien compris, ce qui provoquera une augmentation corrélative du nombre de recours. Le gain de productivité escompté en première instance risque donc de se traduire par l’afflux de dossiers en appel.
Ce sont donc des économies de bouts de chandelles, qui se trouveront annihilées par la longueur des procédures supplémentaires.
Incohérence encore : afin de pouvoir proposer avec discernement des dispenses au président de la formation de jugement, le rapporteur public devra étudier chaque dossier et en estimer les mérites. Le temps qu’il aurait consacré, avant la réforme, à produire des conclusions sur les mêmes affaires, il devra l’employer à une tâche improductive par excellence, celle de s’interroger sur son abstention.
Par conséquent, nous souhaitons que soit préservé le mode actuel de fonctionnement des juridictions administratives.
Encore une fois, il me semble vraiment malvenu de profiter de ce texte de prétendue simplification du droit pour apporter non pas des simplifications, mais des modifications substantielles.
Les économies de bouts de chandelles que vous proposez ne sont pas des simplifications de notre contentieux administratif et, plus fondamentalement, des droits de nos concitoyens.