La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christian Poncelet.
La séance est reprise.
Au milieu de l'été, le 11 août, nous est parvenue l'annonce du décès soudain de Raymond Courrière, sénateur de l'Aude. À l'incrédulité et à la stupeur ont succédé l'émotion et la peine.
C'est au cours d'une promenade matinale en compagnie de son épouse, sur le territoire de Cuxac-Cabardès, la commune dont il était le maire depuis plus de trente ans, que notre collègue s'est effondré, terrassé par une crise cardiaque.
Sa disparition brutale fut aussitôt cruellement ressentie dans son village, dans toute la Montagne Noire et dans l'ensemble du département de l'Aude.
Raymond Courrière était plus qu'une figure de son département. Il était un homme estimé, une personnalité forte, un élu éprouvé et estimé.
Son parcours avait commencé voilà soixante-treize ans. Il était le fils d'Antoine Courrière, héros de la Résistance et sénateur de l'Aude sans discontinuer de 1946 jusqu'à son décès, en 1974. C'est d'ailleurs cette année-là que notre collègue fut élu pour la première fois au Palais du Luxembourg.
Mais, bien avant 1974, Raymond Courrière avait déjà montré son goût pour l'engagement public.
Après des études secondaires au lycée de Carcassonne, puis des études supérieures à la faculté de droit de Paris, il avait, dès 1952, adhéré au Parti socialiste, pour devenir ensuite responsable des étudiants socialistes.
Reçu licencié en droit, il embrasse la carrière de notaire, créant à Montolieu sa propre étude après avoir été clerc dans celle de son père.
Mais c'est la vie publique qui allait occuper l'essentiel des activités de Raymond Courrière.
En 1967, il est élu pour la première fois, à trente-cinq ans, conseiller général du canton d'Alzonne. Ce premier mandat, Raymond Courrière l'honorera sans discontinuer jusqu'en 1998. Il le conduira à assumer, grâce à l'influence et à l'estime que notre collègue avait su acquérir au sein de son conseil général, de 1987 à 1998, la présidence du conseil général de l'Aude. En 1973, Raymond Courrière est élu conseiller régional. Il abandonnera ce mandat en 1981, en raison de son entrée au Gouvernement.
C'est dès 1974 que la vie publique de Raymond Courrière prend un tournant décisif. Après le décès de son père, il lui succède en octobre 1974 à la mairie de Cuxac-Cabardès, puis en décembre de la même année au siège de sénateur de l'Aude, au terme d'une élection partielle.
L'année 1981 allait marquer pour Raymond Courrière une étape nouvelle dans ce que les Romains appelaient « la carrière des honneurs ».
Après l'élection de François Mitterrand à la présidence, il est appelé par notre collègue Pierre Mauroy, alors Premier ministre, au secrétariat d'État aux rapatriés. Raymond Courrière conservera ce portefeuille dans le gouvernement de Laurent Fabius, jusqu'en 1986.
Cette nomination ne devait rien au hasard. L'élu de l'Aude qu'était Raymond Courrière était proche de nos compatriotes rapatriés d'Algérie. Nombre d'entre eux trouvèrent en effet dans ce département une terre d'accueil. Plus que tout autre, Raymond Courrière connaissait leur histoire et avait une conscience aiguë de leurs problèmes. Avec autant d'efficacité que de générosité, il a beaucoup fait pour leur redonner confiance et espoir dans l'avenir.
Après l'alternance, il retrouvera l'hémicycle du Palais du Luxembourg. Il n'allait, désormais, plus le quitter.
Tour à tour membre de la commission des affaires culturelles, de la commission des affaires économiques, puis de la commission des lois, où il siégeait depuis vingt ans, Raymond Courrière va déployer inlassablement une énergie peu commune au service de son village, de son département, de sa région, de son pays.
Le large spectre de ses interventions donne la mesure de ce qu'un homme de son tempérament peut entreprendre au service de ses concitoyens : l'aménagement de l'espace rural, la viticulture, l'élevage, le chômage des jeunes, la politique énergétique, la fiscalité locale, l'élargissement de l'Europe et, bien sûr, le statut des rapatriés et des anciens combattants, dont il sera un défenseur inlassable tant au Sénat qu'au Gouvernement.
C'est peu de dire que Raymond Courrière avait la passion de la chose publique et qu'il y mettait toute son intelligence et toute son énergie. Il était, au plus beau sens de ces deux termes, un politique et un républicain.
Le Sénat a perdu en sa personne un grand parlementaire.
À l'annonce de sa mort, les hommages qui lui ont été rendus ont montré l'estime dont il jouissait, bien au-delà du cercle de ses soutiens naturels.
Je me suis rendu personnellement à ses obsèques, dans son cher village de Cuxac-Cabardès. J'y ai été profondément ému par la considération et l'estime dont il était entouré. La ferveur et l'émotion de la foule qui l'ont accompagné étaient à la mesure de ce qu'il avait donné à ses concitoyens sa vie durant.
L'énumération des réalisations locales dont Raymond Courrière avait pris l'initiative impressionne, de l'Hôtel du département à la Maison des mémoires de Carcassonne, de la pharmacie de sa commune à l'hôtel-restaurant, de la salle polyvalente au maintien sourcilleux des services publics ruraux.
Tant à l'échelon de la nation qu'à celui de son territoire, Raymond Courrière a été un serviteur efficace de la démocratie républicaine et du développement de notre pays.
Je tiens, par ma voix, et dans ce palais, à lui rendre l'hommage qui lui est légitimement dû.
Je tiens à assurer son épouse, Claude, compagne de sa vie et témoin tragique de sa mort brutale, de la compassion du Sénat, et de la mienne en particulier.
J'assure ses enfants, sa famille et ses proches de ma profonde et personnelle sympathie attristée.
Au groupe socialiste, si durement touché en cette année 2006, j'exprime notre très sincère solidarité dans cette épreuve douloureuse.
Enfin, à ses collègues de la commission des lois, qui perd l'un de ses plus fidèles membres, je présente les condoléances de tous.
Raymond Courrière fut le digne fils d'Antoine Courrière. Pour avoir, pendant soixante ans, animé la vie de notre assemblée, le nom de Courrière restera pour longtemps révéré au Palais du Luxembourg.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, en hommage à notre collègue, je vous invite à vous recueillir quelques instants.
MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient à s'associer à l'hommage que le Sénat rend aujourd'hui à Raymond Courrière, sénateur de l'Aude.
Grande figure de votre Haute Assemblée et de la vie politique audoise, Raymond Courrière a consacré, au travers de ses différents mandats, trente-neuf années au service de ses concitoyens.
Son parcours professionnel et politique s'inscrit dans la droite ligne de celui de son père, Antoine Courrière, notaire et sénateur de l'Aude pendant vingt-cinq ans.
Par tradition familiale sans doute, par conviction assurément, Raymond Courrière se lance tôt dans la vie politique. Il obtient son premier mandat de conseiller général en 1967, et ses concitoyens du canton d'Alzonne lui renouvelleront sans interruption leur confiance jusqu'en 1998.
La confiance de ses pairs lui permettra d'être élu à la présidence du conseil général en 1987.
Conseiller régional en 1973, Raymond Courrière succède en 1974 à son père à la mairie de Cuxac-Cabardès, sa commune natale. L'estime de ses concitoyens ne lui a jamais manqué. Il aimait passionnément ce mandat, car, proche des gens, il pouvait agir concrètement pour améliorer leur quotidien.
Son attachement à sa commune et son dévouement au service des autres permettent à ce village de 700 habitants de disposer aujourd'hui d'infrastructures publiques qui n'ont rien à envier à celles d'une grande ville.
C'est également en 1974 que cet élu confirmé, parfait connaisseur des collectivités locales, fait son entrée au Sénat, en remplacement de son père.
L'année 1981 marque, ainsi que vous l'avez dit, monsieur le président, un tournant décisif dans la carrière politique de Raymond Courrière.
L'attention toute particulière qu'il porte depuis toujours à la situation des rapatriés, très nombreux dans le département de l'Aude, lui vaut d'être nommé secrétaire d'État aux rapatriés par le Président François Mitterrand.
Il conservera cinq années durant ce portefeuille, sous l'autorité de deux Premiers ministres successifs, Pierre Mauroy et Laurent Fabius.
En 1986, Raymond Courrière retrouve le Palais du Luxembourg et la commission des lois, dont il sera jusqu'à la fin de sa vie l'un des membres les plus assidus. Parce qu'il était un parlementaire respecté et écouté, ses interventions dépassaient le cadre de la commission dont il était membre. Élu d'un département rural, il s'intéressait aussi, naturellement, aux problématiques agricoles et viticoles.
Raymond Courrière laissera le souvenir d'un élu particulièrement humble, dévoué et passionnément attaché à sa terre.
Homme de convictions, il avait su nouer des amitiés au-delà des clivages politiques. Et, toute sa vie, il fut un homme d'action, ouvert aux autres, se dépensant sans compter pour ses concitoyens.
À sa famille, à ses proches, au président du groupe socialiste ainsi qu'à ses collègues, j'exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances très sincères.
Monsieur le ministre, je vous remercie de vous associer à l'hommage que nous venons de rendre à notre collègue ; nous y sommes très sensibles.
Mes chers collègues, conformément à la tradition, en signe de deuil, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport étudiant la possibilité de créer un programme qui regroupe les crédits de la gendarmerie du transport aérien au sein de la mission budgétaire Transports, en application de l'article 158 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Conformément à la loi de finances pour 2006, il sera transmis à la commission des finances. Il sera disponible au bureau de la distribution.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, conformément à l'article 52 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
Ce rapport donnera lieu à une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, le lundi 6 novembre, à quinze heures.
J'ai reçu M. Jean-Marie Rolland, président du conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, le Fonds CMU, le rapport annuel d'activité pour 2005 du Fonds, conformément à l'article R. 862-8 du code de la sécurité sociale.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.
J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports sur la mise en application des lois suivantes :
- loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique ;
- loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 ;
- loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;
- loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ;
- loi n° 2005-706 du 27 juin 2005 relative aux assistants maternels et assistants familiaux ;
- loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption ;
- loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale ;
- loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier sera transmis à la commission des lois et les suivants à la commission des affaires sociales. Ces documents seront disponibles au bureau de la distribution.
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans la tribune officielle, d'une délégation de députés de l'Assemblée de la République d'Albanie, en visite dans notre pays.
M. le garde des sceaux, Mme la ministre déléguée au commerce extérieur, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent
Cette délégation, composée de façon pluraliste et conduite par M. Fatos Beja, vice-président de l'Assemblée, a rencontré le groupe France-Albanie, que préside notre collègue Bernard Fournier.
La discussion a notamment porté sur le rapprochement européen de l'Albanie, pays francophile et francophone.
Je forme des voeux pour que le séjour des membres de la délégation réponde à leur attente et je leur souhaite, en mon nom personnel et au nom du Sénat tout entier, la plus chaleureuse bienvenue.
Applaudissements
Ordre du jour réservé
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi de M. Philippe Marini instituant la fiducie (n°11 ; n°178, 2004-2005).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée au commerce extérieur, mes chers collègues, c'est pour moi un grand honneur d'être le rapporteur, au nom de la commission des lois, de la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini instituant une fiducie.
Le droit romain connaissait trois types de fiducie : la fideicommis, la fiducia cum amico et la fiducia cum creditore, c'est-à-dire la fiducie-gestion ou la fiducie-sûreté.
La fiducie permet, dans une relation triangulaire, qu'une personne - le constituant - transfère tout ou partie de son patrimoine à une autre personne - le fiduciaire -, dans l'intérêt d'une troisième - le bénéficiaire.
La notion de fiducie se rapproche de la notion de trust, bien connue dans les pays anglo-saxons, qui permet de faire gérer par un tiers une partie d'un patrimoine en faveur d'un bénéficiaire.
Le transfert de propriété que permet la fiducie est limité dans son usage et dans le temps. Il s'agit d'opérer un transfert dans un patrimoine distinct, appelé « patrimoine fiduciaire » ou « patrimoine d'affectation ».
Le droit français a toujours été attaché au principe d'unicité et d'indivisibilité du patrimoine. C'est pourquoi la fiducie y est demeurée inconnue et n'a jamais été intégrée dans le code civil.
Les notions de trust et de fiducie sont présentes dans presque tous les pays anglo-saxons et elles ont même attiré des pays de tradition civiliste comme le Luxembourg ou le Québec, qui ont tous deux introduit la fiducie dans leur droit.
La fiducie a une très mauvaise image en France. Il semble en effet que l'opacité sulfureuse du trust anglo-saxon ait nui à l'acceptation de son principe dans notre pays : c'est la raison pour laquelle, depuis maintenant quinze ans, tous les projets et propositions de loi qui visaient à créer une fiducie en France ont avorté.
Je rends donc hommage à Philippe Marini, qui a déposé une proposition de loi visant à créer une fiducie à la française, ainsi qu'aux services des ministères de la justice et du commerce extérieur, puisque le Gouvernement a constitué un groupe de travail conjoint dont les travaux ont permis d'élaborer un avant-projet. En qualité de rapporteur de la commission des lois, j'ai bien entendu travaillé aussi bien sur la proposition de loi de M. Marini que sur l'avant-projet du Gouvernement.
Si la proposition de loi de M. Marini vise bien à créer une fiducie, celle-ci prohibe toute libéralité, exige, par conséquent, une contrepartie, prévoit la neutralité et la transparence fiscales, afin de répondre aux préoccupations légitimes du Gouvernement. Les règles de transfert de propriété sont donc encadrées pour permettre une transparence absolument totale.
Notre collègue prévoit d'ailleurs que toute personne, physique ou morale, peut être le constituant ou le fiduciaire puisqu'il n'introduit aucune limitation relative à la qualité des personnes susceptibles d'être l'un et l'autre.
Comme je le rappelais tout à l'heure, c'est donc sur les bases de cette proposition de loi et de l'avant-projet du Gouvernement que la commission des lois a été appelée à rédiger un nouveau texte. Elle s'est attachée à ne pas « trahir » l'esprit des propositions initiales, afin de faire de la fiducie un instrument juridique souple et attractif par rapport au droit anglo-saxon. Je suis sûr, madame la ministre, que vous souscrivez à cet objectif. Car, malheureusement, toutes les personnes que nous avons entendues, qu'il s'agisse d'hommes d'affaires, d'avocats, de banquiers ou d'assureurs, nous ont indiqué que, compte tenu de l'absence de ce dispositif en droit français, il fallait aller à l'étranger pour pouvoir créer une fiducie.
Nous avons donc voulu un texte souple et attractif, limitant les règles impératives, afin de favoriser la liberté contractuelle.
Monsieur le garde des sceaux, vous craignez que, par le biais de la fiducie, les règles relatives aux successions ou aux libéralités ne puissent être contournées. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu la prohibition de la fiducie-libéralité. La notion de contrepartie est donc requise pour que ce risque soit écarté et que la fiducie s'insère en toute légitimité dans notre dispositif légal et réglementaire.
Le texte proposé ne distingue pas la fiducie-gestion de la fiducie-sécurité, mais il est bien évident que le contrat de fiducie pourra servir soit à la gestion soit à la constitution de sûretés.
Madame la ministre, nous avons également insisté sur le principe de neutralité fiscale et de transparence. En effet, c'est le constituant qui reste redevable de l'impôt sur le revenu et, le cas échéant, de l'impôt de solidarité sur la fortune. Par conséquent, tout risque d'évasion fiscale se trouve absolument écarté par ce principe de transparence fiscale que nous avons voulu affirmer et que nous retrouvons, cher Philippe Marini, dans vos propres propositions.
Nous appliquons le système fiscal de la société de personnes : il n'y aura donc pas de droit d'apport s'agissant du transfert au fiduciaire, ce qui permet une grande souplesse.
En définitive, qui pourra être constituant ? C'est l'une des vraies questions posées, car la proposition de loi n'apporte aucune précision sur ce point. Pour notre part, je le répète, nous avons considéré que toute personne physique ou morale pourrait être constituant.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez peur...
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce n'est pas mon genre !
Sourires
... que ce texte ne permette de contourner la loi portant réforme des successions et des libéralités, dont nous avons débattu ici au mois de mai dernier.
Vous nous direz sûrement tout à l'heure que, avec le mandat à titre posthume et les libéralités graduelles et résiduelles, point n'est besoin de prévoir que le constituant puisse être une personne physique.
Or, selon la commission des lois, une personne physique peut également avoir besoin de constituer une fiducie-sûreté ou même une fiducie-gestion. Il n'y a aucune raison d'écarter la possibilité pour une personne physique d'être constituant.
En effet, tout risque de violation de la loi portant réforme des successions et des libéralités est écarté à partir du moment où la prohibition des libéralités est maintenue.
Quant au risque d'évasion fiscale, madame la ministre, il est absolument écarté aussi puisqu'une transparence totale est assurée.
Telle est la position de la commission.
M. Marini n'apportait, dans sa proposition de loi, aucune précision sur l'identité du fiduciaire. J'ai alors proposé que tout membre d'une profession réglementée puisse assurer cette fonction.
Nous avons notamment engagé un débat avec les représentants de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Paris et de la Conférence nationale des barreaux, sur le point de savoir s'il fallait permettre aux avocats d'être fiduciaires. En effet, le règlement intérieur du barreau de Paris et de la CNB prévoit une telle possibilité. Or les avocats nous ont indiqué que, en l'état actuel de leurs réflexions, il leur était impossible de renoncer à leurs règles déontologiques sur le secret professionnel.
À partir du moment où nous proposions que tout le monde puisse être fiduciaire, il nous paraissait difficile de prévoir une réglementation différente pour les seuls avocats. Ces derniers ayant considéré qu'il n'était pas encore temps, pour eux, d'être soumis aux mêmes règles que les autres fiduciaires, nous avons renoncé à introduire cette disposition, que j'appelais pourtant de mes voeux.
Nous avons donc repris - un peu à regret, je dois le dire - l'avant-projet du Gouvernement, lequel prévoit que seules des entités financières, des établissements de crédit ou des entreprises d'assurance peuvent être fiduciaires. Cette précision vous rassurera, madame la ministre, puisque ces entités sont soumises à la tutelle de votre ministère et contrôlées par vos services.
