Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dix jours de débats, y compris le vendredi, le samedi et le dimanche, ce qui, de mémoire de sénateur, ne s'était jamais vu en dehors de l'examen du projet de loi de finances ; plus de quatre-vingt-dix heures de séance ; cinq commissions saisies, alors qu'une commission spéciale aurait sans doute simplifié les choses ; 900 amendements déposés, pour un tout petit nombre adopté : les chroniqueurs du Parlement retiendront peut-être ces chiffres, qui prouvent l'intensité du débat qui s'est tenu au Sénat.
Interrompu à l'Assemblée nationale par l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution, qui n'a pas permis d'aller au-delà de l'article 3 bis, relatif au contrat première embauche, ce débat a été riche d'enseignements, sur nos conditions de travail d'abord, sur l'attitude de votre majorité ensuite, sur la nature du texte relatif au CPE enfin, et, au-delà, sur le choix de société qu'il révèle.
Je ne peux, à mon tour, que revenir un instant sur nos conditions de travail.
Je critiquerai, d'abord, les délais. Nous connaissions la session unique, nous voilà bientôt dans la session permanente !
J'évoquerai, ensuite, les débats. Nous avons eu un festival de procédures parlementaires. Tous les moyens, ou presque, ont été utilisés dans le but d'accélérer les débats et de désorganiser le travail de critique et de proposition de l'opposition. Il ne nous aura manqué que l'utilisation du vote bloqué, vivement souhaitée par les sénateurs UMP pour abréger leur malaise.
Au total, le droit d'amendement a été bien malmené et le Conseil constitutionnel appréciera le recours à la procédure utilisée pour le limiter.
Ce débat a également révélé que le règlement du Sénat était « à géométrie variable », comme l'ont montré l'application aléatoire de la demande de vérification du quorum, l'irrecevabilité des amendements, ou encore la difficulté d'obtenir des suspensions de séance demandées par un président de groupe.
Dans ce contexte, les discussions que l'on nous propose, en marge des conférences des présidents, sur l'amélioration de l'organisation du travail parlementaire ne manqueront pas de piquant ! Il y a, en effet, matière à discussion pour mieux respecter l'opposition, son droit d'amendement, et pour progresser dans l'organisation de nos séances.
Ce débat a aussi été cruel pour votre majorité, dont il a révélé le malaise profond face à un texte qui ne convainc personne, pas même vous, un texte fourre-tout, « à côté de la plaque », dérouté de son objectif initial - répondre à la crise des banlieues - par l'introduction d'un cavalier, le CPE, qui a tout faussé.
A de nombreuses reprises, le Gouvernement a dû reculer.
D'abord, sur le curriculum vitae anonyme, que nous avons réussi à imposer, mettant I'UMP en minorité. Oserez-vous le supprimer en commission mixte paritaire alors que le chef de l'État y est favorable ?
Ensuite, trois articles du projet de loi, les articles 13, 14 et 15, ont été supprimés en séance, à l'unanimité du Sénat et alors même que les amendements de suppression présentés par l'opposition avaient été rejetés en commission.
Enfin, nous avons voulu montrer que les exonérations fiscales des ZFU risquaient d'en créer de nouvelles, par un effet d'éviction territoriale.
Par ailleurs, sur plusieurs points importants, le Gouvernement a été contraint de revoir sa copie.
Premièrement, à l'article 12, qui accélère la procédure d'autorisation des implantations commerciales en zones franches urbaines. Le Gouvernement voulait supprimer le pouvoir de décision de la CDEC pour les surfaces commerciales de plus de 300 mètres carrés dans les ZFU. Le Sénat l'a maintenu.
Deuxièmement, au sujet des pouvoirs de sanction de la HALDE en matière de lutte contre les discriminations. L'article 19 a été entièrement réécrit par la commission des lois.
Troisièmement, s'agissant de la suppression des allocations familiales. Le Gouvernement ne nous a pas convaincus lorsqu'il a défendu cette mesure comme un élément favorable à l'égalité des chances : elle frappera, au contraire, durement les familles les plus fragilisées.
S'apercevant que la rédaction proposée remettait en cause la décentralisation et la liberté d'appréciation des présidents de conseils généraux, la majorité a improvisé une rédaction en séance pour permettre à ces derniers de prendre « toute autre mesure d'aide à l'enfance adaptée à la situation ». Cette rédaction désavoue votre contrat de responsabilité parentale et le rend caduc.
Le dernier exemple de l'incroyable impréparation de ce texte fut l'extension des pouvoirs de police municipale. Le lien avec l'égalité des chances était tellement évident que la commission des lois a demandé la suppression de cette disposition ! Elle fut évitée par une nouvelle rédaction, improvisée elle aussi en séance, des articles 26 et 27.
Nous avons, par ailleurs, démontré l'incohérence de la majorité lors de la discussion de notre proposition de service civique obligatoire. De nombreux sénateurs UMP, qui ont pourtant signé la pétition du journal La Vie, n'ont pu, par discipline de groupe, nous rejoindre sur ce point !
Enfin, je souhaite revenir un instant sur le CPE et l'apprentissage junior, l'éclairage que les débats au Sénat leur ont apporté et le choix de société qu'ils ont révélé.
Seule la majorité considère l'apprentissage junior dès quatorze ans comme la réponse à la crise des banlieues. Tous les acteurs du monde économique le perçoivent, au contraire, comme une voie de garage pour les jeunes en échec scolaire dans le but d'en faire une main-d'oeuvre disponible à court terme et à bon marché.
Le débat au Sénat a également souligné le caractère juridiquement bancal, économiquement infondé, et nuisible à l'harmonie sociale du CPE.
C'est dans les travées de votre propre majorité que les risques juridiques du CPE ont été soulignés. Nous estimons que la période de deux ans, qui ne peut recevoir de qualification juridique, est contraire tant à la convention 158 de l'Organisation internationale du travail qu'à l'article 24 de la Charte sociale européenne du 10 mars 1999, sans parler de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la durée raisonnable d'une période d'essai.
Si vous aviez consulté le Conseil d'État, cet aspect vous aurait peut être retenus... Le Conseil constitutionnel tranchera !
Parti d'une grande ambition - répondre à la crise des banlieues et offrir de nouvelles perspectives d'espoir à toute une génération - ce texte sera sans doute le plus grand contresens de la législature, qui en comporte déjà pas mal.
À la demande de moins de précarité, vous avez répondu par plus de précarité ; à l'appel à plus de sécurité professionnelle, vous avez répondu par moins de garanties sociales.
Tout ce que vous avez intitulé « égalité des chances », au milieu d'une compilation de dossiers mal ficelés qui traînaient peut-être dans les tiroirs des ministères, a impitoyablement aggravé les inégalités pour les plus démunis de nos concitoyens, ainsi que Jean-Luc Mélenchon vient de la démontrer.
Chaque thème de ce texte aurait mérité un projet de loi particulier. Regroupés dans une grande loi d'orientation, c'eût été l'occasion d'un beau et essentiel débat de société.
Pour ce qui les concerne, les sénateurs socialistes, et plus généralement les sénateurs de gauche, dont vous avez remarqué la constance et la mobilisation, se sont appliqués à ce qu'il en soit ainsi. Malheureusement, dans ce débat, leur faisait face une majorité « aux abonnés absents », sur instruction gouvernementale.
Vous avez manqué ce rendez-vous avec l'espoir, vous aurez rendez-vous, dès demain, avec ceux qui attendent tant de nous.
Les sénateurs socialistes voteront résolument contre ce projet de loi.