Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 17 octobre 2006 à 16h20
Fiducie — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Christine Lagarde, ministre déléguée :

Les enseignements de ces échecs me semblent avoir été tirés, aussi bien par l'auteur de la proposition de loi que par le rapporteur, avec lequel nous avons eu des échanges, je dois le dire, extrêmement approfondis et fructueux. Monsieur le rapporteur, je tiens à souligner votre implication, votre esprit de compromis et votre souci de l'efficacité.

C'est grâce à vos efforts conjugués, monsieur le rapporteur, monsieur Marini, que quelque bon génie semble s'être penché sur ce texte pour doter la fiducie de nombreux éléments très attractifs.

Ainsi, cette proposition de loi offre une grande souplesse : elle n'est pas cantonnée à une finalité déterminée. Sous la seule réserve de l'interdiction de son utilisation à des fins de transmission à titre gratuit, il appartiendra aux parties au contrat d'en déterminer, sans autre exclusive, l'usage qu'elles souhaitent lui donner. C'est donc le principe de la liberté contractuelle, auquel le Gouvernement est particulièrement attaché, qui prévaut dans ce texte.

On sait que la question fiscale est essentielle pour ce type de dispositifs : elle peut être une source aussi bien d'échec que de dérives. À cet égard, le parti que vous avez pris me semble sage : la fiducie, telle que vous l'avez conçue, n'est ni un trust ni un instrument de fiscalité ; elle est bien un outil juridique.

Dans ces conditions, l'ensemble des règles fiscales applicables résulte du choix d'un régime fiscal lui-même attractif - celui des sociétés de personnes -, avec l'application favorable du principe de neutralité fiscale, que ce soit en matière d'imposition des bénéfices, des plus-values, de droits d'enregistrement ou de TVA.

S'agissant de l'impôt sur les bénéfices, ce régime fiscal très favorable cumule une absence d'imposition au moment du transfert des actifs dans le patrimoine fiduciaire ou en cas de retour des biens transférés. Le fiduciaire détermine la quote-part de résultat qui est taxée chaque année chez le constituant. En particulier, s'il s'agit d'un déficit, celui-ci s'imputera sur le résultat propre du constituant.

En matière de droits d'enregistrement, les actes relatifs au contrat de fiducie sont soumis à un simple droit fixe ou à la taxe de publicité foncière à taux réduit lorsque le contrat porte sur des immeubles ou sur des droits réels immobiliers. Le retour de tout ou partie du patrimoine fiduciaire au constituant ne donnerait pas lieu à la perception de la taxe de publicité foncière.

Dans le cadre de sa gestion courante, l'activité exercée en fiducie est soumise à une fiscalité de droit commun, s'agissant par exemple des droits de mutation à titre onéreux, de la TVA, comme de la taxe professionnelle.

Vous avez également su conjurer les mauvaises fées en proposant la création d'une fiducie irréprochable sur plusieurs aspects, conformément à la position très ferme que la France a maintes fois exprimée dans les diverses enceintes internationales traitant de ces sujets.

Ainsi, la protection des droits des créanciers est assurée. En cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, sauf s'ils déclinent expressément cette possibilité, les créanciers disposeront d'un patrimoine subsidiaire, celui du constituant ou celui du fiduciaire suivant les dispositions du contrat de fiducie.

Par ailleurs, la création d'un protecteur, la compétence et la surface financière exigée du fiduciaire en font un outil sûr et fiable pour les constituants qui y auront recours. En effet, la proposition de loi limite l'exercice de la fonction de fiduciaire à certains organismes financiers réglementés tels que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les entreprises d'assurance. Ce point est indispensable pour fournir toutes les garanties de compétence et de sérieux nécessaires à l'établissement de la relation de confiance entre le constituant et le fiduciaire, et pour écarter tout risque lié au blanchiment d'argent.

Enfin, la reconnaissance d'un droit de communication élargi au profit des instances de lutte contre le blanchiment est aussi de nature à répondre à cette problématique.

Un point a néanmoins suscité des discussions particulièrement nourries entre nous : celui de la possibilité laissée à des personnes physiques de constituer des fiducies.

Vous savez que le Gouvernement a déposé des amendements en vue de réserver la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, amendements auxquels, je l'espère, la commission des lois sera favorable.

Je tiens à insister auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les enjeux liés à cette question délicate, mais essentielle, si nous souhaitons voir aboutir ce projet.

Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement a souhaité réserver ce nouvel instrument aux seuls constituants personnes morales, raisons qui viennent de vous être exposées par M. le garde des sceaux. Je souhaite simplement insister à nouveau sur le fait que l'une des clés du succès de ce texte réside dans le fait que, contrairement à ceux qui l'ont précédé, il se fixe un objectif clair : instaurer un outil souple et évolutif à l'usage des professionnels, notamment les petites et moyennes entreprises, pour les besoins de leur activité économique. Il s'agit non pas de mettre en place un instrument étriqué, mais de répondre de manière pragmatique aux besoins des acteurs concernés, qui ont été entendus.

Autant le besoin des entreprises à l'égard de la fiducie est clairement démontré par la pratique, autant celui des personnes physiques ne l'est pas. Il n'a notamment pas été mis en évidence par les praticiens concernés au cours des travaux du groupe de travail co-animé par le ministère des finances et la Chancellerie.

Je note par ailleurs que, sur un plan pratique, les personnes morales sont accoutumées à assumer des obligations déclaratives précises. Il est relativement aisé d'assurer, à leur égard, le principe de neutralité fiscale. En revanche, le suivi d'un patrimoine d'affectation chez des personnes physiques entraînerait des obligations déclaratives lourdes pour ces dernières et le risque d'utilisation de la fiducie à des fins de transmission à titre gratuit serait sans doute démultiplié.

Dans ces conditions, et compte tenu non seulement de l'avis émis par les praticiens, mais aussi de l'absence de manifestation de besoin évident lors des consultations précédemment évoquées, on ne voit pas bien quel serait l'usage d'un nouvel instrument de gestion patrimoniale à destination des personnes physiques, instrument dont vous reconnaîtrez avec moi qu'il ne serait probablement pas à la disposition du Français moyen ou du patrimoine moyen.

À tort ou à raison, la question de la fiscalité des personnes physiques viendra vraisemblablement s'inscrire dans ce débat, au risque, hélas, de brouiller le message et l'objet de l'instrument que nous essayons de mettre en place.

L'extension de la fiducie à l'égard des personnes physiques, sans nécessité démontrée, soulèverait ainsi des difficultés et des risques de dérives que l'interdiction de la fiducie-libéralité ne suffit pas à elle seule à éviter. Ce choix modifierait très substantiellement le cadre et l'ampleur de cette réforme, au risque, sans doute, de la faire échouer une fois de plus, comme l'a souligné M. le garde des sceaux, au bénéfice d'un débat probablement beaucoup plus idéologique et également infructueux.

Eu égard à l'innovation historique que constitue l'introduction de la fiducie dans notre droit, il nous semble prudent, à ce stade, de nous en tenir aux mesures qui, nous le savons, correspondent à une demande identifiée de nos opérateurs économiques et dont les conséquences sont parfaitement maîtrisables.

Tel est l'objet des amendements que le Gouvernement a déposés sur ce texte et qui recueilleront, je l'espère, votre assentiment, monsieur Marini, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur.

Comme je l'ai indiqué, la fiducie n'est pas un trust. Elle est un instrument non pas fiscal mais juridique. Elle est un outil souple et efficace, concourant largement à l'amélioration de l'attractivité du droit français et de notre économie.

Grâce à l'initiative que vous avez prise, monsieur Marini, grâce aux travaux de la commission des lois, de son président et de son rapporteur, le Sénat est amené aujourd'hui à examiner un texte instituant un instrument nouveau, souple et évolutif, capable de répondre aux attentes des professionnels.

Cette proposition de loi démontre la capacité de notre pays à s'inspirer, sans les copier, des exemples étrangers, à moderniser son cadre juridique sans le bouleverser, à s'adapter à la mondialisation sans pour autant renoncer à son identité, en se réappropriant, tout simplement, la fiducie.

Sous la réserve exprimée concernant les personnes physiques et correspondant aux amendements déposés par le Gouvernement, celui-ci apportera tout son soutien à ce texte, qui constituera sans nul doute une étape essentielle dans la modernisation de notre droit économique.

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