Intervention de Alain Dufaut

Réunion du 4 mai 2006 à 9h30
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Discussion générale

Photo de Alain DufautAlain Dufaut :

Rassurez-vous, monsieur le ministre, je serai plus positif, moins agressif que l'orateur qui m'a précédé et, surtout, je m'efforcerai de m'en tenir au texte qui nous est proposé.

Nous assistons aujourd'hui, avec le développement de l'internet, à une révolution technologique fascinante. Ce nouveau moyen de communication et d'information a connu un essor fulgurant. Il a rapidement rendu possible la distribution en ligne de contenus culturels : musique, livres, jeux vidéo, films ou programmes télévisés. Le champ des oeuvres téléchargeables s'étend de plus en plus et l'équipement des consommateurs accroît toujours davantage les possibilités de consommation des contenus numérisés.

Espace de liberté et de découverte, Internet constitue aujourd'hui un outil sans égal d'accès à la culture. Mais cette avancée bouleverse la sphère culturelle et met à mal nos principes juridiques : chacun a désormais accès aux différentes oeuvres et peut les diffuser sans limite par des dispositifs d'échanges de « pair à pair ».

La copie illégale se substitue de plus en plus à l'achat de disques, DVD et livres et le piratage de la musique et des films est malheureusement entré dans les habitudes de consommation.

Dans le domaine musical, même si certains consommateurs utilisent les échanges de « pair à pair » pour développer leurs connaissances musicales et peuvent générer ensuite une consommation supplémentaire de CD, la plupart des « pirates » remplacent purement et simplement la consommation des CD par la consommation sur Internet.

Ainsi, bien sûr, la gratuité se banalise. Aujourd'hui, des millions d'internautes peuvent accéder gratuitement à toutes les musiques du monde. Un ordinateur, un modem et une prise téléphonique suffisent pour se constituer une discothèque complète au prix d'un appel local.

Cette situation, mes chers collègues, a donc de lourdes conséquences économiques et culturelles. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les industries musicales de la plupart des pays occidentaux subissent une baisse de leurs ventes de disques, après des années de croissance florissante. En 2003, par exemple, 150 milliards de fichiers musicaux auraient été téléchargés sur les réseaux de « pair à pair », chiffre qu'il faut comparer aux 2, 7 milliards d'albums vendus en magasin et aux 150 millions seulement de titres vendus en ligne. Effectivement, le différentiel est énorme !

La France n'échappe évidemment pas à ce phénomène, puisque 16 millions de fichiers musicaux circuleraient illégalement chaque jour entre les internautes. Parallèlement, les ventes de disques au détail ont baissé de 8 % en 2005. La plupart des analystes attribuent l'essentiel de ce recul au piratage.

Comment est-il possible, dès lors, de financer la création et de rémunérer les artistes ? Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, il y a urgence, car le modèle économique de la création est en jeu, celui de la prise de risque et de l'investissement tant financier que personnel, sans lesquels il n'y a pas de création, donc de diversité culturelle.

Le groupe UMP est particulièrement attaché à la protection de notre système français de filière de création. Aussi, je me réjouis que la transposition de la directive du 22 mai 2001 permette aujourd'hui de traiter de manière beaucoup plus vaste de l'avenir de la création dans l'univers de la numérisation et d'internet.

En fait, comme cela a été dit, la règle de droit doit trouver le juste équilibre entre les divers intérêts économiques en présence, tout en étant au service de la culture et en protégeant les libertés individuelles. Lors de ses voeux à la nation, le Président de la République soulignait lui aussi la nécessité de trouver cet équilibre. Et force est de constater que le présent texte répond à ce souci.

Il était grand temps, en effet, de mettre un peu d'ordre dans la « jungle » qui règne aujourd'hui sur Internet en matière de téléchargement.

Je ne détaillerai pas l'ensemble du dispositif, qui vient d'être décrit, mais je soulignerai plusieurs avancées que je considère déterminantes.

J'évoquerai tout d'abord le mécanisme des sanctions. Le projet de loi instaure un régime gradué et proportionné de sanctions, avec le souci de différencier le simple téléchargement illégal de toute une série d'autres agissements. Il prévoit ainsi des peines particulièrement lourdes pour les personnes qui fournissent des moyens de contournement des mesures de protection.

