Intervention de Robert Badinter

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Interdiction de la peine de mort — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Robert BadinterRobert Badinter, rapporteur :

Au-delà, je rappelle l'initiative récente prise par nos amis parlementaires italiens, qui, avec la présidence allemande de l'Union européenne, ont demandé que soit votée une résolution - elle a été adoptée il y a quelques jours, le 1er février 2007, à la faveur du congrès pour l'abolition mondiale de la peine de mort -, afin que tous les Parlements s'unissent pour que « soit mis en place, immédiatement et sans condition, un moratoire universel sur les exécutions capitales, en vue de l'abolition universelle de la peine de mort, à travers une résolution [...] de l'Assemblée générale des Nations unies », et sous le contrôle du secrétaire général. C'est notre devoir que de soutenir cette démarche, c'est notre devoir que d'oeuvrer pour ce moratoire universel !

Oui, notre devoir ne s'arrête pas là, et j'ai tenu à le dire au moment du troisième Congrès mondial contre la peine de mort. Il ne suffit pas d'un moratoire sur les exécutions, encore faut-il un moratoire sur les condamnations. En effet, un moratoire sur les exécutions sans moratoire sur les condamnations, ce sont encore, assurément, des condamnés à mort qui iront dans les quartiers que nous connaissons et que, je le rappelais, la Cour européenne a dénoncés comme constituant en eux-mêmes un châtiment inhumain et dégradant.

Nous ne saurions donc nous contenter d'un moratoire sur les exécutions. Il nous faut, et c'est au gouvernement français de toujours le rappeler, un moratoire sur les condamnations.

J'ajouterai que les circonstances, à cet égard, sont, je n'ose dire particulièrement favorables, mais symboliques. Nous savons que les prochains jeux Olympiques se tiendront à Pékin, en août 2008. Or, j'ai évoqué la situation en Chine. Il est évident, compte tenu de la sensibilité et de la grande fierté de son peuple, que demander au seul gouvernement chinois de suspendre par un moratoire les exécutions, de façon que les stades ne servent qu'aux événements sportifs et aux compétitions entre athlètes, serait mal ressenti. Pourquoi arrêterait-on d'exécuter à Pékin si l'on continuait d'exécuter dans le Texas ?

C'est donc le moratoire universel que, à l'occasion de ce qui, depuis la Grèce antique, a toujours été qualifié de « trêve olympique » - l'on pense aux coursiers qui parcouraient la Grèce en demandant que l'on cesse toute hostilité et toute violence mortelle -, et dans le cadre d'une résolution des Nations unies, il appartient au gouvernement français de soutenir, voire de prendre l'initiative d'en faire la demande.

Au-delà de ces actions qui relèvent du Gouvernement et, je dirai, des gouvernements, il y a ce qu'à cet instant je tiens à rappeler : l'exigence pour chacun d'entre nous de refuser la peine de mort parce que, au-delà du débat moral, au-delà du débat philosophique, au-delà du débat juridique, il s'agit de vies ; il s'agit de femmes et d'hommes ; il s'agit de ceux qui, dans les quartiers de condamnés à mort que j'ai évoqués, attendent, à chaque aube, d'être exécutés ; il s'agit de ce qu'il y a de plus important pour nos sociétés démocratiques ; il s'agit d'une situation que nous ne pouvons pas accepter !

La peine de mort, je le dis ici comme je l'ai déclaré ailleurs, est une honte pour l'humanité. Elle n'a jamais protégé la société des hommes libres, mais elle l'a déshonorée. Si l'on veut réduire la violence mortelle, alors il ne faut pas, jamais, nulle part, en faire la loi de la Cité.

La peine de mort, sacrilège contre la vie, est inutile, ainsi que M. le garde des sceaux l'a rappelé. Jamais, à aucun endroit, elle n'a réduit la criminalité sanglante ; elle nous a toujours abaissés sans jamais nous protéger.

On comprend, dès lors, pourquoi il suffit de regarder une carte pour mesurer que la peine de mort est, toujours et partout, le signe de la barbarie totalitaire. Le maître, le chef, le Führer dispose de la vie et du corps de ses sujets comme jadis le maître de son esclave.

Et je pose la question : qu'avons-nous à voir, nous, enfants de la liberté, avec ces sacrilèges sanglants ? Tant qu'on fusillera, qu'on empoisonnera, qu'on gazera, qu'on décapitera, qu'on lapidera, qu'on pendra, qu'on suppliciera, où que ce soit dans le monde, il ne pourra pas y avoir de répit pour tous ceux qui croient que la vie, le droit à la vie de chacun, serait-ce du plus misérable, est pour l'humanité tout entière la valeur suprême : il ne peut y avoir de justice qui tue.

Ma conviction, mes chers collègues, est depuis longtemps absolue. Mais ce dont je suis aujourd'hui plus convaincu encore, c'est que la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde, et plus tôt que les sceptiques, que les nostalgiques, que les amateurs de supplices ne le croient.

Malgré les génocides, les déportations, les massacres, l'humanité avance. Nous avons trop vu la face sombre de l'espèce humaine, nous la retrouvons encore trop dissimulée dans le monde sous tous les masques du tribalisme, du nationalisme, du fanatisme, de l'intégrisme, du racisme.

Nous la connaissons bien dans notre histoire la longue traînée sanglante que la violence mortelle nous a laissée et c'est pourquoi je suis heureux que, avec cette constitutionnalisation, nous proclamions, nous, Français, que plus jamais, sous couleur de justice, la mort ne sera notre loi. De la justice, nous ne devons connaître que le visage serein de Minerve. « Vive la vie » s'écrie l'homme de paix et de liberté.

Pendant la guerre civile en Espagne, un général fasciste, à Tolède, sur les ruines, s'écriait dans un délire blasphématoire : « Viva la muerte ». Nous, c'est l'inverse, c'est l'absolu : « Que vive la vie ! » Mes chers collègues, c'est tout le sens de ce combat pour l'abolition de la peine de mort.

Aujourd'hui, nous réalisons le voeu du plus grand des abolitionnistes, qui fut aussi sénateur. Vous êtes, chère Hélène Luc, assise à sa place, et je me souviens de l'avoir regardée, avec Léon Jozeau-Marigné, au moment où tombait la décision d'abolition prise par le Sénat. Oui, aujourd'hui, nous réalisons enfin le voeu de Victor Hugo en 1848 : « Je vote l'abolition pure, simple et définitive » ; j'ajouterai seulement : « et demain universelle. »

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