J'en viens maintenant au contenu de la proposition de loi.
La fiducie se présente comme une opération par laquelle une personne - le constituant - transfère des biens ou des droits à une autre personne - le fiduciaire - avec pour mission de les gérer dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires.
Cette proposition permet donc à une personne de transférer, par contrat, la propriété de tout type de biens ou de droits à un fiduciaire et d'en fixer la destination dans la plus grande liberté contractuelle possible.
En précisant que la fiducie trouve sa source principalement dans le contrat, la proposition de loi la soumet au droit général des obligations, nouvelle preuve de son enracinement dans notre tradition juridique.
À cet égard, il est envisagé d'insérer les dispositions civiles de la fiducie dans le livre III du code civil, entre les dispositions consacrées au mandat et celles qui sont relatives à la transaction.
Le principe de liberté contractuelle, indispensable pour assurer la souplesse de cet instrument, sera donc au coeur de ce nouveau contrat. Ainsi, les parties auront toute latitude pour organiser comme elles le veulent leur relation fiduciaire : fixer les obligations de chacun, prévoir les modalités de fin de la fiducie, désigner expressément le bénéficiaire ou seulement permettre sa détermination.
La fiducie s'inscrit donc parfaitement dans notre droit des contrats.
Elle n'en est pas moins porteuse d'innovations, la plus remarquable étant sans nul doute la consécration de la notion de patrimoine d'affectation.
En effet, les biens remis en fiducie formeront un patrimoine autonome, qui ne sera plus celui du constituant, mais qui ne s'intégrera pas non plus à celui du fiduciaire. Dès lors, les procédures collectives qui pourraient être ouvertes au bénéfice du constituant ou du fiduciaire n'affecteront pas les biens remis en fiducie. Il s'agit là d'une innovation majeure dans notre droit, qui était marqué, depuis le XIXe siècle, par le principe de l'unité du patrimoine.
La proposition de loi offre ainsi une nouvelle institution juridique moderne, d'une grande souplesse et qui pourra trouver des utilisations très variées.
Par exemple, la fiducie pourra servir comme sûreté pour garantir l'exécution d'une obligation, avec toute l'efficacité que confère la propriété. C'est la « fiducie-sûreté » qui est ici consacrée.
Elle pourra également être utilisée pour confier la gestion de biens ou de certaines activités d'une entreprise à un tiers de confiance. C'est la « fiducie-gestion ».
Mais ce ne sont pas là les seuls motifs de satisfaction que j'ai à exprimer : la proposition de loi comprend en outre plusieurs mesures garantissant une utilisation raisonnable et contrôlée de ce nouvel instrument.
Tel est le cas du régime fiscal appliqué à la fiducie. Afin d'empêcher la constitution d'une fiducie par une personne aux seules fins d'échapper à ses obligations fiscales, un régime de neutralité a été mis en place. Ainsi, pour les impôts directs, les résultats de la fiducie seront imposés sur le patrimoine du constituant pendant la durée du contrat de fiducie et tant que les biens n'auront pas été transmis à un bénéficiaire. Seuls les impôts liés à l'activité du fiduciaire seront payés par celui-ci, telles la TVA, la taxe professionnelle ou la taxe foncière. Mais je laisse à Christine Lagarde le soin de développer ce point particulier.
Tel est le cas également de la limitation de l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés, tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Un tel dispositif est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent. La proposition de loi rejoint donc la préoccupation du Gouvernement de cantonner l'usage de cet instrument aux professions qui ont une compétence particulière en matière de gestion de patrimoine.
Tel est encore le cas des mesures destinées à assurer la publicité des fiducies, mais aussi de la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des autorités de contrôle, fiscales et judiciaires. Ces dispositions reçoivent l'entière approbation du Gouvernement. Elles sont de nature à assurer la plus grande transparence à ce nouveau mécanisme et permettent ainsi d'éviter que la fiducie ne devienne le vecteur d'activités frauduleuses.
Tel est, enfin, le cas de l'exclusion de la fiducie-transmission appelée aussi « fiducie-libéralité ». Cette interdiction est nécessaire, mais peut-être pas suffisante, comme nous le verrons dans un instant, pour éviter la remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions, notamment les atteintes au principe de la réserve héréditaire, que la récente réforme des successions a certes assoupli, mais maintenu.
