Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « ce que j'écrirai ainsi ne sera peut-être pas inutile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure, minute par minute, supplice par supplice, si j'ai la force de le mener jusqu'au moment où il me sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ?
« N'y aura-t-il pas dans ce procès-verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d'autopsie intellectuelle d'un condamné, plus d'une leçon pour ceux qui condamnent ?
« Peut-être n'ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d'un arrêt de mort.
« Que ce que j'écris ici puisse être un jour utile à d'autres, que cela arrête le juge prêt à juger, que cela sauve des malheureux, innocents ou coupables, de l'agonie à laquelle je suis condamné. »
C'est avec une certaine émotion que je souhaitais introduire mon propos en citant cet extrait du Dernier jour d'un condamné, ouvrage qui m'a profondément marquée.
Comment, en effet, ne pas faire référence à Victor Hugo, dont le seul nom est si intimement et si définitivement lié à l'abolition de la peine de mort, et ce pas simplement parce qu'il était sénateur - il le fut bien plus tard - mais surtout parce que, telle une sentinelle, il éclaira le XIXe siècle par sa clairvoyance et son opiniâtreté dans tous les combats de cette époque ? Et cela, au point de faire presque oublier l'autre abolitionniste que compta notre Haute Assemblée ; Alsacienne moi-même, je n'omettrai pas de rendre à Victor Schoelcher un hommage appuyé.
Mon émotion est sincère. En effet, si je n'étais pas parmi vous, je garde en mémoire la teneur des débats parlementaires de l'époque et bien, au-delà de cette enceinte, les discussions que provoquait, dans tous les foyers, cette question fondamentale dès lors qu'elle attente à la vie.
Mais si le nom de Victor Hugo demeure indéfectiblement lié à l'abolition, il en est un autre que personne ne peut omettre : je me tourne vers vous, monsieur Badinter.