Par ailleurs, nous avons prévu la possibilité de nommer un « protecteur ». Cette appellation a déplu à M. Badinter, qui a déposé un amendement visant à introduire un terme plus juridique.
En ce qui concerne le patrimoine fiduciaire, il est bien évident que toute créance née de la gestion ou de l'administration du contrat de fiducie ne peut s'appliquer que sur le patrimoine fiduciaire. Toutefois, il est possible que celui-ci soit insuffisant pour répondre aux créances éventuelles nées de la gestion.
C'est la raison pour laquelle il a été prévu un patrimoine subsidiaire. Dans la logique de transparence que nous préconisons, nous proposons que ce patrimoine subsidiaire soit le patrimoine du constituant, ce qui, madame la ministre, permet de donner toute assurance à vos services en cas de dette fiscale. Vous aviez en effet exprimé l'inquiétude que l'administration fiscale, en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, ne puisse pas se retourner contre quelqu'un d'autre. Le patrimoine subsidiaire sera donc le patrimoine du constituant, ou celui du fiduciaire s'ils en sont convenus tous les deux. Il est bien évident que les créanciers pourront se retourner contre le patrimoine du constituant, sauf accord entre le constituant et le fiduciaire pour qu'il en aille autrement.
Nous avons en outre prévu un régime de sanctions efficace pour prévenir toute libéralité, avec un droit de mutation à titre gratuit, au cas où l'on viendrait à utiliser le contrat de fiducie pour tourner la réglementation, ainsi que des possibilités de contrôle et de communication pour rassurer vos services, madame la ministre.
De plus, pour lutter contre le blanchiment, nous avons donné la possibilité à TRACFIN, la cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins, d'intervenir, même en l'absence de communication.
Monsieur le garde des sceaux, vous craignez un contournement des droits sur les successions. Madame la ministre, vous soulevez le risque d'évasion fiscale. En définitive, les multiples garde-fous, sanctions et règlements que nous vous proposons dans ce texte sont de nature à apaiser vos inquiétudes respectives.
Enfin, nous avons introduit une innovation par rapport à la proposition de notre collègue Philippe Marini, en consacrant le recours à un « agent des sûretés ». Selon les avocats du comité Paris-Europlace que nous avons auditionnés, un problème en cas de pluralité de créanciers et de syndication bancaire se pose, et il convient de donner la possibilité à un tiers, à un agent des sûretés, de constituer, gérer et réaliser les sûretés pour le compte de l'ensemble des créanciers.
Monsieur le garde des sceaux, j'aurai besoin tout à l'heure d'éclaircissements, car il est bien évident que ce dispositif ne peut avoir d'intérêt que si l'agent des sûretés est dispensé d'inscrire ces sûretés pour le compte de tous les différents créanciers. Si vous nous dites que, malgré cela, il faut continuer à inscrire les sûretés pour le compte de tous les créanciers, l'agent des sûretés ne sert à rien. Or notre intention n'est pas de légiférer pour rien !
Cela ne viendrait à l'idée de personne !
Je vous demande donc de nous apporter des précisions sur ce point.
Tels sont les principaux éléments de ce texte dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur.
Cela étant dit, j'exprimerai une inquiétude.
Hier, dans la presse, j'ai lu que le Sénat s'intéressait certes à la fiducie, mais que le texte en discussion suivrait un chemin cahoteux et qu'il ne serait finalement même pas examiné par l'Assemblée nationale.
Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, nous voulons être rassurés sur ce point, car nous avons beaucoup travaillé tous ensemble sur ce texte important.
Il me paraît fondamental que la fiducie puisse être intégrée dans le droit français pour répondre à l'attente des professionnels et faire en sorte que la France soit un pays attractif, afin que les professionnels n'aillent pas chercher à l'étranger les instruments juridiques dont ils ne disposent pas chez nous.
Je vous demande donc de nous donner des assurances sur le sort de ce texte, que le Sénat va, comme souvent, adopter dans un esprit consensuel, tout en reprenant bien entendu l'essentiel de nos propositions.
Il s'agit de rendre la fiducie intéressante et d'éviter que ce mécanisme ne puisse être vidé de sa substance. Nous espérons que cette notion fondamentale sera rapidement intégrée dans notre droit positif, à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Ce serait une très bonne chose pour tout le monde et surtout une très bonne chose pour la France !
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.
M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le bicentenaire du code civil a été l'occasion d'engager une profonde rénovation de notre législation.
Ainsi, la loi du 26 mai 2004 a réformé le droit du divorce et l'ordonnance du 4 juillet 2005 celui de la filiation. Plus récemment, j'ai engagé la réforme du droit civil dans ses aspects patrimoniaux, afin de le rendre à la fois plus efficace et plus attractif.
Le droit des successions a ainsi fait l'objet d'une importante réforme par la loi du 23 juin 2006, à laquelle M. Henri de Richemont, aujourd'hui rapporteur du texte sur la fiducie, a largement, activement et précieusement participé, ce dont je le remercie à nouveau.
En effet, cette loi a adapté notre droit aux évolutions de la société en donnant plus de liberté à nos concitoyens pour organiser leur succession. Elle a ainsi permis de faciliter et de simplifier la gestion du patrimoine successoral en rendant possible la désignation d'un mandataire pour gérer ou administrer les biens, cette désignation pouvant être opérée à l'avance, du vivant du détenteur du patrimoine.
Ce dispositif permet, par exemple, au responsable d'une unité économique de désigner de son vivant une personne de confiance chargée d'administrer l'entreprise, le temps que ses enfants soient capables de la reprendre.
Il permet également de confier la gestion d'un bien - un immeuble, un compte-titres, etc. - à un tiers, chargé d'en verser les revenus nécessaires au maintien du niveau de vie de l'héritier souffrant d'un handicap.
Au total, cette réforme a permis de moderniser notre droit des successions, qui était devenu, au fil des ans, obsolète.
Dans le même temps, j'ai également mené à bien la modernisation du droit des sûretés. En effet, le droit commun des sûretés était, dans une très large mesure, issu du code civil de 1804.
L'ordonnance du 23 mars 2006 offre de nouveaux outils modernes et efficaces aux acteurs économiques pour garantir leurs créances. Monsieur le rapporteur, cela répond au souci que vous avez tout à l'heure exprimé concernant la fiducie, si celle-ci était étendue aux personnes physiques.
Pour mémoire, je rappelle que, désormais, un gage sans dépossession peut être consenti à un créancier et permet au débiteur de conserver l'usage de la chose qu'il affecte en garantie de son obligation.
Par ailleurs, l'assiette du gage a été élargie puisque celui-ci peut désormais porter sur des choses fongibles et des choses futures.
Les modes de réalisation de cette sûreté ont également été facilités par la reconnaissance de la validité du pacte commissoire, qui permet aux parties de convenir que le bien affecté en garantie demeurera la propriété du créancier en cas de défaillance du débiteur, sans l'intervention du juge.
Enfin, de nouveaux instruments ont été intégrés dans le code civil, notamment en matière de sûretés immobilières, avec la création de l'hypothèque rechargeable et du prêt viager hypothécaire.
Ainsi, en peu de temps, plusieurs réformes fondamentales ont été conduites par la Chancellerie. Elles traduisent la volonté du Gouvernement de moderniser notre droit dans l'intérêt des citoyens et des acteurs économiques.
La proposition de loi instituant la fiducie qui vous est soumise aujourd'hui, grâce à l'initiative heureuse de M. Philippe Marini, que je tiens à remercier, et au travail remarquable de votre rapporteur, M. Henri de Richemont, s'inscrit dans la même dynamique. Elle participe de cette démarche de modernisation de notre droit, qui nous est chère, et répond à l'objectif de renforcement de l'attractivité de notre territoire, que nous partageons avec Mme Christine Lagarde.
En effet, le droit français ne connaît pas - toujours pas, serais-je tenté de dire - d'institution inspirée du trust anglo-saxon, qui permet à une personne de transférer des biens à une autre, le trustee, laquelle aura pour mission de gérer ces biens dans l'intérêt des bénéficiaires. Or le trust, utilisé depuis le Moyen-Âge en Angleterre, connaît aujourd'hui un essor remarquable, non seulement dans des pays qui relèvent de la sphère anglo-américaine, tels que les États-unis, le Canada, l'Australie -, mais aussi dans des pays de tradition romano-germanique, tels que l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg ou, plus récemment encore, en Italie, auxquels j'ajouterai la Province du Québec.
Face à ce mouvement inéluctable, la France ne doit pas demeurer en retrait. L'ouverture des frontières et l'internationalisation des échanges rendent indispensable la création d'un outil comparable, afin de permettre aux investisseurs familiers du trust anglo-saxon de se sentir en confiance avec le droit français, souvent trop mal connu de nos partenaires internationaux.
Par ailleurs, les entreprises françaises ont, paradoxalement, souvent recours à des trusts étrangers, faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne ; la place de Londres en sait quelque chose ! Cette situation est regrettable puisqu'elle entraîne une délocalisation des opérations financières hors de nos frontières. Mais elle n'est toutefois pas inéluctable !
S'agissant de l'institution d'une fiducie « à la française », une précision me paraît d'abord devoir être apportée : il ne s'agit pas de remédier à la carence du droit français en important « tel quel » le trust anglo-saxon. Une telle option n'est ni envisageable ni souhaitable, tant le trust est marqué par l'empreinte de la common law, système fort éloigné de notre droit, ce dernier puisant ses racines dans le droit romain.
En conséquence, si l'instrument proposé doit présenter des similitudes avec le trust anglo-saxon, j'attache une particulière importance à ce que le texte qui sera définitivement adopté crée une institution réellement française, respectant notre tradition juridique propre.
La proposition de loi qui vous est soumise s'inscrit dans cet esprit. Le texte fait en effet référence non pas au trust, mais à la fiducie, une institution qui trouve ses racines dans le droit romain.
La fiducie y existait, à ma connaissance, monsieur le rapporteur, non pas sous trois, mais sous deux formes : la première consistait à transférer en pleine propriété à un tiers de confiance des biens que celui-ci devait gérer ; dans la seconde, le débiteur transférait en garantie à son créancier la propriété d'un bien qui lui était restituée après apurement de sa dette.
Je ne peux donc que me réjouir de la renaissance d'une institution directement issue du droit romain.
J'en viens maintenant au contenu de la proposition de loi.
La fiducie se présente comme une opération par laquelle une personne - le constituant - transfère des biens ou des droits à une autre personne - le fiduciaire - avec pour mission de les gérer dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.
Cette proposition permet donc à une personne de transférer, par contrat, la propriété de tout type de biens ou de droits à un fiduciaire et d'en fixer la destination dans la plus grande liberté contractuelle possible.
En précisant que la fiducie trouve sa source principalement dans le contrat, la proposition de loi la soumet au droit général des obligations, nouvelle preuve de son enracinement dans notre tradition juridique.
À cet égard, il est envisagé d'insérer les dispositions civiles de la fiducie dans le livre III du code civil, entre les dispositions consacrées au mandat et celles qui sont relatives à la transaction.
Le principe de liberté contractuelle, indispensable pour assurer la souplesse de cet instrument, sera donc au coeur de ce nouveau contrat. Ainsi, les parties auront toute latitude pour organiser comme elles le veulent leur relation fiduciaire : fixer les obligations de chacun, prévoir les modalités de fin de la fiducie, désigner expressément le bénéficiaire ou seulement permettre sa détermination.
La fiducie s'inscrit donc parfaitement dans notre droit des contrats.
Elle n'en est pas moins porteuse d'innovations, la plus remarquable étant sans nul doute la consécration de la notion de patrimoine d'affectation.
En effet, les biens remis en fiducie formeront un patrimoine autonome, qui ne sera plus celui du constituant, mais qui ne s'intégrera pas non plus à celui du fiduciaire. Dès lors, les procédures collectives qui pourraient être ouvertes au bénéfice du constituant ou du fiduciaire n'affecteront pas les biens remis en fiducie. Il s'agit là d'une innovation majeure dans notre droit, qui était marqué, depuis le XIXe siècle, par le principe de l'unité du patrimoine.
La proposition de loi offre ainsi une nouvelle institution juridique moderne, d'une grande souplesse et qui pourra trouver des utilisations très variées.
Par exemple, la fiducie pourra servir comme sûreté pour garantir l'exécution d'une obligation, avec toute l'efficacité que confère la propriété. C'est la « fiducie-sûreté » qui est ici consacrée.
Elle pourra également être utilisée pour confier la gestion de biens ou de certaines activités d'une entreprise à un tiers de confiance. C'est la « fiducie-gestion ».
Mais ce ne sont pas là les seuls motifs de satisfaction que j'ai à exprimer : la proposition de loi comprend en outre plusieurs mesures garantissant une utilisation raisonnable et contrôlée de ce nouvel instrument.
Tel est le cas du régime fiscal appliqué à la fiducie. Afin d'empêcher la constitution d'une fiducie par une personne aux seules fins d'échapper à ses obligations fiscales, un régime de neutralité a été mis en place. Ainsi, pour les impôts directs, les résultats de la fiducie seront imposés sur le patrimoine du constituant pendant la durée du contrat de fiducie et tant que les biens n'auront pas été transmis à un bénéficiaire. Seuls les impôts liés à l'activité du fiduciaire seront payés par celui-ci, telles la TVA, la taxe professionnelle ou la taxe foncière. Mais je laisse à Christine Lagarde le soin de développer ce point particulier.
Tel est le cas également de la limitation de l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés, tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Un tel dispositif est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent. La proposition de loi rejoint donc la préoccupation du Gouvernement de cantonner l'usage de cet instrument aux professions qui ont une compétence particulière en matière de gestion de patrimoine.
Tel est encore le cas des mesures destinées à assurer la publicité des fiducies, mais aussi de la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des autorités de contrôle, fiscales et judiciaires. Ces dispositions reçoivent l'entière approbation du Gouvernement. Elles sont de nature à assurer la plus grande transparence à ce nouveau mécanisme et permettent ainsi d'éviter que la fiducie ne devienne le vecteur d'activités frauduleuses.
Tel est, enfin, le cas de l'exclusion de la fiducie-transmission appelée aussi « fiducie-libéralité ». Cette interdiction est nécessaire, mais peut-être pas suffisante, comme nous le verrons dans un instant, pour éviter la remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions, notamment les atteintes au principe de la réserve héréditaire, que la récente réforme des successions a certes assoupli, mais maintenu.
Si, sur tous les points que j'ai précédemment évoqués, le Gouvernement approuve la proposition de loi qui vous est présentée, il est une question qui a suscité débat, celle du constituant personne physique : le Gouvernement souhaite cantonner la fiducie aux personnes morales, alors que votre rapporteur envisage de l'étendre aux personnes physiques.
Toutefois, sur cette question également, je me réjouis que nous soyons en mesure - c'est du moins ce que je crois ! - de trouver un accord. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, d'avoir examiné avec bienveillance, ce matin, les amendements déposés en ce sens par le Gouvernement ; j'espère qu'ils seront adoptés par le Sénat.
Permettez-moi simplement de rappeler les raisons pour lesquelles le Gouvernement est opposé à l'extension de la qualité de constituant aux personnes physiques.
Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait de réels besoins en ce sens pour les personnes physiques. Je considère au contraire qu'une telle extension risquerait de compromettre l'efficacité des apports issus de la réforme du droit des sûretés. Elle pourrait par ailleurs encourager les situations de fraude au droit des successions et au régime de protection des majeurs incapables.
Je l'ai dit, l'ordonnance du 23 mars 2006 a réformé en profondeur le droit des sûretés en offrant aux personnes physiques une palette rénovée et diversifiée d'instruments pour garantir le recouvrement des créances et faciliter leur accès au crédit. Cette réforme a été accompagnée de mesures particulières prises en faveur des personnes physiques les plus vulnérables, afin d'assurer un équilibre entre les intérêts en présence. C'est ainsi que le pacte commissoire a été écarté en matière de crédit à la consommation et que la garantie autonome a été fortement cantonnée en matière de bail d'habitation.
Admettre l'extension de la fiducie au profit des personnes physiques aurait pour conséquence de rompre le juste équilibre apporté par cette réforme. La cohérence de notre droit pourrait s'en trouver affectée.
Par ailleurs, je crains que la prohibition de la fiducie-libéralité, sur laquelle nous sommes pleinement d'accord, ne soit contournée par l'extension de la fiducie aux personnes physiques et qu'elle n'ouvre ainsi la voie à une remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions.
À cet égard, je me permets de vous rappeler que l'un des obstacles majeurs auxquels s'est heurtée jusqu'à présent l'introduction de la fiducie en droit français résidait dans la crainte que celle-ci ne serve de mécanisme de fraude à maintes dispositions d'ordre public. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce dispositif n'a pas été adopté plus tôt par le Parlement français. Si nous voulons aller jusqu'au bout, allons-y lentement, mais sûrement !
Le cantonnement de la possibilité de constituer une fiducie aux seules personnes morales permet, en revanche, de lever ces réticences.
Enfin, le droit français connaît un régime spécifique de protection des majeurs incapables, qui exige l'intervention du juge afin de leur assurer une meilleure protection.
La gestion des biens des incapables par le biais d'une fiducie serait plus opaque et rendrait plus complexe, voire impossible, le contrôle des comptes par le juge des tutelles.
En résumé, pour les trois ordres de raisons que je viens d'invoquer, l'extension de la fiducie aux personnes physiques paraît inopportune et sa limitation aux seules personnes morales ne nuira nullement à son attractivité.
Même limitée aux constituants personnes morales, la fiducie représentera déjà une réelle avancée pour les opérations commerciales ou de financement international, principaux domaines dans lesquels le besoin de fiducie se fait sentir.
Permettez-moi de conclure mon propos en tirant les leçons du passé.
Vous n'ignorez pas le sort qui fut réservé aux précédents textes sur la fiducie, qui étaient parfois très ambitieux, trop sans doute puisqu'ils ont tous échoué ! Je forme avec vous le voeu qu'il n'en sera pas de même pour cette proposition de loi et j'entends bien qu'elle aille à son terme, monsieur le rapporteur ! La malédiction qui a jusqu'à présent marqué toute tentative d'introduction de la fiducie en droit français doit être conjurée...
