Intervention de Richard Yung

Réunion du 4 mai 2006 à 15h00
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Richard YungRichard Yung :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, le débat d'aujourd'hui est d'abord celui de la transposition de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins et de la directive du 27 septembre 2001 sur le droit de suite.

Sur ce point, permettez-moi deux observations.

Premièrement, je le redis, notre pays est constamment en retard en matière d'adaptation de sa législation au droit communautaire. La France est le mauvais élève de l'Union, et cette fâcheuse habitude ternit notre image au niveau européen. Nous sommes ensuite contraints de légiférer dans l'urgence et amenés à transposer des textes qui ont été déjà été transcrits par nos partenaires en 2002 ou 2003.

Deuxièmement, comme l'indique le titre de la directive de mai 2001, il s'agit d'harmoniser « certains aspects » du droit d'auteur. C'est dire si notre ambition et celle de la commission sont modestes.

Le droit d'auteur en Europe prend racine dans des traditions tellement contrastées et différentes qu'il ne saurait être question de les harmoniser - au sens communautaire classique, c'est-à-dire de les réunir et d'en faire une synthèse -sans provoquer des bouleversements considérables dont on pourrait craindre qu'ils ne marquent une mise en cause de la tradition et de la spécificité françaises.

Mais, en même temps, il est essentiel d'intégrer le phénomène Internet dans notre droit, comme l'ont fait nos grands anciens pour l'imprimerie, la radio puis la télévision.

J'ajoute que nous allons traiter non pas seulement de la transcription de ces deux directives, mais aussi de nombreux autres sujets, qui, s'ils ne sont pas « disparates », sont en tous cas de nature très différente et dont il est impossible de dégager un fil conducteur : le droit d'auteur pour les agents publics, le dépôt légal de l'Internet, les modalités d'administration des sociétés de gestion collective, le droit de suite.

Ce projet de loi est vraiment une auberge espagnole, et vous auriez sans doute été mieux inspiré en vous cantonnant à son objet même, c'est-à-dire à la transcription des directives.

Je souhaite avant tout rappeler que la défense des droits des auteurs doit être au sommet de nos préoccupations. Ayons constamment à l'esprit que le droit d'auteur constitue presque toujours l'unique revenu des auteurs. À la différence des « vedettes », la plupart d'entre eux vivent dans une extrême précarité ! À l'instar de Jack Lang, j'estime que le respect du droit d'auteur est « un impératif catégorique » qui est au fondement même de notre exception culturelle.

Une comparaison rapide avec la loi de 1985, dite « loi Lang », qui avait su innover en mettant à profit la concertation pour instaurer, par exemple, la redevance pour copie privée ou la licence légale, me conduit directement à critiquer l'économie générale du projet de loi qui nous est proposé.

À mon sens, une transposition stricto sensu de la directive eût été préférable. En cherchant à tout faire en même temps, en voulant répondre à une obligation communautaire et accompagner une transition culturelle, vous avez élaboré un texte « fourre-tout », trop technique, qui, de surcroît, a été examiné dans de mauvaises conditions à l'Assemblée nationale.

L'élaboration de ce projet, qui ne répond ni aux exigences des auteurs ni aux demandes des internautes, est symptomatique d'une action brouillonne. Afin de panser les plaies, ce projet de loi doit donc être « épuré », car certains articles sont, en l'état, confus, ambigus, voire dangereux pour la défense même du droit d'auteur.

Face à l'influence de plus en plus forte du copyright dans l'ère de la mondialisation des échanges culturels, nous devons continuer à donner la primauté aux auteurs. Ainsi, nous garantirons l'avenir de la création dans notre pays. À la différence du système anglo-saxon, le droit d'auteur doit demeurer un droit moral interdisant toute dénaturation d'une oeuvre contre la volonté de son auteur. Mais, en même temps, celui-ci doit rester libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public.

De ce point de vue, l'évolution du droit d'auteur en France est le corollaire de l'exception culturelle, pour le respect de laquelle notre pays a beaucoup oeuvré avant qu'elle soit acceptée et respectée. Tout le monde le reconnaît, elle lui a permis de conserver une capacité de création spécifique, rare dans le monde, rare en Europe. Nos artistes, nos compositeurs, nos interprètes, nos metteurs en scène, dans les domaines qui sont les leurs, ont pu rester eux-mêmes et continuer à faire vivre notre grande et belle culture.

Le droit d'auteur est aussi un droit patrimonial, en vertu de l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle. Par conséquent, à chaque représentation ou reproduction d'une oeuvre doit correspondre une rémunération juste et équitable. La culture ayant un coût et la copie privée n'étant en aucun cas un droit, les exceptions au droit d'auteur doivent être limitées et encadrées. Nous y reviendrons au cours de la discussion de ce texte.

Monsieur le ministre, le droit d'auteur à la française ne doit pas être, selon l'expression de Roger Chartier, historien du livre, « une parenthèse de l'histoire ». La multiplication des échanges culturels par le biais d'Internet ne doit pas conduire à la disparition du droit d'auteur au profit du copyright.

Afin de préserver notre philosophie de la propriété intellectuelle, des efforts en termes de pédagogie sont nécessaires pour accompagner les changements nécessaires, et parfois douloureux.

Aujourd'hui, faute d'avoir encadré juridiquement certaines offres culturelles sur Internet, toute une génération baigne dans la culture de la gratuité. Or l'accès aux oeuvres ayant un coût, il faut inverser la donne et instaurer de nouveaux modèles économiques, publics et privés, garantissant la protection et la défense des droits des créateurs, mais aussi un accès rapide, de masse et à coût réduit pour les internautes.

Étant donné le rythme rapide de l'innovation technologique à l'ère numérique, il va de soi que ces modèles devront être continuellement « actualisés ».

Tout d'abord, je suis convaincu qu'il faut développer les offres légales accessibles à tous en incitant le marché à proposer des offres diversifiées et bon marché.

Ensuite, il faut reprendre l'idée d'une plate-forme publique gratuite fondée sur le principe de la diversité culturelle. La France a initié le débat qui a conduit l'UNESCO à adopter la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Montrons aussi la voie dans le domaine numérique.

À cet égard, si je tiens à rendre hommage à la commission des affaires culturelles pour la qualité de son rapport, qui est un grand monument de la pensée dans le domaine du droit d'auteur

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