En revanche, il ne sera plus question de prison pour l'utilisateur ordinaire, ce qui est tout à fait normal. Si peu de fraudeurs ont été poursuivis jusqu'ici, ils risquaient néanmoins jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, ce qui était manifestement excessif.

Il était important de faire la part des choses en soulignant que les personnes qui téléchargent ou qui permettent des échanges illégaux d'oeuvres ne relèvent pas du même niveau de responsabilité.

Dans cet esprit, le Gouvernement présente un dispositif à la fois cohérent et réaliste, avec, pour le « simple » fraudeur, un système d'amendes qui a déjà été mis en oeuvre avec succès dans différents pays voisins.

Pour ma part, je présenterai un amendement visant à responsabiliser davantage le titulaire de l'abonnement. En le désignant comme personne responsable, on éviterait les problèmes d'identification de l'auteur des faits, lesquels peuvent véritablement bloquer le système des sanctions. Cette responsabilisation inciterait par ailleurs le titulaire de l'abonnement à la prudence et à la surveillance de son accès Internet. Une telle mesure me paraîtrait beaucoup plus efficace.

Concernant les sanctions qui visent les éditeurs de logiciels, je tiens à souligner qu'il est essentiel de condamner ceux qui encouragent délibérément les échanges d'oeuvres protégées. À mon sens, c'est la bonne cible. Le dispositif prévoit fort justement des sanctions lourdes, identiques à celles qui sont appliquées pour la contrefaçon, non seulement pour les éditeurs et les fournisseurs de logiciels de « pair à pair » qui distribueraient sciemment un dispositif manifestement destiné à l'échange illicite d'oeuvres protégées, mais aussi pour ceux qui encourageraient son usage.

Ainsi, on peut espérer que l'ensemble du dispositif créé par le projet de loi sera dissuasif et permettra d'accélérer la mise en oeuvre d'offres légales.

Comme je vous le disais le 4 avril dernier, monsieur le ministre, à l'occasion de votre audition devant la commission des affaires culturelles du Sénat, l'efficacité de cette loi reposera, bien sûr, sur la fiabilité des contrôles et sur l'effectivité des sanctions. Il est certain qu'avec l'évolution permanente des technologies et des systèmes de « parade », ce ne sera pas simple, sans parler de la nécessité d'une coopération internationale et d'une harmonisation des législations.

En effet, je crois que l'offre de téléchargement légal est tout de même une solution d'avenir. Le Gouvernement encourage à juste titre ce nouveau modèle, qui permet de préserver le droit d'auteur et qui devrait être, dans l'avenir, un élément clef du financement de la création.

Près de 20 millions de titres de musique ont déjà été achetés sur Internet en France, l'année dernière, soit cinq fois plus qu'en 2004. Un titre sur quatre et un album sur cent sont ainsi vendus en ligne. Cependant, si le téléchargement légal explose, il ne représente encore, hélas ! que 1 % du marché de la musique et reste freiné par la concurrence de l'échange gratuit.

Certes, le consommateur est prêt à payer pour obtenir légalement de la musique en ligne. À l'évidence, il y trouve une meilleure qualité d'écoute et une sécurité appréciable. Il me semble en outre que la plupart des internautes ne souhaitent pas porter préjudice aux artistes dont ils sont, par ailleurs, de fervents admirateurs.

Mais si le Gouvernement appuie le téléchargement légal, encore faudra-t-il que les services payants s'adaptent et proposent davantage de titres en ligne Car par un effet pervers, les investissements des maisons de disques consacrés aux offres de disques se concentrent sur le petit nombre de produits capables de toucher le plus rapidement possible un large public payant, au détriment, encore une fois, de la création, ce qui constitue un paradoxe regrettable.

Le Gouvernement devra donc être vigilant pour que le système n'aboutisse pas à un appauvrissement de la création musicale. Il y va de toute façon de l'intérêt des producteurs et des distributeurs, car le consommateur risque de se détourner d'offres payantes s'il trouve leur catalogue trop limité.

Bien sûr, pour être attractive, l'offre légale devra pouvoir être lue sur tous les supports. J'en viens donc au sujet vital de l'interopérabilité et aux mesures techniques de protection.

Conformément à la directive du 22 mai 2001, le projet de loi prévoit le recours à différentes mesures techniques afin de protéger les droits d'auteur. En effet, dans l'environnement numérique, l'une des manières les plus efficaces de protéger les créations des titulaires de droits de propriété intellectuelle consiste à assurer leur protection par la technologie elle-même. Le projet de loi reconnaît donc expressément la légitimité des mesures techniques de protection.

Cependant, certaines mesures de protection ont pour effet de rendre purement et simplement illisibles, par un certain nombre d'appareils, les supports numériques. Elles entrent ainsi en conflit direct avec les droits des consommateurs, qui se trouvent prisonniers d'un format de lecture et, par voie de conséquence, de monopoles technologiques. Il était donc important de veiller à ce que les mesures techniques n'entravent pas l'interopérabilité, car cet aspect est fondamental.

Le projet de loi énonce d'ailleurs que les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective, dans le respect du droit d'auteur, de l'interopérabilité. Cependant, comme l'a relevé la commission des affaires culturelles, l'Assemblée nationale est allée très loin dans l'application de ce principe, en permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal de grande instance d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques d'apporter les informations essentielles à l'interopérabilité.

Si le principe d'interopérabilité doit effectivement être consacré, il est essentiel de l'encadrer en tenant compte des impératifs du marché et de la nécessaire préservation des secrets industriels. Je me réjouis donc que notre Haute Assemblée, notamment M. le rapporteur, propose de revoir l'ensemble du dispositif et charge une autorité indépendante de régulation de statuer sur la fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité et de garantir l'interopérabilité des mesures techniques.

Cette autorité administrative indépendante, chargée de remplacer le collège des médiateurs initialement prévu, aurait une mission de veille dans le domaine des mesures techniques de protection. En outre, elle aurait le soin de déterminer par recommandation les modalités d'exercice des exceptions. La mise en conformité de notre droit avec la directive du 22 mai 2001 a permis au Gouvernement d'introduire dans le projet de loi de nouveaux cas d'exceptions. En effet, la directive n'était pas contraignante sur ce point : elle suggérait une liste d'exceptions possibles, les États étant libres d'introduire celles qu'ils jugent appropriées.

J'en profite pour souligner l'intérêt des nouvelles exceptions pour copie privée, notamment dans les domaines de l'enseignement, de la recherche et des bibliothèques. En tant qu'élus locaux, nous en constatons la réelle nécessité sur le terrain.

De plus, l'autorité de régulation pourra préciser, dans l'exercice de sa mission, le nombre de copies privées autorisées. En effet, s'il est normal - et légal - qu'une personne puisse copier un film pour son usage privé, encore faut-il fixer les contours de cette exception, notamment le nombre de copies ainsi réalisables par une même personne. N'oublions pas, mes chers collègues, que toute exception est d'interprétation stricte et qu'elle ne constitue pas un droit.

Cette question sera d'ailleurs particulièrement importante dans le domaine du cinéma. En effet, le fonctionnement de l'industrie cinématographique, qui est spécifique, repose sur une commercialisation des films en plusieurs étapes : d'abord en salles, ensuite en DVD ou cassettes vidéos, en diffusion télévisée, par des chaînes payantes et gratuites.

La production d'un film nécessite évidemment un investissement en temps et en argent sans commune mesure avec la production d'un album. Or, aujourd'hui, les téléchargements de films sur Internet viennent remettre en cause cette chaîne de financement, ce que condamne notre jurisprudence. Il faut savoir, mes chers collègues, qu'un tiers des films est disponible sur Internet avant même la sortie en salles. Il est donc primordial qu'une autorité permette de limiter le nombre de ces copies.

L'autorité de régulation des mesures techniques de protection permettra de prendre en compte l'évolution des technologies et des pratiques de consommation, ce qui est essentiel dans un domaine en perpétuelle transformation. La remise d'un rapport annuel fera état de ce suivi. On voit donc bien qu'il s'agit non pas d'une institution technocratique de plus, mais d'une nécessité.

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