Sourires
...par notre volonté commune de prouver la capacité de notre droit à évoluer, à s'adapter aux exigences d'une société moderne tout en respectant ses traditions juridiques.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est en ce sens qu'a oeuvré votre commission des lois sous l'égide de son rapporteur, M. Henri de Richemont, que je remercie une nouvelle fois de son pragmatisme et de son efficacité, ainsi que M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je souhaite affirmer ma satisfaction et mon émotion, en tant que ministre en charge de l'attractivité de notre territoire, de voir cette proposition de loi instituant la fiducie venir en discussion devant la Haute Assemblée. Croyez-le bien, monsieur le rapporteur, je désire ardemment que nous puissions enfin voir aboutir une innovation juridique dont j'entends parler, ne serait-ce qu'à titre professionnel, depuis plus de vingt ans.
Je ne reviendrai pas sur la portée du texte s'agissant de nos concepts de droit civil ; M. le garde des sceaux a rappelé avec talent combien ce texte était profondément novateur. Pour ma part, je soulignerai à quel point la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, grâce aux efforts conjugués de son auteur, M. Marini, et de son rapporteur, M. de Richemont, viendra combler un manque important dans la panoplie de nos outils économiques. J'insisterai sur les éléments d'attractivité et sur les garde-fous auxquels le Gouvernement est attaché dans son approche de la fiducie.
En évitant les écueils qui, par le passé, se sont trouvés sur sa route, la proposition de loi fait de la fiducie un outil économique essentiel, qui manque aujourd'hui à notre droit des affaires.
L'amélioration de la compétitivité de notre droit concourt, à mon sens, à l'amélioration de notre compétitivité économique et à l'attractivité du territoire français. À ce titre, deux approches complémentaires s'imposent : la première consiste à créer des outils souples, standards, qui prennent en compte les besoins actuels et futurs ; la seconde tend à moderniser notre droit chaque fois que celui-ci se révèle inadapté.
L'accompagnement de l'innovation financière et le renforcement de la compétitivité de notre droit des affaires, renforcement engagé par la réforme du droit du crédit, témoignent de la nécessité de ces démarches, et l'introduction en droit français de la fiducie participe de ce mouvement.
L'objet de cette proposition de loi est de proposer un outil souple, à même de répondre aux situations très variées que rencontrent les professionnels.
Certes, notre droit actuel comporte déjà des mécanismes d'inspiration fiduciaire, mais leur utilisation reste très limitée. Je pense à certains instruments financiers, plus spécifiquement les mécanismes de titrisation, le plan d'épargne retraite populaire, le PERP, ou l'assurance vie. En revanche, notre droit ne compte pas de texte général sur la fiducie, mettant en place un outil standard souple, qui s'adapterait aux besoins actuels et futurs des professionnels.
Introduire en droit français le concept de fiducie est un objectif ancien. Les pouvoirs publics ont depuis longtemps pris conscience qu'il manquait en France un outil financier comparable au trust anglo-saxon. Il n'est que de considérer les différents projets et propositions qui ont été élaborés au fil des vingt ou vingt-cinq dernières années sur ce sujet, et qui encombrent certainement les tiroirs de votre bureau, monsieur le garde des sceaux !
C'est vrai, la fiducie semble frappée d'une espèce de malédiction : toutes les tentatives pour l'introduire en droit français ont jusqu'à présent échoué. Est-ce faute de volonté politique ? Vous pouvez être assuré, monsieur le rapporteur, que ni M. le garde des sceaux ni moi-même n'en manquons ! Sans doute est-ce dû à une excessive ambition à l'égard d'un concept dont la simple introduction dans notre droit constitue une évolution juridique majeure.
En consacrant la notion de patrimoine d'affectation, véritable patrimoine autonome, la fiducie fait en effet évoluer le principe de l'unité du patrimoine. Parce qu'elle touche à des règles fondamentales de notre droit, certains ont pu avancer que celui-ci ne pouvait accueillir cette institution issue des pays de common law, ce qui a entraîné le rejet des textes antérieurement présentés.
Mais la fiducie n'est pas le trust, et M. le rapporteur comme M. le garde des sceaux viennent de nous rappeler que cette institution était issue du droit romain. Elle a, du reste, été accueillie par de nombreux États dont le droit ne s'inspire pas du système anglo-saxon de common law : le Québec, la Louisiane, la Suisse, le Luxembourg... Que je sache, le droit des obligations suisse n'a pas été bouleversé par l'existence de la fiducie en droit suisse !
L'introduction de la fiducie dans notre droit est désormais devenue une nécessité, car l'absence de texte général a créé un vide juridique, qui a plongé la France dans un isolement pénalisant. Faute de pouvoir disposer d'un instrument adapté en droit interne, les entreprises françaises sont souvent dans l'obligation d'avoir recours à des montages étrangers, fondés majoritairement sur des trusts.
Or une telle situation est nocive à bien des égards.
Premièrement, elle contribue à légitimer un discours, que d'aucuns se prêtent à véhiculer, sur l'inadaptation du droit français à la vie économique moderne. Je n'ai pas besoin ici d'insister sur le caractère partiel et partial de telles analyses, qui ignorent délibérément les atouts du droit français, sa sécurité juridique et son cadre institutionnel.
Il n'en reste pas moins vrai que, dans un contexte de compétition économique mondiale, toute occasion de moderniser notre droit doit être saisie pour offrir les meilleures chances à nos entreprises et améliorer encore notre attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers, surtout lorsqu'il s'agit de comparer les vertus de notre système aux leurs, à l'aune de divers sondages, critères et appréciations relatifs aux atouts du territoire français.
Deuxièmement, l'obligation de délocaliser les montages fiduciaires à l'étranger constitue un handicap pour les cabinets de services juridiques et financiers installés en France. Cette situation nuit évidemment à leur développement, diminue leur influence et se traduit inéluctablement, même si c'est dans une mesure toute relative, par moins d'emplois et de richesses en France.
Troisièmement, si les grandes entreprises ont facilement recours à des mécanismes étrangers et peuvent faire appel aux services de correspondants situés dans les pays étrangers considérés, il n'en est pas de même pour les petites et moyennes entreprises, qui se trouvent souvent, faute de moyens, privées d'un instrument pourtant indispensable à leur croissance.
Il est donc devenu impérieux de parvenir, enfin, à introduire cette fiducie tant attendue dans notre droit. M. Philippe Marini, par ailleurs rapporteur général de votre commission des finances, s'est saisi de cette question ; je l'en remercie vivement.
Les expériences passées auraient pu décourager bien des bonnes volontés. Beaucoup de mauvaises fées ou de mauvais génies s'étaient penchés sur le berceau de la fiducie depuis des années. Nous ne comptons plus les projets qui avaient échoué contre des obstacles divers : le principe de l'unicité du patrimoine, l'obligation de préserver les droits des créanciers, la nécessité d'éviter l'évasion fiscale, l'image sulfureuse de certaines institutions trustales au regard du blanchiment de l'argent sale.
Les enseignements de ces échecs me semblent avoir été tirés, aussi bien par l'auteur de la proposition de loi que par le rapporteur, avec lequel nous avons eu des échanges, je dois le dire, extrêmement approfondis et fructueux. Monsieur le rapporteur, je tiens à souligner votre implication, votre esprit de compromis et votre souci de l'efficacité.
C'est grâce à vos efforts conjugués, monsieur le rapporteur, monsieur Marini, que quelque bon génie semble s'être penché sur ce texte pour doter la fiducie de nombreux éléments très attractifs.
Ainsi, cette proposition de loi offre une grande souplesse : elle n'est pas cantonnée à une finalité déterminée. Sous la seule réserve de l'interdiction de son utilisation à des fins de transmission à titre gratuit, il appartiendra aux parties au contrat d'en déterminer, sans autre exclusive, l'usage qu'elles souhaitent lui donner. C'est donc le principe de la liberté contractuelle, auquel le Gouvernement est particulièrement attaché, qui prévaut dans ce texte.
On sait que la question fiscale est essentielle pour ce type de dispositifs : elle peut être une source aussi bien d'échec que de dérives. À cet égard, le parti que vous avez pris me semble sage : la fiducie, telle que vous l'avez conçue, n'est ni un trust ni un instrument de fiscalité ; elle est bien un outil juridique.
Dans ces conditions, l'ensemble des règles fiscales applicables résulte du choix d'un régime fiscal lui-même attractif - celui des sociétés de personnes -, avec l'application favorable du principe de neutralité fiscale, que ce soit en matière d'imposition des bénéfices, des plus-values, de droits d'enregistrement ou de TVA.
S'agissant de l'impôt sur les bénéfices, ce régime fiscal très favorable cumule une absence d'imposition au moment du transfert des actifs dans le patrimoine fiduciaire ou en cas de retour des biens transférés. Le fiduciaire détermine la quote-part de résultat qui est taxée chaque année chez le constituant. En particulier, s'il s'agit d'un déficit, celui-ci s'imputera sur le résultat propre du constituant.
En matière de droits d'enregistrement, les actes relatifs au contrat de fiducie sont soumis à un simple droit fixe ou à la taxe de publicité foncière à taux réduit lorsque le contrat porte sur des immeubles ou sur des droits réels immobiliers. Le retour de tout ou partie du patrimoine fiduciaire au constituant ne donnerait pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière.
Dans le cadre de sa gestion courante, l'activité exercée en fiducie est soumise à une fiscalité de droit commun, s'agissant par exemple des droits de mutation à titre onéreux, de la TVA, comme de la taxe professionnelle.
Vous avez également su conjurer les mauvaises fées en proposant la création d'une fiducie irréprochable sur plusieurs aspects, conformément à la position très ferme que la France a maintes fois exprimée dans les diverses enceintes internationales traitant de ces sujets.
Ainsi, la protection des droits des créanciers est assurée. En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, sauf s'ils déclinent expressément cette possibilité, les créanciers disposeront d'un patrimoine subsidiaire, celui du constituant ou celui du fiduciaire suivant les dispositions du contrat de fiducie.
Par ailleurs, la création d'un protecteur, la compétence et la surface financière exigée du fiduciaire en font un outil sûr et fiable pour les constituants qui y auront recours. En effet, la proposition de loi limite l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Ce point est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux nécessaires à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent.
Enfin, la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des instances de lutte contre le blanchiment est aussi de nature à répondre à cette problématique.
Un point a néanmoins suscité des discussions particulièrement nourries entre nous : celui de la possibilité laissée à des personnes physiques de constituer des fiducies.
Vous savez que le Gouvernement a déposé des amendements en vue de réserver la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, amendements auxquels, je l'espère, la commission des lois sera favorable.
Je tiens à insister auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les enjeux liés à cette question délicate, mais essentielle, si nous souhaitons voir aboutir ce projet.
Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement a souhaité réserver ce nouvel instrument aux seuls constituants personnes morales, raisons qui viennent de vous être exposées par M. le garde des sceaux. Je souhaite simplement insister à nouveau sur le fait que l'une des clés du succès de ce texte réside dans le fait que, contrairement à ceux qui l'ont précédé, il se fixe un objectif clair : instaurer un outil souple et évolutif à l'usage des professionnels, notamment les petites et moyennes entreprises, pour les besoins de leur activité économique. Il s'agit non pas de mettre en place un instrument étriqué, mais de répondre de manière pragmatique aux besoins des acteurs concernés, qui ont été entendus.
Autant le besoin des entreprises à l'égard de la fiducie est clairement démontré par la pratique, autant celui des personnes physiques ne l'est pas. Il n'a notamment pas été mis en évidence par les praticiens concernés au cours des travaux du groupe de travail co-animé par le ministère des finances et la Chancellerie.
Je note par ailleurs que, sur un plan pratique, les personnes morales sont accoutumées à assumer des obligations déclaratives précises. Il est relativement aisé d'assurer, à leur égard, le principe de neutralité fiscale. En revanche, le suivi d'un patrimoine d'affectation chez des personnes physiques entraînerait des obligations déclaratives lourdes pour ces dernières et le risque d'utilisation de la fiducie à des fins de transmission à titre gratuit serait sans doute démultiplié.
Dans ces conditions, et compte tenu non seulement de l'avis émis par les praticiens, mais aussi de l'absence de manifestation de besoin évident lors des consultations précédemment évoquées, on ne voit pas bien quel serait l'usage d'un nouvel instrument de gestion patrimoniale à destination des personnes physiques, instrument dont vous reconnaîtrez avec moi qu'il ne serait probablement pas à la disposition du Français moyen ou du patrimoine moyen.
À tort ou à raison, la question de la fiscalité des personnes physiques viendra vraisemblablement s'inscrire dans ce débat, au risque, hélas, de brouiller le message et l'objet de l'instrument que nous essayons de mettre en place.
L'extension de la fiducie à l'égard des personnes physiques, sans nécessité démontrée, soulèverait ainsi des difficultés et des risques de dérives que l'interdiction de la fiducie-libéralité ne suffit pas à elle seule à éviter. Ce choix modifierait très substantiellement le cadre et l'ampleur de cette réforme, au risque, sans doute, de la faire échouer une fois de plus, comme l'a souligné M. le garde des sceaux, au bénéfice d'un débat probablement beaucoup plus idéologique et également infructueux.
Eu égard à l'innovation historique que constitue l'introduction de la fiducie dans notre droit, il nous semble prudent, à ce stade, de nous en tenir aux mesures qui, nous le savons, correspondent à une demande identifiée de nos opérateurs économiques et dont les conséquences sont parfaitement maîtrisables.
Tel est l'objet des amendements que le Gouvernement a déposés sur ce texte et qui recueilleront, je l'espère, votre assentiment, monsieur Marini, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur.
Comme je l'ai indiqué, la fiducie n'est pas un trust. Elle est un instrument non pas fiscal mais juridique. Elle est un outil souple et efficace, concourant largement à l'amélioration de l'attractivité du droit français et de notre économie.
Grâce à l'initiative que vous avez prise, monsieur Marini, grâce aux travaux de la commission des lois, de son président et de son rapporteur, le Sénat est amené aujourd'hui à examiner un texte instituant un instrument nouveau, souple et évolutif, capable de répondre aux attentes des professionnels.
Cette proposition de loi démontre la capacité de notre pays à s'inspirer, sans les copier, des exemples étrangers, à moderniser son cadre juridique sans le bouleverser, à s'adapter à la mondialisation sans pour autant renoncer à son identité, en se réappropriant, tout simplement, la fiducie.
Sous la réserve exprimée concernant les personnes physiques et correspondant aux amendements déposés par le Gouvernement, celui-ci apportera tout son soutien à ce texte, qui constituera sans nul doute une étape essentielle dans la modernisation de notre droit économique.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert Badinter
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens d'emblée à souligner tout l'intérêt que m'inspirent la fiducie et le trust. J'ai toujours considéré que notre pays était en retard dans ce domaine et j'estime que les innovations qui nous sont proposées aujourd'hui sont insuffisantes. Je pense que ces mesures arrivent beaucoup trop tard et que la raison de ce retard tient non à une sorte d'échec intellectuel, mais à une certaine timidité, voire à un certain conservatisme.
Je rappelle que la première proposition élaborée sur le sujet remonte à 1989, que la deuxième, beaucoup plus articulée, date de 1992 et la troisième, de 1994. Entre 1989 et 1994, différents gouvernements se sont succédé, mais, toujours, la même résistance s'est manifestée.
Aujourd'hui, j'ai entendu le Gouvernement, dans une admirable envolée d'autosatisfaction, chanter ses propres louanges, ce qui, en effet, est la meilleure façon d'être assuré d'en recevoir, surtout dans une enceinte parlementaire. Qu'il me soit tout de même permis de signaler - ce n'est un secret pour personne dans le monde juridique - qu'un groupe de travail composé d'éminents spécialistes, notamment de M. Witz, était à l'oeuvre à la Chancellerie. Ses travaux auraient pu déboucher sur un avant-projet de loi qui aurait été examiné par le Conseil d'État. Une telle procédure aurait présenté bien des avantages : elle aurait permis, en particulier, de disposer d'observations utiles sur les problèmes de droit et de fiscalité qui peuvent se poser. Nous en aurions ensuite débattu. Mais tel ne fut pas le cas.
Cela étant, monsieur le garde des sceaux, vous me permettrez de vous dire, en souriant, qu'il est minuit moins cinq, moins cinq mois, s'entend, et qu'à examiner le programme des travaux parlementaires d'ici aux prochaines échéances électorales, je ne vois pas très bien à quel moment vous auriez pu loger l'examen d'un tel texte...
En fait, c'est uniquement à l'initiative et à l'ardeur de notre collègue M. Marini que nous devons aujourd'hui de voir le Gouvernement applaudir, ou plutôt s'applaudir.
Je tiens aussi à signaler le travail tout à fait sérieux accompli avec grande compétence par notre rapporteur, M. de Richemont. Il a eu à coeur d'améliorer autant que possible la proposition de loi qui nous est soumise. De ce fait, nos vues se sont rapprochées.
Nous nous trouvons donc en présence d'une proposition intéressante de la commission, proposition que nous soutiendrons, mais à la condition qu'elle soit strictement respectée dans son esprit.
J'ai dit que les mesures qui nous étaient aujourd'hui proposées étaient tardives. Ce retard serait, selon certains, dû à des raisons d'ordre politique. À titre personnel, je ne partage pas ce point de vue.
Un mouvement européen favorable à la généralisation de la fiducie, ou plus exactement du trust, existe bel et bien, et depuis quelque temps déjà. Ainsi, une résolution du Parlement européen en date du 15 février 2001 a prévu l'harmonisation des droits européens, notamment pour ce qui concerne le trust. De même, le 6 juin 2002, au moment où commençait l'actuelle législature, a été adoptée une directive concernant les contrats de garantie financière, qui constituent en fait le point essentiel de nos travaux d'aujourd'hui, mais le Gouvernement n'a fait aucune diligence pour introduire ce texte dans le droit français.
On ne peut donc pas dire qu'il se soit précipité vers les horizons fiduciaires avec l'enthousiasme que vous mettez aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, à en décrire la splendeur !
Mieux vaut tard que jamais, dit-on ! Cependant, si nous suivons les propositions du Gouvernement, je crains fort que l'instrument dont la création est ici envisagée, et qui est selon moi tout à fait nécessaire dans le droit français, ne comble pas nos espérances.
Le trust ou la fiducie, sans entrer dans le détail du jus communis ni remonter jusqu'à la fiducie romaine, ont partout une double finalité.
Relevons, tout d'abord, une finalité d'ordre financier, qui a toujours été prise en compte. Il s'agit, notamment, de garantir des ouvertures de crédit au profit d'agents économiques. Ces mécanismes offrent aux établissements financiers une incomparable sûreté, au sens générique du terme, dans la mesure où un propriétaire se trouve évidemment dans la meilleure situation possible de sûreté.
La seconde finalité, très importante, est d'ordre familial ou même, tout simplement, humain. On n'est pas toujours disposé, par exemple, à recourir au droit des tutelles afin de prendre en considération la situation particulière de tel ou tel enfant, plus ou moins favorisé par la nature, que l'on veut pouvoir aider. Traditionnellement, dans les États inspirés par le droit anglo-saxon, mais aussi dans la quasi-totalité des États de l'Europe continentale, c'est également à cela que sert la fiducie ou le trust.
Or cette seconde finalité a été perdue de vue par le Gouvernement. De ce fait, il nous présente, sans justification convaincante, une version purement financière de la fiducie, qui permettra uniquement à des personnes morales, établissements de crédits et sociétés commerciales, d'être parties au dispositif. Bref, c'est une sûreté qui bénéficiera strictement au marché du crédit.
Or cela ne paraît nullement correspondre à la nécessaire modernisation dont je suis comme vous, monsieur le garde des sceaux, partisan, alors même que, à mes yeux, la fiducie n'est en aucune façon un monstre juridique par rapport à notre droit.
Vous dites que l'on crée la notion de patrimoine d'affectation. Or il s'agit simplement de prendre à l'intérieur d'un patrimoine des éléments déterminés pour les affecter à un usage particulier. Cela s'est toujours fait !
Quant à la finalité humaine de la fiducie, dont le caractère est si précieux, elle est escamotée plus pour des raisons qui tiennent à la défiance que pour des raisons véritablement juridiques : il y a une sorte d'obsession selon laquelle la fiducie servirait à la fraude, et c'est cela qui paralyse littéralement le progrès du droit. La fiducie est considérée comme l'instrument permettant je ne sais quel détournement de patrimoine ou escamotage, notamment en matière d'impôt sur la fortune. Il est certain que l'on ne peut pas avancer à partir d'un tel postulat !
Au demeurant, force est de constater que les professionnels de la fraude trouvent dans la situation qui prévaut actuellement à cet égard en Europe toutes les ressources nécessaires pour se livrer à ce genre d'escamotages. Nous en connaissons tous des exemples.
J'en reviens à la fiducie, telle que vous la concevez. Prenons les trois acteurs de cette convention. Tout d'abord, vous prétendez limiter les constituants aux personnes morales. Je ne peux pas comprendre pourquoi on interdirait aux personnes physiques de constituer, à l'intérieur de leur patrimoine, ce patrimoine d'affectation !
En effet, il n'y a pas de problème d'incapacité ici. Prenons l'exemple d'un patrimoine immobilier d'importance : pourquoi ne pas placer dans une fiducie des éléments de ce patrimoine ? Pourquoi excluez-vous du dispositif les personnes physiques ? Quelle fraude redoutez-vous ? Pourquoi consentir à une telle paralysie ?
Je n'ai pas besoin de dire, pour en revenir aux considérations que j'évoquais tout à l'heure, qui relèvent d'ailleurs de l'entretien plus que de la libéralité, qu'il est possible de prendre une partie d'un patrimoine d'actions pour l'affecter à l'entretien particulier de tel ou tel membre de la famille, moins avantagé que les autres à tous égards par la nature.
En ce qui concerne le constituant, comme M. Marini, comme la commission des lois, nous pensons qu'il ne faut pas avoir cette timidité, ce soupçon permanent. Il faut affirmer clairement que le constituant est une personne physique ou une personne morale ; n'excluons personne.
S'agissant du fiduciaire, nous rencontrons une difficulté. Au départ, on pourrait se demander, au vu des exemples étrangers, pourquoi exclure les personnes physiques compétentes et exerçant des professions qui garantissent leur rigueur et leur compétence. Mais si, comme la commission le souhaite, nous allons dans cette direction, nous nous heurtons à la frilosité des avocats, à ma surprise, je dois le dire.
Monsieur le garde des sceaux, une aimable pression aurait pu éventuellement les amener à reconsidérer une position qui ne me semble pas aller dans le sens de leur intérêt. Nous aurions sans doute pu trouver des voies d'accommodement. Mais s'ils ne veulent pas, on ne peut à l'évidence les contraindre.
Concernant les sociétés de professionnels, en particulier les notaires, pourquoi réduire ainsi le champ de compétence, pour, finalement, ne garder que des établissements financiers dont on connaît la liste ? Cela engendrera inévitablement une restriction du recours à la fiducie.
Certes, un pas en avant est fait, mais, selon moi, il n'est pas suffisant. Je regrette d'intervenir en premier. J'aurais souhaité que s'exprime en cet instant le véritable père de cette innovation, M. Marini. Au cours de nos débats, nous tenterons d'améliorer - je ne parle pas de quelques rectifications ou modifications de forme - ou de conserver l'équilibre atteint par la commission des lois. J'anticipe là ce que sera la position du Gouvernement ; nous verrons ce que décidera le Sénat.
Pour ma part, je salue cette innovation. Encore faut-il ne pas l'affliger d'une excessive timidité. Nous savons tous - même si nous ne nous en rendons pas assez compte - qu'aujourd'hui il existe en France un véritable marché du droit et que, si certaines places sont attractives, d'autres le sont moins. Il faut y penser, car, du point de vue économique, l'importance de ce marché du droit est considérable.
Récemment, aux Etats-Unis, j'ai pu mesurer ce que représente, en termes de prélèvement sur le PNB, le montant du marché du droit : il y a de quoi être stupéfié !
Négliger l'attractivité de ce que j'appellerai la place juridique de Paris est une erreur, même si cette tendance est en quelque sorte enracinée dans nos traditions. Il faut avoir le courage de le dire : la mondialisation existe, à nous de la maîtriser, d'en tirer les profits et faisons en sorte, ce qui est essentiel, que les avantages qui en sont tirés soient répartis conformément à la justice sociale. La répartition constitue, selon nous, la clef de voûte.
Enfin, je dirai à M. Marini que si ce qu'il nous a présenté était plus attractif que ce qui sera retenu, je le regretterais. Je souhaite, pour ma part, que le Sénat conserve à sa proposition les belles couleurs que la commission a su lui donner.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, mes chers collègues, ceux qui m'ont précédé à cette tribune ont eu l'occasion de rappeler que la fiducie, connue du droit romain, a été introduite depuis longtemps dans le droit de plusieurs pays de tradition civiliste. Ils ont également rappelé que toutes les tentatives d'introduction de cette institution en droit français, depuis 1992, surtout, mais même depuis 1989, ont échoué, au motif principal qu'elle remettait en cause le principe de l'unicité du patrimoine.
Cependant, force est de constater que cette situation ne préjuge en rien de l'utilité et de la nécessité de ce dispositif, notamment en matière d'efficacité économique et de gestion du patrimoine. L'absence de la fiducie, il faut en être conscient, constitue aujourd'hui un handicap en termes d'attractivité pour notre pays.
Comme M. Henri de Richemont l'a souligné dans son rapport très complet mais aussi très subtil - car la tâche n'était pas facile -, si la fiducie était réellement introduite en droit français, elle constituerait une innovation juridique considérable permettant de faciliter la constitution de sûretés et la gestion de biens pour le compte d'autrui.
Certes, des dispositifs tendent déjà à initier un semblant de fiducie. Je pense notamment à la titrisation, au prêt sur titres, au réméré, et aux cessions de créances, que l'on appelle « cessions-Dailly ». Cependant, ces dispositifs restent cantonnés à des domaines particuliers du droit.
En outre, la fiducie permettrait utilement de concurrencer le trust anglo-saxon, auquel un certain nombre de nos entreprises, cherchant à assurer des opérations de financement complexes, ont recours, puisque notre droit national n'offre pas ce genre d'instrument et que nos frontières, en matière juridique et financière, sont totalement perméables.
L'utilité d'un tel dispositif n'est donc pas discutable et nous saluons de façon unanime - du moins, je l'espère - l'initiative de M. Philippe Marini, dont la perspicacité, les qualités de rédacteur mais aussi de négociateur avec un certain nombre d'administrations nous permettent de discuter du sujet ce soir.
Pour ma part, je voudrais insister sur deux conditions qui me semblent impératives pour rendre le dispositif de la fiducie réellement opérant et pour lui donner un véritable intérêt sur le plan économique et sur le plan juridique.
Ces deux conditions sont reprises dans le texte adopté par la commission et ne devraient pas être remises en question. En premier lieu, le texte qui nous est présenté prévoit un cadre juridique unitaire pour la fiducie, en n'opérant pas de distinction entre la fonction de gestion et la fonction de sûreté que pourraient assigner les parties au contrat de fiducie. En second lieu, le texte ouvre ce mécanisme juridique tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales, quel que soit, d'ailleurs, le mode d'imposition de ces dernières.
Ces deux caractères nous apparaissent comme étant d'autant moins discutables que de très nombreuses garanties ont été prévues ou ajoutées par la commission des lois.
Je tiens notamment à rappeler que toute utilisation de la fiducie à des fins de libéralités est interdite dans cette proposition de loi et que le constituant reste le seul redevable des droits d'enregistrement, des taxes de publicité foncière ainsi que des impôts directs, nonobstant le transfert intervenu, permettant ainsi d'assurer la totale neutralité fiscale du dispositif.
Nous avons eu le souci, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, d'assurer un maximum de sécurité au dispositif. Ainsi, le texte prévoit que la qualité de fiduciaire est réservée à des personnes soumises à de strictes règles de contrôle et de transparence et offrant des garanties de solvabilité. Il prévoit également que le constituant a la possibilité de nommer celui que l'on a appelé sans doute un peu rapidement un « protecteur » de la fiducie - je sais que M. Badinter proposera une autre dénomination -, du moins une tierce personne chargée de s'assurer de la préservation de ses intérêts. Le texte prévoit, enfin, l'instauration de mécanismes de contrôle et de sanction efficaces contre les utilisations de la fiducie à des fins illicites, puisque telle est toujours la crainte sous-jacente dès lors qu'il est question de fiducie.
Compte tenu de toutes ces garanties, et sans préjuger de ce que sera la réforme des tutelles - que nous attendons - en ce qui concerne la gestion des biens des personnes vulnérables, restreindre la qualité de constituant aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés serait extrêmement réducteur et diminuerait nettement la portée et l'utilité de ce texte novateur. Or ce texte milite pour une plus grande efficacité économique, objectif auquel le Gouvernement ne peut que souscrire.
En effet, si le texte qui nous est soumis était modifié dans le sens annoncé par le Gouvernement, il exclurait la qualité de constituant pour les personnes physiques mais aussi pour les sociétés civiles non soumises à l'impôt sur les sociétés.
De la même façon, nous ne pouvons pas abandonner l'utilisation de la fiducie à des fins de gestion, encore une fois pour des raisons de liberté contractuelle et, surtout, d'efficacité économique, alors que toutes les garanties nécessaires pour lutter contre l'évasion fiscale et le blanchiment de capitaux ont été prises.
Il ne faut pas, aujourd'hui, se tromper d'objectif. La présente réforme du droit français ne vise pas à créer un gadget pour faire plaisir à quelques financiers de haut vol ou juristes internationaux. Elle tend à nous procurer des atouts et de nouvelles possibilités juridiques afin que nous fassions jeu égal avec la concurrence internationale.
L'attractivité de notre territoire dépend non seulement de la législation fiscale et du coût du travail, mais aussi des possibilités et des garanties offertes par notre système juridique - M. Badinter et Mme le ministre ont parlé du « marché du droit » : il est réel et se diffuse de plus en plus - en termes de création d'entreprise, de gestion et d'investissements internationaux.
Vous l'aurez compris, restreindre la fiducie aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, dans un contexte européen, suscitera une grande déception pour la majorité d'entre nous.
Il est vrai que, pour être acceptée, une réforme d'envergure ne peut se faire que par étapes.
S'il est un dispositif qui doit reposer sur la confiance, c'est bien la fiducie.
Par ailleurs, nous sommes lucides, nous connaissons les contraintes du calendrier parlementaire, liées aux caractéristiques de notre Constitution. Nous imaginons donc très bien ce qui pourrait arriver si l'examen de ce texte prenait un peu de retard - je ne vais pas reprendre le terme de « malédiction » ! - ou si tout n'était pas fait par les uns et par les autres pour qu'il soit poursuivi dans les semaines à venir.
Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, nous serons donc évidemment très attentifs à ce que nous vous confirmiez l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il convient à tout le moins que nous contribuions ce soir à faire franchir une première étape au dispositif de la fiducie, de façon que de nouvelles étapes puissent être franchies le plus rapidement possible, au bénéfice des investissements et de l'emploi sur notre territoire.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat a pour rôle de contribuer à l'élaboration de la loi et, par là même, à la modernisation de notre système juridique et à l'attractivité juridique de notre territoire.
Nous nous sommes efforcés d'agir en ce sens à différentes reprises. Ainsi, la récente transposition de la société européenne en droit français provient d'une initiative parlementaire du Sénat, menée conjointement par la commission des lois et par la commission des finances.
En ce qui concerne la fiducie, nous espérons également aboutir, dans les prochains mois, au moins à l'acclimatation de ce concept en droit français. À cet égard, j'insisterai d'abord sur l'historique récent, en déroulant la liste des tentatives sur ce sujet.
Le premier avant-projet de loi date de 1989 : il a été soumis à consultation, sans accéder au stade de projet de loi.
Le projet de loi du 20 février 1992 se voulait plus ambitieux et exhaustif : il consacrait plus explicitement la fiducie-sûreté et complétait opportunément l'avant-projet précédent. C'est en raison d'un désaccord sur les dispositions fiscales, interne aux administrations, que ce texte est resté en sommeil.
Un dernier avant-projet de loi a été présenté au début de 1995, mais son examen s'est arrêté au stade du Conseil d'État.
Depuis lors, plus aucune initiative n'a émergé des cercles gouvernementaux, quelle qu'ait été la majorité politique aux affaires. Au demeurant, mes chers collègues, les propos que nous avons entendus depuis le début de ce débat montrent qu'il n'y a pas d'idéologie dans cette affaire. Aussi bien nos collègues Robert Badinter et François Zocchetto que Mme le ministre et M. le garde des sceaux ont insisté sur ce point : il s'agit bien de technique juridique, d'un concept juridique et, au-delà, d'un moyen pour renforcer l'attractivité de notre système juridique.
Pour ma part, j'ai considéré, au second semestre 2004, voyant le temps passer, qu'il fallait faire quelque chose. J'ai donc pris l'initiative, de manière informelle, de convier à une série de réunions des universitaires, des directeurs juridiques, des avocats, des représentants d'organisations d'entreprises, afin de reprendre ce sujet et d'écouter les remarques des uns et des autres en vue de la rédaction d'une proposition de loi.
Entre-temps, il faut le dire, la fiducie s'est, de manière « innommée », introduite chaque jour un peu plus dans notre système juridique, au travers de plusieurs instruments : le gage de compte d'instruments financiers, la réserve de propriété, la convention de portage, certains modes de cession de créances comme les cessions qui portent le nom de notre ancien et remarquable collègue Etienne Dailly, ainsi que les fonds communs de créances. Tout cela est proche du concept de fiducie, mais résulte de législations ou de réglementations parcellaires et spécifiques.
De la même manière, d'ailleurs, il est bon d'indiquer que notre pays a signé le 26 novembre 1991 la convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à loi applicable au trust et à sa reconnaissance. Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, il faudra bien un jour ratifier cette convention, mais c'est, bien sûr, un autre sujet !
Monsieur Clément, votre prédécesseur, M. Dominique Perben, a bien voulu, après le dépôt de ma proposition de loi en février 2005, réunir au printemps de la même année un groupe de travail auquel j'ai été associé et qui m'a auditionné. Il a rassemblé des personnes de grand talent et de grande compétence et il a entendu les différents points de vue. Il a représenté, pour la première fois, une approche à caractère interministériel. Si je ne me trompe, les résultats de ce groupe ont été extrêmement proches des principales options figurant dans ma proposition de loi.
À ce stade, je voudrais remercier le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, qui a accepté d'inscrire ce thème à l'ordre du jour du séminaire gouvernemental sur la compétitivité de mai 2006. Depuis lors, nous avons pu faire cheminer le projet.
Comme il se doit, la commission des lois a reçu pleine compétence pour expertiser cette innovation. Je suis heureux de saluer ses efforts et de remercier tout particulièrement son président, Jean-Jacques Hyest, ainsi que son rapporteur, notre excellent collègue Henri de Richemont.
La lecture du rapport écrit le prouve, l'analyse a en effet été menée en profondeur et en peu de temps : le nombre d'auditions a été considérable et la nécessaire pluralité des approches a été respectée. Ainsi, le travail de synthèse qui nous est soumis nous permet, enfin, d'introduire dans notre droit la fiducie « à la française ».
J'insisterai donc, d'abord, sur les principes que j'ai retrouvés dans les conclusions de la commission des lois et qui sont identiques à ceux que j'avais moi-même proposés, puis sur les novations qui ont été opportunément introduites par cette commission. J'en viendrai, ensuite, au point en débat, c'est-à-dire à l'extension à donner à ce nouveau régime juridique, avant de conclure sur quelques indications concrètes relatives aux utilisations que nous pourrons faire, je l'espère, de ce concept de fiducie à la française.
En ce qui concerne les principes communs, je les citerai en quelques mots : prohibition de la fiducie à des fins de transmission d'un patrimoine à titre gratuit ; ouverture de la qualité de constituant aux personnes physiques comme aux personnes morales ; neutralité fiscale par l'imposition du constituant, la fiducie étant une institution totalement transparente sur le plan fiscal.
Ainsi, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, le constituant demeure fiscalement titulaire des droits mis en fiducie et est donc, à ce titre, redevable de l'impôt. Cela permet d'évacuer tout débat et tout soupçon sur le risque d'évasion fiscale en la matière.
Par ailleurs, certaines novations ont été, à mon sens, très opportunément introduites par la commission des lois et, en particulier, par son rapporteur.
Il s'agit, en premier lieu, d'un régime « unitaire » pour la fiducie, qui n'opère pas de distinction entre la fonction de sûreté et la fonction de gestion.
Il s'agit, en deuxième lieu, du recours aux principes du droit commun, pour ménager un espace aussi vaste que possible à la liberté contractuelle et pour limiter autant que faire se peut les dispositions impératives.
Il s'agit, en troisième lieu, de la limitation du droit de poursuite des créanciers au seul patrimoine fiduciaire.
Il s'agit, en quatrième lieu, de l'introduction de différents points techniques de nature à accroître les garanties : la consécration du recours en droit français à un « agent des sûretés », particulièrement utile pour les crédits syndiqués qui sont aujourd'hui placés en règle générale sous le régime britannique, ou l'instauration de la faculté pour le constituant de nommer, quelle que soit sa dénomination définitive, un « protecteur » de la fiducie chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts et, surtout, de la conformité aux objectifs et aux finalités qu'il souhaite.
S'agissant, mes chers collègues, du point qui fait encore débat, la commission des lois, notamment son rapporteur, propose un arbitrage qui me semble équilibré.
D'un côté, elle accepte de limiter la qualité de fiduciaire aux seuls organismes financiers réglementés et soumis à un régime strict de lutte contre le blanchiment des capitaux, c'est-à-dire les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Contrairement à ce qui est indiqué dans ma proposition de loi, la commission a estimé qu'à l'heure actuelle des éléments importants font défaut pour que la qualité de fiduciaire soit ouverte à toute personne physique ou morale et qu'il est nécessaire de limiter cette qualité à des personnes soumises à des règles de contrôle et de transparence strictes et présentant des garanties réelles en termes de solvabilité.
Toutefois, la commission des lois souhaite qu'une réflexion soit engagée, si j'ai bien compris, dans un avenir proche, afin d'aboutir à une extension rapide aux professions juridiques réglementées, pour autant que ces dernières soient associées à ce mouvement. À l'instar de M. Badinter, j'espère que la réflexion sera mise à profit pour qu'une telle ouverture soit obtenue aussi rapidement que possible, car celle-ci serait véritablement conforme aux intérêts bien compris des professions en question.
Dans le cadre de cet équilibre, la commission des lois préconise l'ouverture de ce nouveau mécanisme juridique qu'est l'institution fiduciaire tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Comme cela a été souligné, il est vrai que la fiducie doit d'abord constituer dans les relations d'affaires commerciales et financières internationales un outil utile pour permettre de réaliser des opérations qui ne peuvent se faire actuellement que par le biais du trust anglo-saxon.
Parmi bien d'autres exemples, je prendrai celui du groupe Alstom, qui est certainement significatif, voire emblématique : dans le cadre de sa récente restructuration, ce groupe a été conduit à créer un trust anglo-saxon, alors même que l'État venait d'entrer dans son capital.
Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, sur le fond des choses, je partage le sentiment qui a été largement exprimé tant par la commission des lois que par MM. Badinter et Zocchetto. Pour autant, pacta sunt servanda : il vaut mieux privilégier un mouvement qui soit sérieusement entamé, qui a des conséquences concrètes, comme je vais m'efforcer de le montrer en conclusion, plutôt que de voter pour un objet juridique plus proche de l'idéal, mais dont la concrétisation risquerait fort de se heurter...
...à des inconvénients, des incompréhensions et des aléas qui seraient susceptibles de compromettre son chemin.
J'accepte donc, par avance, de me rallier aux amendements du Gouvernement portant sur le champ du constituant, tout en souhaitant que le débat ne soit pas clos pour autant et qu'il soit possible, au vu de l'expérience, de revenir sur cet aspect important.
Il faut rappeler que les enjeux en la matière sont réels, en termes de compétitivité de nos centres de décision.
Vous savez, mes chers collègues, que le Sénat a souhaité créer une mission d'information, commune à trois commissions, sur la notion de centre de décision économique. En effet, un très grand nombre de conséquences, pour l'ensemble des professions de services, mais aussi pour l'emploi et l'investissement, sont liées à la capacité de maintenir, de retenir, de développer et de multiplier sur notre territoire des centres de décision économique.
Aujourd'hui, bien des opérations financières d'envergure échappent au droit français alors même qu'elles concernent des sociétés ou des groupes de sociétés qui peuvent être qualifiés, sans abus de langage, de français, ou dont les sièges sont situés en France.
En l'absence de mécanismes fiduciaires à large champ d'application en droit français, bien des sociétés cherchent dans les panoplies de droits étrangers ce dont elles ne disposent pas dans notre propre droit, ce qui se traduit par des transferts de fonds de la France vers l'étranger, mouvements eux-mêmes générateurs d'activités économiques et financières hors de notre pays.
Je citerai six exemples concrets d'utilisation possible de la fiducie, telle qu'elle serait définie si nous adoptions les amendements du Gouvernement.
Il s'agit, premièrement, de la création de structures permettant de garantir des engagements futurs, tels que des engagements de retraite ou des engagements financiers liés à la dépollution de sites industriels ; des montants considérables de capitaux sont en jeu.
Le deuxième exemple concerne la mise en place d'opérations d'épargne salariale. Certains droits étrangers ne connaissent pas nos systèmes de fonds communs de placement d'entreprises : la fiducie peut constituer un instrument permettant d'assurer de telles opérations dans le cadre d'un actionnariat direct.
Troisième exemple : la création d'une structure ad hoc de gestion de participations au sein d'un groupe de sociétés rendrait inutile la création d'une société holding possédant son propre actionnariat. Grâce à cette fiducie de type contractuel, on pourrait donc aboutir au même résultat qu'avec la holding, tout en évitant les lourdeurs administratives qui y sont afférentes.
Le quatrième exemple concerne la création d'une structure de gestion dans le cadre d'un rapprochement d'entreprises. Si une opération de concentration se produit, mais est conditionnée par la décision d'une autorité publique, l'autorité communautaire de la concurrence, par exemple, la société acquise pourra être gérée temporairement dans le cadre d'une fiducie, afin que cette gestion s'effectue indépendamment du nouvel actionnaire.
Le cinquième exemple est la création d'une structure de defeasance : un ensemble de dettes et d'actifs sont transférés à un fiduciaire chargé du service de la dette.
Quant au sixième exemple, qui est largement appliqué, nous l'avons tous à l'esprit, il concerne la capacité de créer une structure permettant d'isoler un ensemble d'actifs à titre de sûreté.
Cette liste d'exemples vous montre que, dans le domaine du droit économique, financier et commercial, la fiducie a un large rôle à jouer.
En conclusion, je forme le voeu que nous parvenions à concrétiser rapidement cette avancée. En effet, si nous avions pris cette mesure il y a quinze ans, la compétitivité de notre droit et la localisation des centres de décision sur notre territoire seraient certainement plus proches de nos ambitions. Il n'y a donc pas de temps à perdre.
Je vous demande donc, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, de nous donner toutes les assurances nécessaires de la volonté du Gouvernement - dès lors que, dans un souci de réalisme, nous partagerions en tout point son approche - d'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, afin qu'il soit intégré le plus vite possible dans notre droit positif.
Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. François Zocchetto applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Marini, d'inspiration gouvernementale...
...et concoctée de nouveau par M. le rapporteur, a pour objet d'introduire la fiducie dans le droit français et de permettre ainsi le transfert de biens ou de droits du patrimoine d'une personne, le constituant, vers celui d'une autre personne, le fiduciaire, pour le bénéfice d'une troisième, le bénéficiaire.
La fiducie trouve son origine lointaine dans une institution juridique du droit romain. Elle avait alors une triple fonction : la gestion d'un patrimoine pour pallier l'inexistence en droit romain de certains contrats, tels que les contrats de dépôt ou de prêt d'usage ; la transmission d'un patrimoine pour léguer un patrimoine à une personne déterminée, à charge de le remettre à un tiers, mécanisme utilisé pour éviter certains obstacles juridiques à la gratification directe d'un héritier ou légataire ; la garantie d'une créance pour transférer à un créancier la propriété d'un bien qu'il s'engageait à restituer lorsque le débiteur avait acquitté la dette, que l'on peut définir en quelque sorte comme la naissance du gage ou de l'hypothèque.
La fiducie connut encore un certain succès au Moyen Âge, à l'époque des Croisades. Elle permettait aux seigneurs de transmettre la propriété de leur domaine à un tiers, à charge pour celui-ci de le lui restituer à son retour, ou de le remettre à ses héritiers s'il venait à périr en Terre sainte.
La fiducie s'est maintenue quelque temps dans notre ancien droit, sous la forme d'affidiation en matière de libéralités à cause de mort, comme un engagement pris par un héritier ou un légataire de gérer le bien du défunt, puis de le restituer à un tiers. Mais elle a ensuite été totalement ignorée de notre code civil.
La fiducie a en revanche connu un succès considérable dans les droits anglo-saxons, sous la forme de trust.
Le trust est l'acte par lequel une personne transfère des biens à une autre personne, afin que cette dernière les administre ou en dispose d'une manière déterminée en faveur d'un ou plusieurs tiers. Il aboutit à séparer la gestion et le contrôle de biens de la jouissance des profits que ceux-ci procurent. Ce système est largement utilisé dans l'ensemble des pays de common law.
Le droit français, sans pour autant l'institutionnaliser, utilise cependant ce système sous de multiples formes, telles que les fonds communs de placement, ou fiducie-gestion, les fondations, ou fiducie-libéralité, et la cession de créances professionnelles à titre de garantie, couramment appelée « cession-Dailly », ou fiducie-sûreté.
À trois reprises - en 1989, 1992 et 1994 -, le législateur français a tenté d'introduire la fiducie dans le code civil. L'échec de ces réformes peut aisément s'expliquer par la crainte que la fiducie ne soit utilisée comme un instrument de dissimulation fiscale ou comme un outil qui faciliterait le blanchiment d'argent.
Le risque en matière de blanchiment de capitaux existe en effet bel et bien. Il a d'ailleurs été relevé lors de la Conférence des Parlements de l'Union européenne contre le blanchiment des 7 et 8 février 2002.
Il était ainsi souligné dans la déclaration finale de cette conférence : « Une lutte efficace contre le blanchiment et la délinquance financière impose de pouvoir reconstituer l'historique des mouvements de capitaux. La traçabilité des opérations et des donneurs d'ordre est donc un objectif prioritaire mais elle se heurte à plusieurs obstacles, parmi lesquels l'opacité de certaines entités juridiques - fiducies, établissements, fondations, sociétés en commandite ».
A priori, la proposition de loi prend en compte les préconisations de cette conférence pour éviter tout risque en matière de blanchiment. Les dispositions du code monétaire et financier ainsi que celles du code pénal relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux seront automatiquement applicables. Quant à l'établissement de crédit ouvrant un compte au nom du fiduciaire, il devra s'assurer de l'identité réelle des bénéficiaires et de la licéité de certaines sommes.
Mais si le fiduciaire est lui-même un établissement de crédit, le contrôle sera-t-il vraiment efficient et objectif ?
La fiducie apparaît malheureusement comme un cadre propice à d'éventuels abus en matière de dissimulation fiscale et de blanchiment, rendus notamment possibles aussi longtemps que le secret bancaire ne sera pas levé.
La situation serait la même si la fiducie était étendue aux personnes physiques, comme le souhaite la commission : la tentation serait grande pour les détenteurs de gros patrimoines d'utiliser la fiducie comme un montage financier fiscalement lucratif.
Notre crainte est confirmée par les dispositions du texte selon lesquelles seuls pourront être fiduciaires les établissements de crédit, les sociétés d'assurances ou les entreprises d'investissements.
Plus généralement, que permettra l'introduction dans notre droit de la fiducie ?
Les petites entreprises, qui connaissent des difficultés, seront tentées de confier une partie de leur patrimoine à des organismes financiers, voire incitées à le faire. Le risque est donc réel qu'elles se trouvent littéralement dépouillées de leurs actifs au profit de grands groupes.
Par ailleurs, nous sommes plus que réservés à l'idée que la fiducie puisse être détournée à des fins de tutelle auprès de personnes vulnérables. Bien que non prévue par la proposition de loi d'origine, cette forme plus ou moins parallèle de tutelle était déjà envisagée par M. Philippe Marini dans son exposé des motifs.
La commission des lois a décidé d'étendre explicitement la fiducie aux personnes physiques. Elle estime en effet qu'il n'y a pas lieu d'exclure d'office du dispositif les personnes physiques qui pourraient utiliser ce mécanisme afin de constituer des sûretés ou de gérer leur patrimoine.
Nous sommes, sur ce point, doublement embarrassés.
D'une part, cette proposition de loi, si elle était adoptée dans les termes souhaités par la commission, entraînerait la création d'un substitut de tutelle qui serait exercée par des organismes financiers en dehors de tout contrôle du juge.
Nous ne pouvons bien évidemment souscrire à un tel dispositif. Selon nous, les établissements de crédit ou les sociétés d'assurances ne sont pas les personnes morales les plus compétentes pour apporter un soutien à des personnes vulnérables, qui éprouvent justement de grandes difficultés à gérer leurs biens et leurs relations avec leur établissement bancaire. Un tel mécanisme nous semble donc dangereux pour ces personnes en difficulté et il est pour le moins inadapté.
D'autre part, nous attendons du Gouvernement qu'il nous présente prochainement une réforme du régime des tutelles. Cette réforme est d'ailleurs très attendue tant par les familles et les associations que par le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui demande un examen imminent de ce texte. Quant au Conseil économique et social, il souhaite voir aboutir rapidement cette réforme.
Tous, qu'ils soient concernés de près ou de loin par cette réforme, demandent le renforcement des droits de la personne placée sous tutelle et des contrôles sur ses biens, bref, qu'elle soit replacée au centre du système de protection.
Certes, il n'est pas prévu que la fiducie s'applique aux personnes pouvant relever de la tutelle ou de la curatelle. Néanmoins, le texte risque de déséquilibrer le rapport de force qui existe entre le fiduciaire et la personne physique, au détriment de cette dernière. L'esprit de la présente proposition de loi est fort éloigné de celui qui doit animer la nécessaire réforme du régime des tutelles.
Le dispositif proposé ne présente pas les garanties suffisantes qui permettraient d'affirmer que la personne concernée est protégée contre d'éventuels abus de gestion de la part du fiduciaire. En tout état de cause, ces personnes n'ont pas, par définition, les moyens d'exercer un contrôle sur la gestion de leurs biens, et ce texte ne les protège pas suffisamment.
Notre position est claire : les ambiguïtés du régime de la fiducie tel qu'il nous est présenté nous conduisent logiquement à voter contre cette proposition de loi, largement modifiée par la commission. En effet, ni le texte initial de M. Marini ni celui de M. le rapporteur, même modifié par les amendements du Gouvernement, ne nous satisfont.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Au terme de ce débat très riche, qui concerne un sujet difficile mais porteur d'avenir, je souhaite faire quelques observations.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez longuement évoqué l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.
Nous souhaitons bien entendu que cette ordonnance puisse être ratifiée dans les meilleurs délais, car nous sommes extrêmement attentifs aux innovations qu'elle contient, notamment le crédit garanti par une hypothèque rechargeable.
La commission des lois de l'Assemblée nationale avait souhaité que le cautionnement ne soit pas intégré. Sans doute faudra-t-il se pencher aussi sur ce problème.
La mention des sûretés à l'article 16 ne saurait valoir ratification implicite.
Monsieur Badinter, j'ai trouvé votre intervention excellente, sauf sur un point. Quand vous déplorez que tel texte n'ait pas été examiné par le Conseil d'État, que faites-vous de l'initiative parlementaire ? Faut-il vous rappeler que le législateur a aussi la capacité de faire des propositions ? Je partage au moins un souvenir avec Philippe Marini, celui d'avoir vu le Parlement à l'origine de la société européenne, elle aussi source d'attractivité du droit français. Il fallait quand même le faire, et cela a été fait grâce à l'initiative parlementaire. On pourrait donner d'autres exemples. De ce point de vue, le Parlement, le Sénat en particulier, est dans son rôle.
Notre commission souhaitait étendre largement la fiducie aux personnes physiques. Les plus ardents partisans de la fiducie étaient hostiles au mandat posthume, ce qui me paraît intellectuellement contestable puisque les deux dispositifs vont un peu dans le même sens. Et, même si comparaison n'est pas raison, je pense qu'il doit y avoir un certain parallélisme.
Quoi qu'il en soit, il est évident que certains obstacles fiscaux, certains sujets tabous doivent être levés. Le débat ne serait pas tout à fait le même aujourd'hui si certaines craintes étaient dissipées. Voulez-vous que je vous le dise clairement, s'il n'y avait pas un impôt qui paraît de plus en plus contestable, ...
...nous ne nous poserions pas les mêmes questions sur le risque de détournement !
Les exemples donnés par M. le rapporteur, d'ailleurs repris par M. Marini, le prouvent : même limitée aux personnes morales, la fiducie présente un intérêt non négligeable pour les sociétés, pour les sûretés, certes, mais aussi pour la gestion.
Il est évident, monsieur le garde des sceaux, que nous poursuivrons la réflexion en ce qui concerne l'extension du dispositif aux personnes physiques. La prochaine réforme des tutelles nous en donnera peut-être l'occasion.
Dans ce domaine, les expériences n'ont pas manqué. Monsieur le garde des sceaux, vous vous souvenez des obstacles que nous avions rencontrés en 1992 - vous étiez alors membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale - et qui ne nous ont pas permis d'aboutir. Aujourd'hui, nous avons une chance de faire progresser les choses en adaptant cette notion de fiducie dans le droit français. Ne serait-ce que pour cela, notre travail ne sera pas inutile, à condition, monsieur le garde des sceaux, que le texte soit définitivement adopté avant la fin de la législature.
M. Philippe Marini applaudit.
Je remercie l'ensemble des intervenants et souligne au passage à Mme Mathon-Poinat qu'il s'agit bien d'une proposition de loi, et non d'un projet de loi déguisé que nous aurions voulu soustraire de la voie traditionnelle du Conseil d'État. Toute la difficulté de l'exercice tient au fait qu'un ministère bien connu de nous a toujours considéré que ce type de concept juridique qu'est la fiducie comporte des risques de non neutralité fiscale. C'est ce qui explique le retard formidable pris avant d'adopter ce moyen, pourtant indispensable pour un grand pays.
Comme M. Marini l'a fait observer, cet outil juridique est d'ailleurs tellement utile que, récemment, une grande affaire française est allée faire son montage à Londres au vu et au su de tous. Et tout le monde a trouvé cela très bien ! Sauf que si nous ne sommes pas capables de répondre aux besoins de nos grandes entreprises, qu'on le dise, et elles seront de moins en moins nombreuses à avoir leur siège social à Paris ! Nous savons d'ailleurs combien d'entreprises inscrites au CAC 40 nous menacent de quitter le territoire national si nous ne mettons pas à leur disposition, outre les outils juridiques, les outils fiscaux adéquats - que je laisse à Christine Lagarde le soin de présenter. Et tout le monde sait que nous en sommes fort loin !
Cette fois-ci, mesdames, messieurs les sénateurs, nous tenons le bon bout.
D'abord, je crois comprendre qu'un accord se dessine pour limiter la fiducie aux personnes morales, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique sur le thème de l'évasion fiscale ou du détournement de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Pour les personnes physiques, on verra plus tard. Laissons à d'autres époques le soin de faire évoluer les choses !
Ensuite, il est clair que l'application du principe de la neutralité fiscale, évidemment fondamentale aux yeux de Bercy, veut qu'il revienne au constituant, et non au fiduciaire, de payer l'impôt.
Voilà les deux points fondamentaux qui nous permettent selon moi de prospérer.
Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous en donne l'assurance : si ce texte est voté dans l'esprit que vous avez les uns et les autres décrit, il devrait être très vite inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et, ainsi, s'intégrer dans notre droit. Ce serait un grand progrès.
Alors, de grâce, que l'obsession fiscale ne vienne pas mettre de bâtons dans les roues de ce débat ! Il n'y a pas, madame Mathon-Poinat, la moindre envie de détourner quoi que ce soit. Les nouveaux moyens prévus dans la loi portant réforme des successions et des libéralités et dans l'ordonnance sur les sûretés viennent répondre aux objections de ceux qui souhaitent l'extension de la fiducie aux personnes physiques. Ainsi, tout est réuni pour faire évoluer le droit français. J'en remercie par avance le Sénat.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
CHAPITRE Ier
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Il est rétabli, dans le livre troisième du code civil, un titre XIV intitulé : « De la fiducie », comprenant les articles 2011 à 2030 ainsi rédigés :
« TITRE XIV
« DE LA FIDUCIE
« Art. 2011. - La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.
« Art. 2012. - La fiducie est établie par la loi ou par contrat. Elle doit être expresse.
« Art. 2013.- Le contrat de fiducie est nul s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d'ordre public.
« Art. 2014. - Seuls peuvent avoir la qualité de fiduciaires les établissements de crédit mentionnés à l'article L. 511-1 du code monétaire et financier, les institutions et services énumérés à l'article L. 518-1 du même code, les entreprises d'investissement mentionnées à l'article L. 531-4 du même code ainsi que les entreprises d'assurance régies par l'article L. 310-1 du code des assurances.
« Art. 2015. - Le constituant ou le fiduciaire peut être le bénéficiaire ou l'un des bénéficiaires du contrat de fiducie.
« Art. 2016. - Sauf stipulation contraire du contrat de fiducie, le constituant peut, à tout moment, désigner un protecteur chargé de s'assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l'exécution du contrat et qui peut disposer des pouvoirs que la loi accorde au constituant.
« Art. 2017. - Le contrat de fiducie détermine, à peine de nullité :
« 1° Les biens, droits ou sûretés transférés. S'ils sont futurs, ils doivent être déterminables ;
« 2° La durée du transfert, qui ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans à compter de la signature du contrat ;
« 3° L'identité du ou des constituants ;
« 4° L'identité du ou des fiduciaires ;
« 5° L'identité du ou des bénéficiaires, ou à défaut les règles permettant leur désignation ;
« 6° La mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition.
« Art. 2018. - À peine de nullité, le contrat de fiducie et ses avenants sont enregistrés dans le délai d'un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire, ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n'est pas domicilié en France.
« Lorsqu'ils portent sur des immeubles ou des droits réels immobiliers, ils sont, sous la même sanction, publiés dans les conditions prévues aux articles 647 et 657 du code général des impôts.
« La transmission des droits résultant du contrat de fiducie et, si le bénéficiaire n'est pas désigné dans le contrat de fiducie, sa désignation ultérieure doivent, à peine de nullité, donner lieu à un acte écrit enregistré dans les mêmes conditions.
« Art. 2019. - Un registre national des fiducies est constitué selon des modalités précisées par décret en Conseil d'État.
« Art. 2020. - Lorsque le fiduciaire agit pour le compte de la fiducie, il doit en faire expressément mention.
« De même, lorsque le patrimoine fiduciaire comprend des biens ou des droits dont la mutation est soumise à publicité, celle-ci doit mentionner le nom du fiduciaire ès qualité.
« Art. 2021. - Le contrat de fiducie définit les conditions dans lesquelles le fiduciaire rend compte de sa mission au constituant. Le fiduciaire rend compte de sa mission au bénéficiaire et au protecteur désigné en application de l'article 2016, à leur demande, selon une périodicité fixée par le contrat.
« Art. 2022. - En cas de disparition du constituant en cours d'exécution du contrat de fiducie, le fiduciaire peut demander la révision du contrat dans les conditions prévues aux articles 900-2 à 900-7.
« Art. 2023. - Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire, à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs.
« Art. 2024. - L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire.
« Art. 2025. - Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d'un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine.
« En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire.
« Le contrat de fiducie peut également limiter l'obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n'est opposable qu'aux créanciers qui l'ont expressément acceptée.
« Art. 2026. - Le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission.
« Art. 2027. - Si le fiduciaire manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, le constituant, le bénéficiaire ou le protecteur désigné en application de l'article 2016 peut demander en justice la nomination d'un fiduciaire provisoire ou solliciter le remplacement du fiduciaire. La décision judiciaire faisant droit à la demande emporte de plein droit dessaisissement du fiduciaire.
« Art. 2028. - Le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu'il n'a pas été accepté par le bénéficiaire.
« Après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu'avec son accord ou par décision de justice.
« Art. 2029. - Le contrat de fiducie prend fin par la survenance du terme ou la réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme.
« Il prend également fin de plein droit si le contrat le prévoit ou, à défaut, par une décision de justice, si, en l'absence de stipulations prévoyant les conditions dans lesquelles le contrat se poursuivra, la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie. Il en va de même si le fiduciaire fait l'objet d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution, ou disparaît par suite d'une cession ou d'une absorption.
« Art. 2030. - Lorsque le contrat de fiducie prend fin en l'absence de bénéficiaire, les droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire font de plein droit retour au constituant.
L'amendement n° 2, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 2011 du code civil, remplacer le mot :
opération
par le mot :
contrat
La parole est à M. Robert Badinter.
Il s'agit d'un problème de terminologie et d'amélioration rédactionnelle. Plutôt que le terme d'« opération », très générique et source d'équivoque, peu souhaitable dans ce domaine, mieux vaut appeler la fiducie par sa véritable dénomination, celle de « contrat ».
La commission a émis un avis défavorable. En effet, M. Badinter ne nous propose pas de supprimer l'article 2012 du code civil, qui dispose que la fiducie est établie par la loi ou par contrat. Dès lors, le mot « opération » est approprié.
L'amendement n° 2 est retiré.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Après le texte proposé par cet article pour l'article 2013 du code civil, insérer un article 2013-1 ainsi rédigé :
« Art. 2013 -1. - Seules peuvent être constituants les personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés. Les droits du constituant au titre de la fiducie ne sont ni transmissibles à titre gratuit, ni cessibles à titre onéreux à des personnes autres que des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés ».
II. - Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 2022 du code civil.
III. - Après les mots :
survenance du terme
rédiger comme suit la fin du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 2029 du code civil :
, la réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme ou en cas de révocation par le constituant de l'option pour l'impôt sur les sociétés.
IV. - Après le texte proposé par cet article pour l'article 2030 du code civil, insérer un article 2031 ainsi rédigé :
« Art. 2031. - En cas de dissolution du constituant, lorsque les ayants droit ne sont pas des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, le patrimoine fiduciaire ne peut être attribué à ces ayants droit ès qualités avant la date à laquelle le contrat de fiducie prend fin. Dans cette situation, les droits des ayants droit au titre de la fiducie ne sont pas transmissibles à titre gratuit entre vifs ni cessibles à titre onéreux. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
S'agissant de cet amendement, Mme le ministre apportera des précisions sur le volet fiscal. En ce qui me concerne, j'aborderai l'aspect juridique.
Nous partageons tous un objectif : introduire la fiducie dans notre droit pour offrir aux acteurs économiques un outil comparable aux trusts notamment afin d'attirer les investisseurs et d'éviter la délocalisation des opérations financières à l'étranger.
Nous sommes tous ici préoccupés de préserver les dispositions d'ordre public du droit commun. C'est la première raison pour laquelle nous voulons limiter la fiducie aux seuls constituants, personnes morales.
En outre, depuis la réforme du droit des successions, les personnes physiques disposent désormais d'outils efficaces, qui peuvent faciliter la gestion des patrimoines et l'accès au crédit.
Je rappelle aussi que nous avons créé le mandat posthume et rénové les libéralités graduelles et résiduelles dont a parlé M. le rapporteur.
Par ailleurs, l'exclusion des personnes physiques répond à un impératif de protection. Comme vous le savez, dans le cadre de la réforme des sûretés, des garanties ont été prévues en faveur des personnes physiques. Il ne faut pas qu'elles puissent être contournées par un recours à la fiducie.
S'agissant de la protection des personnes, je pense en outre tout particulièrement aux majeurs incapables et aux héritiers réservataires dont les droits doivent impérativement être respectés. Or si nous ouvrions la fiducie aux personnes physiques, ils pourraient être lésés. C'est la deuxième raison pour laquelle nous ne voulons pas d'une extension de la fiducie aux personnes physiques.
La troisième raison d'exclure les personnes physiques de la fiducie répond à un impératif fiscal. La fiducie ne saurait constituer un outil d'optimisation fiscale pour les personnes physiques. Or, je ne crois pas que la crainte de la nullité des fiducies soit suffisante pour se prémunir contre ce risque, monsieur Badinter.
Par cet amendement, le Gouvernement vous propose de tirer les conséquences civiles de la limitation de la fiducie aux personnes morales en supprimant l'article 2022 du code civil relatif à la révision judiciaire du contrat de fiducie, qui n'a plus lieu d'être, et en modifiant les articles 2029 et 2031, qui touchent à la fin de la fiducie.
L'exclusion des personnes physiques constitue un facteur d'équilibre du nouveau dispositif, auquel votre assemblée s'est montrée constamment sensible au cours de ses travaux.
C'est pourquoi je vous demande avec insistance d'adopter cet amendement du Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'aborder l'aspect de l'attractivité et, par ce biais, d'évoquer les questions fiscales.
Si nous nous accordons sur le fait d'exclure l'utilisation de la fiducie aux fins de transmission à titre gratuit d'un patrimoine, la question de l'utilité d'un instrument juridique pour les personnes physiques se pose bien évidemment.
Autrement dit, est-il nécessaire d'offrir aux particuliers la possibilité de créer un patrimoine d'affectation ? Cette question a été longuement évoquée dans le cadre du groupe de travail sur la fiducie, animé conjointement par les services de la Chancellerie et par ceux du ministère de l'économie et des finances, et qui a entendu de nombreux professionnels de ces matières.
Or, soit par timidité à l'égard de cet instrument, soit par crainte de le faire échouer par manque d'ambition, les professionnels eux-mêmes ne nous incitent pas à aller dans cette direction et n'ont pas mis en évidence un réel besoin en matière de gestion du patrimoine.
En termes d'attractivité, dès lors que les professionnels eux-mêmes semblent ne pas faire état de ce besoin, on peut s'interroger sur les mesures prises par le Gouvernement dans ce domaine.
Monsieur le président de la commission des lois, vous avez évoqué une mesure à laquelle nous pensons tous, qui ne sera pas mentionnée lors de ce débat. Nous avons fait quelques efforts dans le cadre de la loi de finances pour 2006, notamment avec le bouclier fiscal, qui plafonne à 60 % de l'intégralité de l'imposition la charge fiscale supportée par les personnes physiques, et le taux marginal d'imposition de 40 %. Enfin, en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, sont exonérés à concurrence des trois quarts de leur valeur les titres détenus par les salariés et par les mandataires sociaux.
L'ensemble de ces mesures, les professionnels et les personnes physiques le disent, sont de nature à améliorer l'attractivité du territoire français sans qu'il faille étendre le mécanisme de la fiducie aux personnes physiques.
M. Badinter a évoqué la nécessité d'ouvrir ce mécanisme pour améliorer l'attractivité du territoire français. Je pense à d'autres mesures qui seraient de nature à renforcer considérablement l'attractivité du territoire. Il est préférable d'intégrer dans l'arsenal juridique français la fiducie en l'état dans cette première étape pour laquelle, M. le garde des sceaux l'a dit, nous tenons le bon bout. Efforçons-nous d'aller jusqu'à terme, plutôt que de poursuivre un objectif beaucoup plus ambitieux, auquel il faudrait renoncer en cours de route.
C'est la raison pour laquelle les services de Bercy encouragent également vivement votre Haute Assemblée à suivre les recommandations du Gouvernement s'agissant de cet amendement.
On a beaucoup parlé d'attractivité du territoire et du droit français, mais, demain, il faudra plutôt parler de spécificité du droit français ! Vous avez cité, madame la ministre, tous les pays qui ont introduit la fiducie dans leur droit ; si l'amendement du Gouvernement devait être adopté, la France serait le seul de ces pays...
Monsieur le garde des sceaux, je dois vous avouer que la commission a été quelque peu étonnée de lire dans l'objet de l'amendement puis de vous entendre dire à l'instant que le constituant personne physique serait contraire à l'ordre public.
Nous avons en effet pris soin de cadrer le dispositif et de prévoir des garde-fous. D'une part, dès lors qu'il y a transparence et neutralité fiscales, c'est le constituant qui doit payer tous les impôts et il n'y a donc pas de risque d'évasion fiscale. D'autre part, à partir du moment où on interdit toutes libéralités, il n'y a pas de risque d'atteinte à la réserve.
Il n'en reste pas moins que, pour des raisons qui sont les vôtres, vous souhaitez, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, écarter les personnes physiques de la fiducie. Pour notre part, nous sommes des élus du peuple proches du terrain, et nous connaissons l'adage « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ». Or j'ai bien compris, monsieur le garde des sceaux, que vous vous engagiez, si le Sénat adoptait votre amendement, à ce que l'Assemblée nationale examine la présente proposition de loi avant la fin de l'année...
Vous confirmez cet engagement, et j'en prends acte !
Comme j'ai bien compris aussi que, si le Sénat repoussait votre amendement, la proposition de loi irait aux oubliettes et puisqu'il me paraît très utile d'introduire la fiducie dans notre droit, j'en viens finalement à penser qu'il vaut mieux voter cet amendement afin que l'Assemblée nationale examine la proposition de loi avant la fin de l'année.
Ainsi, nous disposerons d'un texte que nous pourrons élargir ensuite aux personnes physiques afin de nous doter d'un dispositif cohérent, attractif et intéressant qui évitera à notre pays d'être le mouton noir de l'Europe.
La commission avait émis un avis de sagesse, mais la sagesse peut être ou positive ou négative. J'opte pour une « sagesse positive » et je vous invite, mes chers collègues, à prendre acte de l'engagement de M. le garde des sceaux et à voter en faveur de l'amendement du Gouvernement.
M. le rapporteur a excellemment souligné que l'exclusion des personnes physiques du recours à la fiducie constituerait une admirable exception française, puisque, système du trust ou fiducie, nous serions seuls dans ce cas ! Au regard des impératifs du marché juridique, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une originalité souhaitable.
Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit de la nécessité d'ouvrir la fiducie aux personnes physiques ou sur ce qu'en ont dit les uns et les autres, de l'auteur de la proposition de loi jusqu'au président et au rapporteur de la commission des lois, mais, avec un certain sourire, je ne peux m'empêcher de constater qu'il y maintenant des « sagesses positives » et des « sagesses négatives » et que M. le rapporteur était aujourd'hui d'humeur à passer d'une sagesse négative à une sagesse positive alors que la commission avait simplement décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
Cela n'a jamais paru la meilleure des réponses, tout au moins en ce qui concerne le droit français !
Vous modifiez, monsieur le rapporteur, la position de la commission ou, plutôt, vous défendez maintenant une position personnelle en vous fondant sur la promesse faite par M. le garde des sceaux concernant le calendrier parlementaire.
Je prends acte de cette promesse, mais je ne suis pas assuré, connaissant le déroulement des fins de sessions parlementaires à l'achèvement d'une législature, que la « force des choses », comme aurait dit Saint-Just, vous permette de la tenir, monsieur le garde des sceaux.
En tout état de cause, nous, membres du groupe socialiste, nous maintenons notre position, car il n'est pas concevable d'introduire la fiducie en droit français en lui retirant ce qui constitue un de ses attraits essentiels.
Avec regret, nous ne voterons par conséquent pas pour le texte qui nous est présenté... sauf si, dans sa sagesse, la Haute Assemblée rejoignait la sagesse de la proposition originelle de M. Marini et de la position initiale de la commission des lois.
L'amendement est adopté.
La parole est à M. Robert Badinter, sur le texte proposé pour l'article 2013 du code civil.
Je tiens à attirer l'attention sur les conséquences de la formulation retenue pour le nouvel article 2013. En effet, il s'agit d'annuler le contrat de fiducie s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire, mais il peut se trouver des situations dans lesquelles l'intention libérale ne vaut pas pour la totalité de la fiducie.
Par exemple, dans le cas où la totalité d'un portefeuille d'immeubles est mise en fiducie mais que certains revenus de la fiducie vont à un bénéficiaire, personne physique déterminée - on pense évidemment à l'entretien d'une personne handicapée -, l'intention libérale ne porte que sur une partie de la fiducie.
L'article 2003 tel qu'il est rédigé conduirait cependant à procéder à l'annulation de la totalité de la fiducie, ce qui ne me paraît pas conforme aux souhaits de ceux qui approuvent le texte et mériterait donc, monsieur le garde des sceaux, d'être modulé dans le cours des travaux parlementaires.
L'amendement n° 3, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 2016 du code civil, remplacer le mot :
protecteur
par le mot :
tiers
La parole est à M. Robert Badinter.
Mes chers collègues, vous ne trouverez ni dans la table des matières du code civil, ni dans les dictionnaires de vocabulaire juridique le mot « protecteur ».
Il serait plus simple d'utiliser le mot « tiers » et de se référer à la mission donnée à ce tiers, qui est une mission de protection. Je propose donc que nous remplacions le mot « protecteur », qui, dans certains milieux, à une très mauvaise résonance, par le mot « tiers », qui a l'avantage à la fois de renvoyer à une notion connue dans le droit et d'être d'une neutralité absolue.
M. Badinter a raison : le terme imagé « protecteur » n'a en effet rien de juridique, et la commission a donc émis un avis favorable.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Sagesse, ni positive, ni négative.
Sourires
Nouveaux sourires
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le troisième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 2017 du code civil, remplacer les mots :
quatre-vingt-dix-neuf ans
par les mots :
trente-trois ans
La parole est à M. Robert Badinter.
Une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans est compatible avec la continuité des personnes morales, mais il s'agit ici d'une opération complexe qu'il nous paraît souhaitable de limiter à trente-trois ans.
J'avais dans un premier temps estimé que « trente-trois ans, renouvelables deux fois » constituait une solution adaptée puisqu'elle permettait de vérifier au bout de trente-trois ans - ce qui est déjà très long - où en était la fiducie. Mais les observations au cours des discussions qui ont suivi à la commission des lois m'ont conduit à considérer qu'il valait mieux fixer une durée maximale de trente-trois ans et reconsidérer ensuite ce qu'il allait advenir, d'où la version actuelle de l'amendement.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 5, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article 2020 du code civil, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Nul ne peut être fiduciaire s'il a été l'objet d'une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise, d'une mesure d'interdiction d'exercer une activité professionnelle de gestion de droits d'autrui, d'une mesure de faillite personnelle, s'il a violé des obligations prévues au titre VI du livre V du code monétaire et financier, ou s'il a subi une condamnation pénale ou une sanction professionnelle pour des faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs. Une personne morale ne peut pas être partie à des contrats en qualité de fiduciaire si l'un de ses mandataires sociaux a été soumis à de telles peines.
« La violation de ces dispositions entraînera la nullité de la fiducie et une sanction pénale à l'encontre du fiduciaire. »
La parole est à M. Robert Badinter.
L'amendement n° 5 est retiré.
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Badinter, Mmes M. André et Boumediene-Thiery, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. Dans la seconde phrase du texte proposé par cet article pour l'article 2021 du code civil, remplacer le mot :
protecteur
par le mot :
tiers
II. En conséquence, procéder à la même modification dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article 2027 du même code.
La parole est à M. Robert Badinter.
L'amendement est adopté.
L'article 1 er est adopté.
CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX
Le septième alinéa de l'article L. 562-2-1 du code monétaire et financier est ainsi rédigé :
« 6° La constitution, la gestion ou la direction de fiducies régies par les articles 2011 à 2030 du code civil ou par un droit étranger ou de toute autre structure similaire. ». -
Adopté.
CHAPITRE III
DISPOSITIONS FISCALES
Section I
Enregistrement et publicité foncière
I. - Le 1 de l'article 635 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 8° Les actes constatant la formation, la modification ou l'extinction d'un contrat de fiducie, et le transfert de biens ou droits supplémentaires au fiduciaire dans les conditions prévues par l'article 2018 du code civil. ».
II. - Après l'article 668 du même code, il est inséré un article 668 bis ainsi rédigé:
« Art. 668 bis. - Pour la liquidation des droits d'enregistrement et de la taxe de publicité foncière, la valeur de la créance détenue sur une fiducie est évaluée à la valeur vénale réelle nette des biens mis en fiducie ou des biens acquis en remploi, à la date du fait générateur de l'impôt. ».
III. - Le sixième alinéa de l'article 1115 du même code est ainsi rédigé :
« Pour l'application de la condition de revente, les transferts de droits ou de biens dans un patrimoine fiduciaire et les apports purs et simples effectués à compter du 1er janvier 1996 ne sont pas considérés comme des ventes. ».
IV. - À l'article 1020 du même code, les mots : « et 1133 ter » sont remplacés par les mots : «, 1133 ter et 1133 quater ».
V. - Après l'article 1133 ter du même code, il est inséré un article 1133 quater ainsi rédigé :
« Art. 1133 quater. - Sous réserve des dispositions de l'article 1020, les actes constatant la formation, la modification ou l'extinction d'un contrat de fiducie, ou constatant le transfert de biens ou droits supplémentaires au fiduciaire sont soumis à un droit fixe de 125 €.
« Toutefois, les dispositions de l'article 1020 ne s'appliquent pas aux actes constatant le retour de tout ou partie du patrimoine fiduciaire au constituant. ».
VI. - Après l'article 1378 sexies du même code, il est inséré un article 1378 septies ainsi rédigé :
« Art. 1378 septies. - Pour l'application des droits d'enregistrement, les droits du constituant résultant du contrat de fiducie sont réputés porter sur les biens formant le patrimoine fiduciaire. Lors de la transmission de ces droits, les droits de mutation sont exigibles selon la nature des biens et droits transmis. ». -
Adopté.
Après l'article 792 du code général des impôts, il est inséré un article 792 bis ainsi rédigé :
« Art. 792 bis. - Lorsqu'il est constaté une transmission dans une intention libérale, de biens ou droits faisant l'objet d'un contrat de fiducie ou des fruits tirés de l'exploitation de ces biens ou droits, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent sur la valeur des biens, droits ou fruits ainsi transférés, appréciée à la date de ce transfert. Ils sont liquidés selon le tarif applicable entre personnes non parentes, mentionné au tableau III de l'article 777.
« Pour l'application des dispositions mentionnées à l'alinéa précédent, l'intention libérale est notamment caractérisée lorsque la transmission est dénuée de contrepartie réelle ou lorsqu'un avantage en nature ou résultant d'une minoration du prix de cession est accordé à un tiers par le fiduciaire dans le cadre de la gestion du patrimoine fiduciaire. Dans ce dernier cas, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent sur la valeur de cet avantage. »
L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Après le texte proposé par cet article pour l'article 792 bis du code général des impôts, insérer un article 792 ter ainsi rédigé :
« Art. 792 ter. - Dans le cas mentionné à l'article 2031 du code civil, lors du transfert, à la fin du contrat, du patrimoine fiduciaire aux personnes physiques ou aux personnes morales non soumises à l'impôt sur les sociétés, ayants droit du constituant, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent sur la valeur des biens ou droits objets de la fiducie, appréciée à la date de ce transfert. Ils sont liquidés selon le tarif applicable entre personnes non parentes, mentionné au tableau III de l'article 777. »
II. - En conséquence, au premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
il est inséré un article 792 bis ainsi rédigé
par les mots :
sont insérés deux articles 792 bis et 792 ter ainsi rédigés
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Cet amendement tire les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés dans le cas particulier où le constituant disparaît à la suite d'une dissolution, quelles que soient les circonstances à l'origine de cette dernière, qu'il s'agisse d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution amiable.
Dans cette situation, le contrat de fiducie survit mais il peut exister parmi les ayants droit du constituant des personnes physiques. Il est donc nécessaire d'appréhender sur le plan fiscal les flux entre le patrimoine fiduciaire et ces ayants droit personnes physiques.
Cet amendement a pour objet de prévoir que le retour des biens, au terme du contrat de fiducie, dans le patrimoine des ayants droit se verra appliquer les droits de mutation à titre gratuit.
Il s'agit d'un « verrouillage » fiscal dans le prolongement de l'amendement n° 1 rectifié, voté à la demande du Gouvernement pour exclure les personnes physiques du champ d'application de cette loi. Puisqu'il s'agit toujours de la même disposition, la commission maintient sa position : sagesse.
Je perçois la préoccupation du ministère du budget, mais je voudrais être bien certain qu'il ne s'agit pas d'acharnement et comprendre précisément quelles situations sont visées.
Dès lors que le constituant ne peut être qu'une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés, dans quelle mesure ces dispositions peuvent-elles s'appliquer ? Si j'ai bien compris, elles ont vocation à sanctionner tellement lourdement les personnes qui pourraient se trouver dans une certaine situation qu'on n'imagine pas qu'elles puissent s'y retrouver... Sait-on précisément ce que l'on vise ?
Comme je l'indiquais tout à l'heure, nous avons en vue ici les situations où une société personne morale constituante se trouve dissoute.
En effet, quand cette société disparaît, tombe sous le coup d'une liquidation judiciaire ou connaît une dissolution amiable, il faut naturellement en gérer les conséquences fiscales.
Je vous rassure, monsieur Zocchetto, ce n'est pas de « l'acharnement thérapeutique fiscal » !
Sourires
L'amendement est adopté.
L'article 4 est adopté.
Il est inséré dans le titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, un chapitre Ier quinquies intitulé « Régime applicable aux titulaires de droits au titre d'une fiducie » et comprenant les articles 204 C à 204 F ainsi rédigés :
« CHAPITRE Ier quinquies
« Régime applicable aux titulaires de droits au titre d'une fiducie
« Section I
« Le transfert de biens ou droits en fiducie
« Art. 204 C.- Le transfert de biens ou droits dans un patrimoine fiduciaire n'est pas un fait générateur d'impôt sur le revenu à la condition que le fiduciaire inscrive, dans les écritures du patrimoine fiduciaire, les biens ou droits transférés pour leur valeur nette comptable figurant dans les écritures du constituant si ce dernier est une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel. Lorsque cette dernière condition n'est pas satisfaite, les plus ou moins-values et, plus généralement, les gains ou pertes sont déterminés, en cas de cession à titre onéreux au bénéficiaire ou à un tiers des biens ou droits en cause, par référence à la valeur d'acquisition des biens ou droits par le constituant.
« Section II
« Le résultat du patrimoine fiduciaire
« Art. 204 D.- I. - Le bénéfice de la fiducie est imposé à la fin de chaque exercice ou année civile au nom de chaque titulaire d'une créance au titre de celle-ci proportionnellement à la valeur réelle des biens ou droits mis en fiducie par chacun des titulaires appréciée à la date du transfert des éléments dans le patrimoine fiduciaire.
« II. - Lorsque la créance au titre de la fiducie est inscrite à l'actif d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à cette créance est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par le titulaire de la créance et selon un régime de bénéfice réel. Dans tous les autres cas, la part de bénéfice est déterminée et imposée en tenant compte de l'activité de la fiducie.
« Toute variation ou dépréciation du montant de la créance au titre de la fiducie demeure sans incidence sur le résultat imposable du titulaire de cette créance.
« Section III
« Le résultat de cession des créances au titre de la fiducie
« Art. 204 E.- En cas de transmission à titre onéreux de la créance au titre de la fiducie, il est fait application des règles applicables aux cessions des biens ou droits formant le patrimoine fiduciaire.
« Les plus ou moins-values et, plus généralement, les gains ou pertes sont déterminés par rapport, selon le cas, à la valeur d'acquisition des biens ou droits par le constituant initial ou, en cas de transmission par ce dernier de sa créance au titre de la fiducie, à la valeur d'acquisition de cette créance par le nouveau titulaire ou, en cas de transmission à titre gratuit, à la valeur de cette créance retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit.
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la créance au titre de la fiducie est inscrite à l'actif d'une entreprise industrielle, commerciale, artisanale, ou agricole, sa cession est imposée dans les conditions prévues aux articles 39 duodecies et suivants. La plus-value est alors calculée à partir de la valeur nette comptable des éléments qui figuraient dans les écritures du constituant au jour du transfert dans le patrimoine fiduciaire.
« Section IV
« Le retour des biens ou droits
« Art. 204 F.- Le retour de biens ou droits dans le patrimoine d'un titulaire d'une créance au titre de la fiducie n'est pas un fait générateur d'impôt sur le revenu lorsque la condition suivante est satisfaite :
« a. Si le titulaire de la créance est une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l'impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel, il inscrit les biens ou droits en cause pour leur valeur nette comptable figurant dans les écritures du patrimoine fiduciaire ;
« b. Dans tous les autres cas, le titulaire prend, dans l'acte constatant le retour, l'engagement de déterminer, en cas de cession ultérieure des biens ou droits, les plus ou moins-values et, plus généralement, les gains ou pertes par référence, selon le cas, à la valeur d'acquisition des biens ou droits transférés initialement en fiducie ou, si le titulaire n'est pas le constituant initial, à la valeur d'acquisition de sa créance ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, à la valeur de cette créance retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit.
L'amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - Après le 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, il est inséré un 1 bis ainsi rédigé :
« 1 bis. En cas de cession de titres ou droits reçus dans les conditions prévues à l'article 792 ter, le prix d'acquisition de ces titres ou droits s'entend de leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit prévus à l'article 792 ter précité. »
II. - Après le 6° du V de l'article 150-0 D bis du même code, il est inséré un 7° ainsi rédigé :
« 7° En cas de cession de titres ou droits mentionnés au 1 bis de l'article 150-0 D, à partir du premier janvier de l'année du transfert des titres ou droits cédés du patrimoine fiduciaire aux ayants droit. »
III. - Le I de l'article 150 VB du même code est complété par l'alinéa suivant :
« En cas de cession d'un bien ou d'un droit mentionné aux articles 150 U à 150 UB, reçu lors du transfert du patrimoine fiduciaire aux ayants droit, à la fin du contrat de fiducie, le prix d'acquisition est égal à la valeur de ce bien ou de ce droit telle qu'elle est stipulée dans l'acte. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
L'amendement n° 8 vise à tirer les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, telle qu'elle résulte de l'amendement n° 1 rectifié, adopté tout à l'heure par le Sénat.
Il tend à remplacer le dispositif fiscal prévu pour les personnes physiques par des dispositions de coordination, rendues nécessaires lorsque les ayants droit d'un constituant qui fait l'objet d'une dissolution ne sont pas soumis à l'impôt sur les sociétés.
Il s'agit donc ici de définir le prix d'acquisition à partir duquel se calculent les plus-values immobilières ou sur titres lorsque les biens cédés proviennent d'un patrimoine fiduciaire.
Cet amendement tend à tirer les conséquences fiscales de la restriction à la qualité de constituant. Il s'agit d'une disposition de coordination avec l'amendement n° 1 rectifié du Gouvernement. Et comme la commission est cohérente avec elle-même, elle s'en remet de nouveau à la sagesse de notre assemblée !
L'amendement est adopté.
Au chapitre II du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est ajouté une section IX ainsi rédigée :
« SECTION IX
« Fiducie
« 1ère Sous-section
« Constitution du patrimoine fiduciaire
« Art. 223 V.- I. - Les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins values résultant du transfert dans un patrimoine fiduciaire de biens et droits inscrits à l'actif du bilan du constituant de la fiducie ne sont pas compris dans le résultat imposable de l'exercice de transfert si les conditions suivantes sont réunies :
« 1° Le contrat de fiducie répond aux conditions prévues aux articles 2011 à 2030 du code civil ;
« 2° Le constituant est désigné comme le ou l'un des bénéficiaires dans le contrat de fiducie ;
« 3° Le fiduciaire doit respecter les engagements, pris dans le contrat de fiducie, suivants :
« a. Inscrire dans les écritures du patrimoine fiduciaire les biens ou droits transférés ainsi que les amortissements et provisions de toute nature y afférents ;
« b. Se substituer au constituant pour la réintégration des provisions et résultats afférents aux biens ou droits transférés dont la prise en compte avait été différée pour l'imposition de ce dernier ;
« c. Calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables qui ont été transférées dans le patrimoine fiduciaire d'après la valeur qu'elles avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant ;
« d. Réintégrer dans les bénéfices imposables au titre du patrimoine fiduciaire les plus ou moins-values dégagées lors du transfert de biens amortissables. La réintégration des plus-values est effectuée par parts égales, dans la limite de la durée initiale du contrat de fiducie, sur une période de quinze ans pour les constructions et les droits qui se rapportent à des constructions ainsi que pour les plantations et les agencements et aménagements des terrains amortissables sur une période au moins égale à cette durée. Cette période est de cinq ans dans les autres cas.
« Toutefois, la cession d'un bien amortissable entraîne l'imposition immédiate de la fraction de la plus-value afférente à ce bien qui n'a pas encore été réintégrée.
« En contrepartie, les amortissements et les plus-values ultérieurs afférents aux éléments amortissables sont calculés d'après la valeur d'inscription dans les écritures du patrimoine fiduciaire ;
« 4° Les éléments autres que les immobilisations transférés dans le patrimoine fiduciaire doivent être inscrits dans les écritures du patrimoine fiduciaire pour la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant.
« À défaut, le profit correspondant à la différence entre la valeur d'inscription dans les écritures du patrimoine fiduciaire de ces éléments et la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant est compris dans le résultat imposable de ce dernier au titre de l'exercice au cours duquel intervient le transfert dans le patrimoine fiduciaire.
« II. - Les droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues aux 1 et 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier sont assimilés à des éléments de l'actif immobilisé, amortissables ou non amortissables dans les conditions prévues à l'article 39 duodecies A.
« Pour l'application du c. du 3°, en cas de cession ultérieure des droits mentionnés à l'alinéa précédent qui sont assimilés à des éléments non amortissables ou de cession du terrain, la plus-value est calculée d'après la valeur que ces droits avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant.
« Ces dispositions s'appliquent aux droits afférents aux contrats de crédit-bail portant sur des éléments incorporels amortissables d'un fonds de commerce ou assimilé.
« III. - Pour l'application du présent article, les titres du portefeuille dont le résultat de cession est exclu du régime des plus ou moins-values à long terme conformément à l'article 219 sont assimilés à des éléments non amortissables de l'actif immobilisé.
« 2ème Sous-section
« Dispositions applicables durant le contrat de fiducie
« 1° Résultat du patrimoine fiduciaire
« Art. 223 VA.- Le bénéfice imposable de la fiducie est déterminé selon les règles applicables au bénéfice réalisé par le titulaire d'une créance au titre de celle-ci et imposé au nom de ce titulaire.
« En cas de pluralité de titulaires, le bénéfice de la fiducie est imposé au nom de chaque titulaire proportionnellement à la valeur réelle du ou des biens ou droits mis en fiducie par chacun des constituants à la date à laquelle celui-ci a transféré des éléments dans le patrimoine fiduciaire.
« 2° Situation du constituant
« Art. 223 VB.- Toute variation ou dépréciation du montant de la créance ou des créances au titre de la fiducie demeure sans incidence sur le résultat imposable du titulaire de cette créance.
« Art. 223 VC.- Pour l'application du code général des impôts et de ses annexes, le chiffre d'affaires provenant de la gestion du patrimoine fiduciaire s'ajoute à celui réalisé par le constituant.
« En cas de pluralité de constituants, le chiffre d'affaires est réparti proportionnellement à la valeur réelle du ou des biens ou droits mis en fiducie par chacun des constituants à la date à laquelle celui-ci a transféré des éléments dans le patrimoine fiduciaire.
« 3ème Sous-section
« Fin de la fiducie
« Art. 223 VD.- I. - En cas de cession ou d'annulation de tout ou partie de la créance constatée au titre du contrat de fiducie, les résultats du patrimoine fiduciaire sont déterminés, à la date de cession ou d'annulation, dans les conditions prévues aux articles 201 et suivants et imposés au nom du cédant.
« La différence entre le prix de cession de la créance et le prix de revient n'a pas d'incidence sur le résultat imposable du cédant.
« II. - Les dispositions du I s'appliquent également en cas de cessation ou de dissolution du titulaire de la créance, en cas de résiliation ou d'annulation du contrat de fiducie ou lorsqu'il prend fin.
« Art. 223 VE.- Les dispositions de l'article 223 VD ne s'appliquent pas en cas de transfert de la créance réalisé dans le cadre d'une opération bénéficiant des dispositions prévues à l'article 210 A.
« Art. 223 VF.- I. - Par exception aux dispositions de l'article 223 VD, lorsque le contrat de fiducie prend fin, les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins-values résultant du transfert des biens ou droits du patrimoine fiduciaire au constituant ne sont pas compris dans le résultat imposable de l'exercice de transfert si les conditions suivantes sont réunies :
« 1° Le contrat de fiducie prend fin sans liquidation du patrimoine fiduciaire ;
« 2° Le constituant doit respecter les engagements suivants :
« a. Inscrire à son bilan les biens ou droits transférés ainsi que les amortissements et provisions de toute nature y afférents ;
« b. Se substituer au fiduciaire pour la réintégration des provisions et résultats afférents aux biens et droits transférés dont la prise en compte avait été différée pour l'imposition du patrimoine fiduciaire ;
« c. Calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables qui lui ont été transférées d'après la valeur qu'elles avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire ;
« d. Réintégrer dans ses bénéfices imposables les plus ou moins-values dégagées lors du transfert de biens amortissables. La réintégration des plus-values est effectuée par parts égales sur une période de quinze ans pour les constructions et les droits qui se rapportent à des constructions ainsi que pour les plantations et les agencements et aménagements des terrains amortissables sur une période au moins égale à cette durée. Cette période est de cinq ans dans les autres cas.
« Toutefois, la cession d'un bien amortissable entraîne l'imposition immédiate de la fraction de la plus-value afférente à ce bien qui n'a pas encore été réintégrée.
« En contrepartie, les amortissements et les plus-values ultérieurs afférents aux éléments amortissables sont calculés d'après la valeur d'inscription à son bilan ;
« 3° Les éléments autres que les immobilisations doivent être inscrits au bilan du constituant pour la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire. À défaut, le profit correspondant à la différence entre la valeur d'inscription au bilan du constituant de ces éléments et la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire est compris dans le résultat imposable de ce dernier au titre de l'exercice au cours duquel intervient le retour des biens au constituant.
« II. - Pour l'application du I, les engagements mentionnés au 2° du I sont pris dans l'acte constatant le transfert des biens ou droits du patrimoine fiduciaire au constituant ou, à défaut, dans un acte sous seing privé ayant date certaine, établi à cette occasion.
« III. - Les droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues aux 1 et 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier sont assimilés à des éléments de l'actif immobilisé, amortissables ou non amortissables dans les conditions prévues à l'article 39 duodecies A.
« Pour l'application du c du 2, en cas de cession ultérieure des droits mentionnés à l'alinéa précédent qui sont assimilés à des éléments non amortissables ou de cession du terrain, la plus-value est calculée d'après la valeur que ces droits avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du patrimoine fiduciaire.
« Ces dispositions s'appliquent aux droits afférents aux contrats de crédit-bail portant sur des éléments incorporels amortissables d'un fonds de commerce ou assimilé.
« IV. - Pour l'application du présent article, les titres du portefeuille dont le résultat de cession est exclu du régime des plus ou moins-values à long terme conformément à l'article 219 sont assimilés à des éléments non amortissables de l'actif immobilisé.
« 4ème Sous-section
« Obligations déclaratives incombant au fiduciaire ès qualité
« Art. 223 VG.- La fiducie fait l'objet d'une déclaration d'existence par le fiduciaire dans des conditions et délais fixés par décret.
« Art. 223 VH.- Le fiduciaire est tenu aux obligations déclaratives qui incombent normalement aux sociétés soumises au régime fiscal des sociétés de personnes défini à l'article 8.
« Art. 223 VI.- Pour l'application du code général des impôts et de ses annexes, les états retraçant les écritures du patrimoine d'affectation sur l'exercice tiennent lieu de bilan et de compte de résultat pour chaque patrimoine fiduciaire. »
L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article 223 VA du code général des impôts, insérer un article 223 VA bis ainsi rédigé :
« Art. 223 VA bis. - Dans le cas visé à l'article 2031 du code civil, le bénéfice imposable de la fiducie est déterminé selon les règles applicables aux bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés. L'impôt dû est calculé dans les conditions mentionnées au I de l'article 219 et acquitté par le fiduciaire. Cet impôt est établi et contrôlé comme l'impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Là encore, il s'agit d'un amendement de coordination, qui vise à tirer les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales dans le cas particulier où le constituant disparaît à la suite d'une dissolution, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution amiable.
Dans ce cas, en effet, le contrat de fiducie survit, mais il peut se trouver parmi les ayants droit du constituant des personnes physiques.
Or l'imposition du résultat fiscal de la fiducie au nom de ses ayants droit serait complexe en termes de gestion, puisque de très nombreuses personnes physiques pourraient se trouver concernées. Aussi, cet amendement tend à prévoir que le résultat du patrimoine fiduciaire sera non pas imposé au nom de ses ayants droit, mais soumis chaque année à un impôt analogue à l'impôt sur les sociétés.
Il s'agit là encore d'un amendement de coordination, pour lequel la commission émet le même avis que précédemment et s'en remet donc à la sagesse de notre assemblée.
L'amendement est adopté.
L'article 6 est adopté.
L'article 54 septies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au I, les références : « 210 B et 210 D » sont remplacées par les références : « 210 B, 210 D et 223 VF » ;
2° Le II est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il en est de même des plus-values dégagées sur des éléments d'actif non amortissables résultant du transfert dans ou hors d'un patrimoine fiduciaire et dont l'imposition a été reportée par application de l'article 223 V ou de l'article 223 VF. Lorsque l'imposition est reportée en application de l'article 223 V, le registre est tenu par le fiduciaire qui a inscrit ces biens dans les écritures du patrimoine fiduciaire. » ;
b) Au deuxième alinéa, après les mots : « de l'actif de l'entreprise », sont ajoutés les mots : « ou du patrimoine fiduciaire ». -
Adopté.
Section III
Taxe sur la valeur ajoutée
I. - Dans le 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts, les mots : « et les travaux immobiliers » sont remplacés par les mots : «, les travaux immobiliers et l'exécution des obligations du fiduciaire ».
II. - L'article 257 du même code est ainsi modifié :
1° Le 6° est ainsi rédigé :
« 6° sous réserve du 7° :
« a) Les opérations qui portent sur des immeubles, des fonds de commerce ou des actions ou parts de sociétés immobilières et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux ;
« b) Les cessions de droits au titre d'un contrat de fiducie représentatifs de biens visés au premier alinéa et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux. » ;
2° Dans le 1 du 7°, il est inséré un b bis ainsi rédigé :
« b bis) Les cessions par le constituant, dans le cadre d'un contrat de fiducie, de droits représentatifs de biens visés aux a) et b). » ;
3° Dans le troisième alinéa du 2 du 7°, après les mots : « des droits sociaux », sont insérés les mots : « ou des droits résultant d'un contrat de fiducie ».
III. - Après le f du 1 de l'article 266 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« g. Pour les prestations effectuées un fiduciaire, par la rémunération versée par le constituant ou retenue sur les recettes de l'exploitation des droits et biens du patrimoine fiduciaire. ».
IV. - Le b de l'article 268 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'opération est réalisée par un fiduciaire, les sommes mentionnées aux deux précédents alinéas s'apprécient, le cas échéant, chez le constituant. ».
V. - Après l'article 285 du même code, il est inséré dans le code général des impôts un article 285 A ainsi rédigé :
« Art. 285 A. - Pour les opérations relatives à l'exploitation des biens ou droits d'un patrimoine fiduciaire, le fiduciaire est considéré comme un redevable distinct pour chaque contrat de fiducie, sauf pour l'appréciation des limites de régimes d'imposition et de franchises, pour lesquelles est retenu le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble des patrimoines fiduciaires ayant un même constituant. ». -
Adopté.
Section IV
Fiscalité locale
I. - L'article 1476 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'activité est exercée en vertu d'un contrat de fiducie, elle est imposée au nom du fiduciaire. ».
II. - Le début du 2° de l'article 1467 du même code est ainsi rédigé :
« Dans le cas des titulaires de bénéfices non commerciaux, des agents d'affaires, des fiduciaires pour l'accomplissement de leur mission et des intermédiaires de commerce employant moins de cinq salariés (le reste sans changement) ».
III. - Après l'article 1518 B du même code, il est inséré un article 1518 C ainsi rédigé :
« Art. 1518 C. - Les transferts et transmissions résultant de l'exécution d'un contrat de fiducie sont sans incidence sur la valeur locative des biens concernés. ».
IV. - L'article 1400 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« IV. - Lorsqu'un immeuble a été transféré en application d'un contrat de fiducie, la taxe foncière est établie au nom du fiduciaire. ». -
Adopté.
Section V
Droit de contrôle et droit de communication
I. - Après le troisième alinéa de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'un contrat de fiducie ou les actes le modifiant n'ont pas été enregistrés dans les conditions prévues à l'article 2018 du code civil, ou révélés à l'administration fiscale avant l'engagement de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'un contribuable qui y est partie ou en tient des droits, la période prévue au troisième alinéa est prorogée du délai écoulé entre la date de réception de l'avis de vérification et l'enregistrement ou la révélation de l'information. ».
II. - L'article L. 13 du même livre est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les fiducies, en la personne de leur fiduciaire, sont soumises à vérification de comptabilité dans les conditions prévues au présent article. ».
III. - L'article L. 53 du même livre est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En ce qui concerne les fiducies, la procédure de vérification des déclarations déposées par le fiduciaire pour le compte de ces dernières est suivie entre l'administration des impôts et le fiduciaire. ».
IV. - Dans la section IV du chapitre premier de la première partie (partie législative) du même livre, il est ajouté un V ainsi rédigé :
« V. Fiducie
« Art. L. 64 C. - Sans préjudice de la sanction de nullité prévue à l'article 2013 du code civil, les contrats de fiducie consentis dans une intention libérale au sens de l'article 792 bis du code général des impôts, et qui conduisent à une minoration des droits au titre de tous impôts et taxes dus par l'une quelconque des personnes parties au contrat ou en tenant des droits, ne peuvent être opposés à l'administration, qui est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. »
V. - Le deuxième alinéa de l'article L. 68 du même livre est complété par les mots : «, ou, pour les fiducies, si les actes prévus à l'article 635 du code général des impôts n'ont pas été enregistrés ».
VI. - Après le 1° bis de l'article L. 73 du même livre, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° ter Le bénéfice imposable des fiducies lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 223 VH du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal par le fiduciaire ; ».
VII. - Après l'article L. 96 E du même livre, il est inséré un article L. 96 F ainsi rédigé :
« Art. L. 96 F. - Le fiduciaire, le constituant, le bénéficiaire, ou toute personne physique ou morale exerçant par quelque moyen, un pouvoir de décision direct ou indirect sur la fiducie, doivent communiquer sur sa demande à l'administration des impôts tout document relatif au contrat de fiducie, sans que puisse être opposée l'obligation de secret prévue à l'article 226-13 du code pénal. » -
Adopté.
Le dernier alinéa de l'article 1729 du code général des impôts est complété par les mots : « ou en cas d'application des dispositions de l'article 792 bis ». -
Adopté.
CHAPITRE IV
DISPOSITIONS COMPTABLES
I. - Les éléments d'actif et de passif transférés dans le cadre de l'opération mentionnée à l'article 2011 du code civil forment un patrimoine d'affectation. Les opérations affectant ce dernier font l'objet d'une comptabilité autonome chez le fiduciaire.
II. - Les personnes morales mentionnées à l'article 2014 du code civil établissent des comptes annuels conformément aux dispositions des articles L. 123-12 à L. 123-15 du code de commerce.
III. - Le contrôle de la comptabilité autonome mentionnée au premier alinéa est exercé par un ou plusieurs commissaires aux comptes nommés par le fiduciaire, lorsque le ou les constituants sont eux-mêmes tenus de désigner un commissaire aux comptes. Le rapport du commissaire aux comptes est présenté au fiduciaire. Le commissaire aux comptes est délié du secret professionnel à l'égard des commissaires aux comptes des parties au contrat de fiducie.
IV. - Les dispositions des I et II sont précisées par un règlement du comité de la réglementation comptable. -
Adopté.
CHAPITRE V
DISPOSITIONS COMMUNES
Le constituant et le fiduciaire doivent être résidents d'un État de la Communauté européenne ou d'un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale en vue d'éliminer les doubles impositions qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale. -
Adopté.
Lorsque le contrat de fiducie a pour objet de couvrir des risques d'assurance ou de réassurance, les dispositions de la présente loi s'appliquent sous réserve des dispositions du code des assurances. -
Adopté.
Les documents relatifs au contrat de fiducie sont transmis, à leur demande et sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, au service institué à l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, aux services des douanes et aux officiers de police judiciaire, aux autorités de contrôle compétentes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, à l'administration fiscale et au juge, par le fiduciaire, le constituant, le bénéficiaire ou par toute personne physique ou morale exerçant, de quelque manière que ce soit, un pouvoir de décision direct ou indirect sur la fiducie.
Ces documents sont exigibles pendant une durée de dix ans après la fin du contrat de fiducie. -
Adopté.
Après l'article 2328 du code civil, il est inséré un article 2328-1 ainsi rédigé :
« Art. 2328-1.- Toute sûreté réelle peut être inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l'obligation garantie par une personne qu'ils désignent à cette fin dans l'acte qui constate cette obligation. » -
Adopté.
Le code civil est ainsi modifié :
1° Après l'article 468, il est inséré un article 468-1 ainsi rédigé :
« Article 468-1.- Les biens ou droits d'un mineur ne peuvent être transférés dans un patrimoine fiduciaire. » ;
2° L'article 1424 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« De même, ils ne peuvent, l'un sans l'autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire. » ;
3° L'article 1596 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les fiduciaires, des biens ou droits composant le patrimoine fiduciaire. ».
L'amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer les 1° et 2° de cet article.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Il s'agit d'un amendement de coordination qui, là encore, tend à tirer les conséquences de la limitation de la fiducie aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés.
Cet amendement a pour objet de supprimer les dispositions relatives à la protection des biens des mineurs et des époux, qui avaient été insérées dans le code civil en raison de l'extension de la fiducie aux personnes physiques.
L'article 17 des conclusions du rapport de la commission contenait de bonnes dispositions ! En vertu de celles-ci, les mineurs n'auraient pu apporter de biens à un fiduciaire, et les couples mariés sous le régime de la communauté n'y auraient été autorisés que sous réserve de l'accord des deux époux.
Toutefois, ces belles dispositions - nous les regretterons !
Sourires
Je m'interroge sur les sociétés civiles, car certaines d'entre elles peuvent être soumises à l'impôt sur les sociétés. Sommes-nous vraiment sûrs qu'elles ne sont plus concernées par ce dispositif ?
Mon cher collègue, aux termes de l'amendement n° 1 rectifié, qui a été voté tout à l'heure, seules les personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés pourront constituer des fiducies.
Toute SCI, ou société civile immobilière, qui fait le choix de se trouver assujettie à l'impôt sur les sociétés pourra donc être constituante.
Tout à fait, dès lors qu'elle fait le choix d'être soumise à l'impôt sur les sociétés.
L'amendement est adopté.
L'article 17 est adopté.
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Le II de l'article L. 233-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 5° Entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant »
2° Le I de l'article L. 632-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 9° Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire en application des articles 2011 et suivants du code civil ». -
Adopté.
Les conséquences financières entraînées par l'application des dispositions de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la contribution prévue à l'article 527 du code général des impôts.
L'amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Cet amendement a pour objet de lever le gage.
L'amendement est adopté.
En conséquence, l'article 19 est supprimé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 178.
La proposition de loi est adoptée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Philippe Richert.