Si, sur tous les points que j'ai précédemment évoqués, le Gouvernement approuve la proposition de loi qui vous est présentée, il est une question qui a suscité débat, celle du constituant personne physique : le Gouvernement souhaite cantonner la fiducie aux personnes morales, alors que votre rapporteur envisage de l'étendre aux personnes physiques.
Toutefois, sur cette question également, je me réjouis que nous soyons en mesure - c'est du moins ce que je crois ! - de trouver un accord. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, d'avoir examiné avec bienveillance, ce matin, les amendements déposés en ce sens par le Gouvernement ; j'espère qu'ils seront adoptés par le Sénat.
Permettez-moi simplement de rappeler les raisons pour lesquelles le Gouvernement est opposé à l'extension de la qualité de constituant aux personnes physiques.
Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait de réels besoins en ce sens pour les personnes physiques. Je considère au contraire qu'une telle extension risquerait de compromettre l'efficacité des apports issus de la réforme du droit des sûretés. Elle pourrait par ailleurs encourager les situations de fraude au droit des successions et au régime de protection des majeurs incapables.
Je l'ai dit, l'ordonnance du 23 mars 2006 a réformé en profondeur le droit des sûretés en offrant aux personnes physiques une palette rénovée et diversifiée d'instruments pour garantir le recouvrement des créances et faciliter leur accès au crédit. Cette réforme a été accompagnée de mesures particulières prises en faveur des personnes physiques les plus vulnérables, afin d'assurer un équilibre entre les intérêts en présence. C'est ainsi que le pacte commissoire a été écarté en matière de crédit à la consommation et que la garantie autonome a été fortement cantonnée en matière de bail d'habitation.
Admettre l'extension de la fiducie au profit des personnes physiques aurait pour conséquence de rompre le juste équilibre apporté par cette réforme. La cohérence de notre droit pourrait s'en trouver affectée.
Par ailleurs, je crains que la prohibition de la fiducie-libéralité, sur laquelle nous sommes pleinement d'accord, ne soit contournée par l'extension de la fiducie aux personnes physiques et qu'elle n'ouvre ainsi la voie à une remise en cause des dispositions d'ordre public du droit des successions.
À cet égard, je me permets de vous rappeler que l'un des obstacles majeurs auxquels s'est heurtée jusqu'à présent l'introduction de la fiducie en droit français résidait dans la crainte que celle-ci ne serve de mécanisme de fraude à maintes dispositions d'ordre public. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce dispositif n'a pas été adopté plus tôt par le Parlement français. Si nous voulons aller jusqu'au bout, allons-y lentement, mais sûrement !
Le cantonnement de la possibilité de constituer une fiducie aux seules personnes morales permet, en revanche, de lever ces réticences.
Enfin, le droit français connaît un régime spécifique de protection des majeurs incapables, qui exige l'intervention du juge afin de leur assurer une meilleure protection.
La gestion des biens des incapables par le biais d'une fiducie serait plus opaque et rendrait plus complexe, voire impossible, le contrôle des comptes par le juge des tutelles.
En résumé, pour les trois ordres de raisons que je viens d'invoquer, l'extension de la fiducie aux personnes physiques paraît inopportune et sa limitation aux seules personnes morales ne nuira nullement à son attractivité.
Même limitée aux constituants personnes morales, la fiducie représentera déjà une réelle avancée pour les opérations commerciales ou de financement international, principaux domaines dans lesquels le besoin de fiducie se fait sentir.
Permettez-moi de conclure mon propos en tirant les leçons du passé.
Vous n'ignorez pas le sort qui fut réservé aux précédents textes sur la fiducie, qui étaient parfois très ambitieux, trop sans doute puisqu'ils ont tous échoué ! Je forme avec vous le voeu qu'il n'en sera pas de même pour cette proposition de loi et j'entends bien qu'elle aille à son terme, monsieur le rapporteur ! La malédiction qui a jusqu'à présent marqué toute tentative d'introduction de la fiducie en droit français doit être conjurée...