Intervention de François Zocchetto

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Interdiction de la peine de mort — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le combat contre la peine de mort est un long combat. Il sera bientôt terminé dans nos lois, mais il n'est pas fini dans nos têtes, comme l'illustre le récent débat en France sur l'exécution de Saddam Hussein.

Depuis Voltaire et Hugo, deux cents ans après que Le Peletier de Saint-Fargeau a demandé en 1791 l'abolition de la peine capitale, le vote, par le Parlement, de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution est, souhaitons-le, le dernier pas d'une longue marche.

Refuser la peine de mort, c'est un acte d'espoir dans l'amélioration de l'homme, mais c'est aussi un acte de raison.

L'abolition répond à une triple exigence : morale, politique et juridique.

La première exigence est morale. En effet, personne ne soutient plus que la peine de mort aurait une quelconque valeur en ce domaine. À l'inverse, son abolition, par l'hommage insigne qu'elle rend au droit à la vie, porte au plus haut point le refus d'une justice qui utiliserait les mêmes armes que ceux qu'elle condamne, car se servir de la peine de mort contre ceux qui tuent, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. Et que dire également de l'exigence morale qui est la nôtre, au regard des erreurs judiciaires avérées, malheureusement répétées, réelles et prouvées ?

La deuxième exigence est politique. Sur le plan international, l'inscription de l'interdiction de toute peine capitale dans notre Constitution, par son caractère quasi irréversible, rapproche la France de toutes les nations qui ont opté - elles sont nombreuses -, à titre individuel ou collectif, pour le rejet de l'exécution.

La troisième exigence, enfin, est juridique. En effet, pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France se doit de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort. Or, en ce qui concerne le deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Conseil constitutionnel a très clairement « estimé que sa ratification exigerait une révision de la Constitution ».

Ainsi, le présent projet de loi constitutionnelle ouvrira à la France le verrou de la ratification et permettra à notre pays de participer à cet instrument d'abolition universelle de la peine de mort.

Mais l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, c'est aussi un message aux Chinois, qui exécutent « allègrement » - si j'ose dire - les opposants, qu'ils soient politiques, de droit commun ou supposés coupables. C'est également un message à certains pays du Golfe, qui lapident des femmes seulement coupables d'avoir été amoureuses. C'est encore un message aux Etats-Unis, qui ont oublié qu'ils sont aussi le pays des droits de l'homme. Car le travail est désormais à mener sur un plan international.

Je voudrais m'attarder quelques instants sur le cas de la Chine.

Ce pays est en tête des nations par le taux élevé de sa croissance, mais il l'est aussi pour le nombre des condamnations à mort et des exécutions capitales : 95 % des exécutions perpétrées dans le monde frappent des Chinois. Bien que le mystère plane sur le nombre exact des condamnés, on estime que plus de 100 000 personnes ont été exécutées dans ce pays depuis dix ans, sans que le rythme se ralentisse ces derniers temps. Rapporté à la population de la France, cela correspondrait à cinq cents exécutions par an dans notre pays.

De plus, les informations récoltées sur le cas chinois, çà et là, font frémir. Ainsi, il est avéré que les organes principaux des condamnés sont prélevés pour être greffés sur d'autres personnes. Pire, un marché de la greffe d'organes existe, pour les personnes riches, évidemment. Les exécutions sont programmées en fonction de commandes déjà enregistrées, à partir de tarifs bien connus...

Bref, comme le dit le directeur d'un grand quotidien régional français : « Ces pratiques abominables sont des crimes contre l'humanité. »

Il n'est pas question de passer sous silence une telle situation, au moment où la Chine se prépare à accueillir les jeux Olympiques, au moment aussi, monsieur le garde des sceaux, où la France s'apprête à signer un traité d'extradition avec la Chine, qui permettra aux Chinois de réclamer à notre pays l'extradition de ressortissants qu'elle voudrait condamner. Je crois utile de rappeler tout cela, car certains, même dans notre pays, peuvent se laisser entraîner par le mirage chinois et évoquer la célérité de la justice en Chine.

Cette situation n'est pas définitive. Elle peut évoluer, comme l'ont dit M. le rapporteur et M. le garde des sceaux, si nous poursuivons nos efforts, chacun d'entre nous, dans la mesure de nos moyens et de nos responsabilités respectives.

Enfin, avec l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle, l'utilisation de l'article 16 de la Constitution ne pourra en aucun cas servir à rétablir la peine de mort, même de manière temporaire. Sur ce point, le pouvoir constituant que nous représentons doit être bien clair.

Pour conclure, je me permettrai d'indiquer que la multiplication des dispositions à portée symbolique - dans les articles mêmes du texte constitutionnel et non seulement dans son préambule - présente des risques : d'une part, la portée normative de ces déclarations de principe reste incertaine ; d'autre part, cette nouvelle habitude introduit une confusion dans la hiérarchie des valeurs, en situant sur le même plan des dispositions très hétéroclites, alors que, sans nul doute, l'interdiction de la peine de mort figure au sommet de cette hiérarchie des valeurs.

Une fois cette mise en garde faite, je tiens à préciser que le groupe UC-UDF votera à l'unanimité ce projet de loi constitutionnelle, qui consolide le choix abolitionniste fait par le législateur en 1981.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion