Intervention de François Zocchetto

Réunion du 17 octobre 2006 à 16h20
Fiducie — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, mes chers collègues, ceux qui m'ont précédé à cette tribune ont eu l'occasion de rappeler que la fiducie, connue du droit romain, a été introduite depuis longtemps dans le droit de plusieurs pays de tradition civiliste. Ils ont également rappelé que toutes les tentatives d'introduction de cette institution en droit français, depuis 1992, surtout, mais même depuis 1989, ont échoué, au motif principal qu'elle remettait en cause le principe de l'unicité du patrimoine.

Cependant, force est de constater que cette situation ne préjuge en rien de l'utilité et de la nécessité de ce dispositif, notamment en matière d'efficacité économique et de gestion du patrimoine. L'absence de la fiducie, il faut en être conscient, constitue aujourd'hui un handicap en termes d'attractivité pour notre pays.

Comme M. Henri de Richemont l'a souligné dans son rapport très complet mais aussi très subtil - car la tâche n'était pas facile -, si la fiducie était réellement introduite en droit français, elle constituerait une innovation juridique considérable permettant de faciliter la constitution de sûretés et la gestion de biens pour le compte d'autrui.

Certes, des dispositifs tendent déjà à initier un semblant de fiducie. Je pense notamment à la titrisation, au prêt sur titres, au réméré, et aux cessions de créances, que l'on appelle « cessions-Dailly ». Cependant, ces dispositifs restent cantonnés à des domaines particuliers du droit.

En outre, la fiducie permettrait utilement de concurrencer le trust anglo-saxon, auquel un certain nombre de nos entreprises, cherchant à assurer des opérations de financement complexes, ont recours, puisque notre droit national n'offre pas ce genre d'instrument et que nos frontières, en matière juridique et financière, sont totalement perméables.

L'utilité d'un tel dispositif n'est donc pas discutable et nous saluons de façon unanime - du moins, je l'espère - l'initiative de M. Philippe Marini, dont la perspicacité, les qualités de rédacteur mais aussi de négociateur avec un certain nombre d'administrations nous permettent de discuter du sujet ce soir.

Pour ma part, je voudrais insister sur deux conditions qui me semblent impératives pour rendre le dispositif de la fiducie réellement opérant et pour lui donner un véritable intérêt sur le plan économique et sur le plan juridique.

Ces deux conditions sont reprises dans le texte adopté par la commission et ne devraient pas être remises en question. En premier lieu, le texte qui nous est présenté prévoit un cadre juridique unitaire pour la fiducie, en n'opérant pas de distinction entre la fonction de gestion et la fonction de sûreté que pourraient assigner les parties au contrat de fiducie. En second lieu, le texte ouvre ce mécanisme juridique tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales, quel que soit, d'ailleurs, le mode d'imposition de ces dernières.

Ces deux caractères nous apparaissent comme étant d'autant moins discutables que de très nombreuses garanties ont été prévues ou ajoutées par la commission des lois.

Je tiens notamment à rappeler que toute utilisation de la fiducie à des fins de libéralités est interdite dans cette proposition de loi et que le constituant reste le seul redevable des droits d'enregistrement, des taxes de publicité foncière ainsi que des impôts directs, nonobstant le transfert intervenu, permettant ainsi d'assurer la totale neutralité fiscale du dispositif.

Nous avons eu le souci, monsieur le garde des sceaux, madame le ministre, d'assurer un maximum de sécurité au dispositif. Ainsi, le texte prévoit que la qualité de fiduciaire est réservée à des personnes soumises à de strictes règles de contrôle et de transparence et offrant des garanties de solvabilité. Il prévoit également que le constituant a la possibilité de nommer celui que l'on a appelé sans doute un peu rapidement un « protecteur » de la fiducie - je sais que M. Badinter proposera une autre dénomination -, du moins une tierce personne chargée de s'assurer de la préservation de ses intérêts. Le texte prévoit, enfin, l'instauration de mécanismes de contrôle et de sanction efficaces contre les utilisations de la fiducie à des fins illicites, puisque telle est toujours la crainte sous-jacente dès lors qu'il est question de fiducie.

Compte tenu de toutes ces garanties, et sans préjuger de ce que sera la réforme des tutelles - que nous attendons - en ce qui concerne la gestion des biens des personnes vulnérables, restreindre la qualité de constituant aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés serait extrêmement réducteur et diminuerait nettement la portée et l'utilité de ce texte novateur. Or ce texte milite pour une plus grande efficacité économique, objectif auquel le Gouvernement ne peut que souscrire.

En effet, si le texte qui nous est soumis était modifié dans le sens annoncé par le Gouvernement, il exclurait la qualité de constituant pour les personnes physiques mais aussi pour les sociétés civiles non soumises à l'impôt sur les sociétés.

De la même façon, nous ne pouvons pas abandonner l'utilisation de la fiducie à des fins de gestion, encore une fois pour des raisons de liberté contractuelle et, surtout, d'efficacité économique, alors que toutes les garanties nécessaires pour lutter contre l'évasion fiscale et le blanchiment de capitaux ont été prises.

Il ne faut pas, aujourd'hui, se tromper d'objectif. La présente réforme du droit français ne vise pas à créer un gadget pour faire plaisir à quelques financiers de haut vol ou juristes internationaux. Elle tend à nous procurer des atouts et de nouvelles possibilités juridiques afin que nous fassions jeu égal avec la concurrence internationale.

L'attractivité de notre territoire dépend non seulement de la législation fiscale et du coût du travail, mais aussi des possibilités et des garanties offertes par notre système juridique - M. Badinter et Mme le ministre ont parlé du « marché du droit » : il est réel et se diffuse de plus en plus - en termes de création d'entreprise, de gestion et d'investissements internationaux.

Vous l'aurez compris, restreindre la fiducie aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, dans un contexte européen, suscitera une grande déception pour la majorité d'entre nous.

Il est vrai que, pour être acceptée, une réforme d'envergure ne peut se faire que par étapes.

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