Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 4 mai 2006 à 21h45
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Article 1er bis suite

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

L'exception qui est proposée dans ce paragraphe 9° prend acte de la demande des éditeurs de presse, qui ne veulent pas se voir poursuivis pour le non-paiement de droits d'auteur dont ils ne s'estiment pas redevables.

Mais alors, prenons au mot leurs arguments !

Ils disent qu'il ne s'agit pas d'amputer le droit moral des auteurs. Mais alors, n'inscrivons pas dans la loi la détestable notion de la reproduction partielle : il y a d'excellents cadreurs qui ont le choix de ce qui est ou non dans le champ de prise de vue ! En tout cas, il faut absolument mentionner le nom de l'auteur.

Ils disent, ensuite, qu'il s'agit d'apparitions quasi incontournables. En ce cas, donnons acte, par la rédaction, que ces oeuvres prises et captées fortuitement occupent une partie de l'espace public !

Enfin a été invoqué le caractère fugitif. Ce dernier est toutefois consubstantiel au défilement des images mobiles et le caractère accessoire n'est guère recevable en matière d'images fixes. Il nous faudra donc préciser que les photographies ne sauraient être concernées.

Lors de la discussion générale, j'ai évoqué le fait que les acteurs intermédiaires doivent avoir leur place, mais pas plus que leur place.

La loi ne doit pas privilégier les éditeurs par rapport aux créateurs, faute de quoi nous favoriserions des mécanismes comme ceux qui ont abouti à ce qu'AOL-Time Warner sacrifie l'existence de Life sur l'autel de la Net économie ou bien à ce qu'un photographe comme M. Apesteguy se retrouve, à son corps défendant, menacé de basculer du régime des droits d'auteur vers celui du copyright, simplement par concentration des agences. Je pense à Corbis, dans la main des patrons de la Net économie, en l'occurrence Bill Gates, ou à Gamma captée par Hachette Filipacchi Médias, laquelle a également capté les photos d'Apesteguy.

En conséquence, le plus raisonnable est de supprimer cette exception.

Les exceptions doivent être rares et justifiées. Elles existent, néanmoins, parce que la culture n'est pas une vulgaire marchandise. Notre rôle est donc de les limiter à celles qui relèvent de l'intérêt général.

C'est dans ce sens que nous soutenons les exceptions qui favorisent la lecture publique, l'enseignement, la duplication de la mémoire ou la compensation du handicap.

Cependant, l'exception qui nous est ici proposée ne remplit aucune de ces conditions : elle ne répond, je le répète, qu'aux intérêts privés des éditeurs de presse et des diffuseurs.

Certes, ils nous ont émus avec leurs péripéties judiciaires ; mais ce sont des cas très isolés - ce sont toujours les mêmes exemples qui sont utilisés - et ils ne justifient pas une modification à risque des principes du droit d'auteur.

Il n'y a donc pas lieu d'inscrire une telle entorse dans la loi. Faisons confiance aux juges pour prendre la mesure des choses et infléchir la jurisprudence ! C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour le droit à l'image, domaine dans lequel les juges ont très vite fait la part entre les démarches opportunistes et celles qui reposaient sur une réelle atteinte à la vie privée.

Le droit d'auteur n'est pas une entrave à l'information. En revanche, son érosion constituerait une vraie hypothèque sur les revenus des professionnels de la photographie, et donc sur la liberté de la presse. Il existe, à l'heure actuelle, des accords respectueux des besoins de chacun qui fonctionnent très bien.

En outre, le texte qui nous est proposé est aggravé par le fait qu'il rend banal la reproduction partielle.

Sa rédaction reste ambiguë : il sera toujours facile de dire que l'illustration était accessoire par rapport à l'article. Cette exception ouvre donc une vraie brèche dans le droit des photographes.

D'ailleurs, ceux qui nous ont proposé un tel texte, pour leur part, ne renoncent pas à leurs salaires, à leurs bénéfices, à leurs droits, même si leurs publications et leurs articles ont une visée informative et également un caractère fugitif ! