Intervention de Pascal Clément

Réunion du 17 octobre 2006 à 16h20
Fiducie — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicentenaire du code civil a été l'occasion d'engager une profonde rénovation de notre législation.

Ainsi, la loi du 26 mai 2004 a réformé le droit du divorce et l'ordonnance du 4 juillet 2005 celui de la filiation. Plus récemment, j'ai engagé la réforme du droit civil dans ses aspects patrimoniaux, afin de le rendre à la fois plus efficace et plus attractif.

Le droit des successions a ainsi fait l'objet d'une importante réforme par la loi du 23 juin 2006, à laquelle M. Henri de Richemont, aujourd'hui rapporteur du texte sur la fiducie, a largement, activement et précieusement participé, ce dont je le remercie à nouveau.

En effet, cette loi a adapté notre droit aux évolutions de la société en donnant plus de liberté à nos concitoyens pour organiser leur succession. Elle a ainsi permis de faciliter et de simplifier la gestion du patrimoine successoral en rendant possible la désignation d'un mandataire pour gérer ou administrer les biens, cette désignation pouvant être opérée à l'avance, du vivant du détenteur du patrimoine.

Ce dispositif permet, par exemple, au responsable d'une unité économique de désigner de son vivant une personne de confiance chargée d'administrer l'entreprise, le temps que ses enfants soient capables de la reprendre.

Il permet également de confier la gestion d'un bien - un immeuble, un compte-titres, etc. - à un tiers, chargé d'en verser les revenus nécessaires au maintien du niveau de vie de l'héritier souffrant d'un handicap.

Au total, cette réforme a permis de moderniser notre droit des successions, qui était devenu, au fil des ans, obsolète.

Dans le même temps, j'ai également mené à bien la modernisation du droit des sûretés. En effet, le droit commun des sûretés était, dans une très large mesure, issu du code civil de 1804.

L'ordonnance du 23 mars 2006 offre de nouveaux outils modernes et efficaces aux acteurs économiques pour garantir leurs créances. Monsieur le rapporteur, cela répond au souci que vous avez tout à l'heure exprimé concernant la fiducie, si celle-ci était étendue aux personnes physiques.

Pour mémoire, je rappelle que, désormais, un gage sans dépossession peut être consenti à un créancier et permet au débiteur de conserver l'usage de la chose qu'il affecte en garantie de son obligation.

Par ailleurs, l'assiette du gage a été élargie puisque celui-ci peut désormais porter sur des choses fongibles et des choses futures.

Les modes de réalisation de cette sûreté ont également été facilités par la reconnaissance de la validité du pacte commissoire, qui permet aux parties de convenir que le bien affecté en garantie demeurera la propriété du créancier en cas de défaillance du débiteur, sans l'intervention du juge.

Enfin, de nouveaux instruments ont été intégrés dans le code civil, notamment en matière de sûretés immobilières, avec la création de l'hypothèque rechargeable et du prêt viager hypothécaire.

Ainsi, en peu de temps, plusieurs réformes fondamentales ont été conduites par la Chancellerie. Elles traduisent la volonté du Gouvernement de moderniser notre droit dans l'intérêt des citoyens et des acteurs économiques.

La proposition de loi instituant la fiducie qui vous est soumise aujourd'hui, grâce à l'initiative heureuse de M. Philippe Marini, que je tiens à remercier, et au travail remarquable de votre rapporteur, M. Henri de Richemont, s'inscrit dans la même dynamique. Elle participe de cette démarche de modernisation de notre droit, qui nous est chère, et répond à l'objectif de renforcement de l'attractivité de notre territoire, que nous partageons avec Mme Christine Lagarde.

En effet, le droit français ne connaît pas - toujours pas, serais-je tenté de dire - d'institution inspirée du trust anglo-saxon, qui permet à une personne de transférer des biens à une autre, le trustee, laquelle aura pour mission de gérer ces biens dans l'intérêt des bénéficiaires. Or le trust, utilisé depuis le Moyen-Âge en Angleterre, connaît aujourd'hui un essor remarquable, non seulement dans des pays qui relèvent de la sphère anglo-américaine, tels que les États-unis, le Canada, l'Australie -, mais aussi dans des pays de tradition romano-germanique, tels que l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg ou, plus récemment encore, en Italie, auxquels j'ajouterai la Province du Québec.

Face à ce mouvement inéluctable, la France ne doit pas demeurer en retrait. L'ouverture des frontières et l'internationalisation des échanges rendent indispensable la création d'un outil comparable, afin de permettre aux investisseurs familiers du trust anglo-saxon de se sentir en confiance avec le droit français, souvent trop mal connu de nos partenaires internationaux.

Par ailleurs, les entreprises françaises ont, paradoxalement, souvent recours à des trusts étrangers, faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne ; la place de Londres en sait quelque chose ! Cette situation est regrettable puisqu'elle entraîne une délocalisation des opérations financières hors de nos frontières. Mais elle n'est toutefois pas inéluctable !

S'agissant de l'institution d'une fiducie « à la française », une précision me paraît d'abord devoir être apportée : il ne s'agit pas de remédier à la carence du droit français en important « tel quel » le trust anglo-saxon. Une telle option n'est ni envisageable ni souhaitable, tant le trust est marqué par l'empreinte de la common law, système fort éloigné de notre droit, ce dernier puisant ses racines dans le droit romain.

En conséquence, si l'instrument proposé doit présenter des similitudes avec le trust anglo-saxon, j'attache une particulière importance à ce que le texte qui sera définitivement adopté crée une institution réellement française, respectant notre tradition juridique propre.

La proposition de loi qui vous est soumise s'inscrit dans cet esprit. Le texte fait en effet référence non pas au trust, mais à la fiducie, une institution qui trouve ses racines dans le droit romain.

La fiducie y existait, à ma connaissance, monsieur le rapporteur, non pas sous trois, mais sous deux formes : la première consistait à transférer en pleine propriété à un tiers de confiance des biens que celui-ci devait gérer ; dans la seconde, le débiteur transférait en garantie à son créancier la propriété d'un bien qui lui était restituée après apurement de sa dette.

Je ne peux donc que me réjouir de la renaissance d'une institution directement issue du droit romain.

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