Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Interdiction de la peine de mort — Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Mais revenons à notre situation actuelle. Pourquoi inscrire l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution ? Cette marche en faveur de l'humanité doit-elle s'arrêter à nos frontières ?

À la première question, on pourrait tenter de répondre, comme l'ont évoqué plusieurs collègues avant moi, qu'un tel choix résulte directement de la volonté du Président de la République, ce dont je lui sais gré. Mais l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution ne relève pas seulement de l'acte symbolique ; elle marque la véritable évolution de notre société et revêt une haute portée juridique.

Dans notre ordre juridique interne, cela aura pour effet de placer l'abolition de la peine de mort au sommet de la hiérarchie des normes. Aussi se retrouvera-t-elle hors de portée de toute velléité de retour en arrière législatif, qui ne relève malheureusement pas de la simple hypothèse d'école.

Ne l'oublions pas, il n'y a pas si longtemps, en 2004, quarante-sept députés, parmi lesquels les tristement célèbres Christian Vanneste et Georges Mothron, ont déposé une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort.

La volonté d'inscrire son interdiction dans la Constitution constitue un sévère revers politique pour eux : ils sont non seulement totalement désavoués, mais également empêchés de mettre en oeuvre leur inacceptable projet.

Par ailleurs, une telle inscription aura une portée internationale. Elle ferme ainsi définitivement la porte que le protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, ratifié en 1985, avait laissé ouverte en maintenant la possibilité de prévoir la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre, ce qui pouvait être dénoncé.

L'adoption de ce projet de loi constitutionnelle nous permettra de signer et de ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui fait obstacle au rétablissement de la peine capitale, y compris en cas de guerre et de circonstances exceptionnelles, parce qu'il interdit toute réserve et ne peut pas être dénoncé.

Cela nous permettra également de signer le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, adopté par le Conseil européen le 3 mai 2002.

Le pas que nous nous apprêtons à franchir tous ensemble est un pas historique et fondamental, d'une portée internationale. Ce que nous mettons en oeuvre est essentiel non seulement pour notre démocratie, mais également pour la démocratie européenne.

Cependant, aussi significatif soit-il, ce pas est encore incomplet. En inscrivant l'abolition de la peine de mort dans la Constitution, nous ne rendons pas complète l'oeuvre de la lutte contre l'inhumain et l'insoutenable.

En effet, deux champs d'une importance primordiale demeurent à conquérir.

Le premier champ concerne la lutte à mener partout dans le monde pour l'abolition totale de la peine de mort.

Après Strasbourg en 2001 et Montréal en 2004, Paris a accueilli le troisième Congrès mondial contre la peine de mort du 1er au 3 février 2007. L'édition « Paris 2007 » a rassemblé des abolitionnistes venus des quatre coins du monde, juristes, mais également décideurs et acteurs de l'abolition, citoyens et militants, qui sont venus débattre des stratégies en cours.

Désormais, l'abolition universelle de la peine capitale doit être notre objectif à tous et à toutes. C'est dans ce sens que notre vote constituera un encouragement pour celles et ceux qui se mobilisent aujourd'hui encore dans de trop nombreux pays contre la mise à mort par l'État.

L'expression de ce vote, ainsi que les différentes positions internationales, dont la dernière résolution du Parlement européen et la directive du Conseil de l'Europe, doivent se retrouver dans toutes les actions de notre diplomatie.

Ainsi devons-nous tout mettre en oeuvre, notamment dans nos relations économiques et commerciales, pour influer afin que tous ces pays abandonnent cette pratique inhumaine.

Au premier rang de ces pays se trouvent les États-Unis d'Amérique, qui, non contents de dispenser des leçons de démocratie dans le monde à coups de balles et de missiles, sont incapables de faire respecter le plus essentiel des droits : le droit à la vie.

Mais l'ombre des États-Unis ne doit pas nous faire occulter d'autres pays, comme la Chine ou l'Arabie Saoudite. La lutte contre la peine de mort et la défense de l'ensemble des droits humains valent plus que tous les contrats commerciaux et économiques !

L'autre champ à conquérir concerne le domaine pénal.

Certes, la peine de mort directe, immédiate, n'est plus appliquée en France depuis 1981 et on ne pourra plus y revenir, notamment grâce à l'inscription de son abolition dans la Constitution.

Toutefois, nous ne pouvons pas rester aveugles et sourds face à une autre peine de mort, lente et insidieuse, mais tout aussi implacable et inhumaine : celle que constituent les longues et très longues peines.

Je sais que mes propos, en ce moment de consensus et d'autocongratulation, vont paraître discordants. Mais nous ne pouvons pas, légitimement, nous contenter d'offrir à chaque citoyenne et citoyen de ce pays la garantie que jamais plus l'un d'eux ne se verra exécuter, et n'apporter aucune garantie à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se voient condamner à de très longues peines, parfois incompressibles, voire condamner à perpétuité.

Lorsqu'une personne est condamnée à quinze ou vingt ans de prison, à perpétuité avec des peines de sûreté, c'est ni plus ni moins qu'une condamnation à mort, à mort lente !

Savez-vous ce que représente une privation de liberté de quinze ou vingt ans ? Quelqu'un, tout à l'heure, a évoqué une peine de quarante-deux ans, ce qui m'a semblé tout à fait incroyable ! Ce n'est pas la lame de la guillotine qui s'abat alors avec fracas mais, en revanche, c'est bien la lame du temps, de la maladie, des troubles psychiques, souvent de la déchirure familiale et de l'extinction sociale et morale qui s'abat dans un silence complice, un silence de mort.

Je ne peux m'empêcher de vous lire cet extrait d'une lettre de dix condamnés à vie de la centrale de Clairvaux, l'une des prisons au régime le plus sévère de France : « Dès lors qu'on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l'issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne fois pour toutes que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d'aucun lendemain après bien plus de vingt années de misères absolues. »

Rappelez-vous de votre réponse, monsieur le ministre : « Si on les prenait au mot, combien se présenteraient ? » Ces propos, qui m'avaient effrayée moi-même, n'étaient pas dignes de notre République, et je vous l'avais dit à l'époque ! Espérons au moins que cette inscription dans la Constitution empêchera désormais toute mauvaise plaisanterie, car il y a des sujets sur lesquels on ne peut pas plaisanter !

De nombreux rapports remettent profondément en cause notre système carcéral, le dernier en date étant celui de l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Álvaro Gil-Robles.

Notre pays, qui revendique l'esprit des avocats de l'abolition, tels que Voltaire, Hugo, Gambetta, Clemenceau et Jaurès, qui ont tracé notre chemin, verrait la lutte de ces derniers encore inachevée ! Une abolition complète passe obligatoirement par une profonde modification de notre droit pénal. Par cohérence avec les valeurs humanistes que nous défendons, il convient donc d'interdire les condamnations à perpétuité et les longues peines. Nous ne voulons pas non plus de peines incompressibles, parce que le condamné amendé doit pouvoir, après la punition, retrouver sa liberté. Nous croyons en l'être humain, nous savons qu'il peut changer, nous sommes convaincus qu'aucune raison valable ne peut le condamner pour la vie, ni le condamner à cette mort lente.

Aujourd'hui, nous prenons rendez-vous avec l'histoire. Nous avons fait une grande partie du chemin. Ce qui a été accompli avec courage par des personnes d'honneur doit être salué et inscrit dans le marbre de la Constitution. La part de chemin qui reste parcourir, la part de l'oeuvre qui reste à compléter exige de nous, personnes responsables, de faire preuve de la même bravoure !

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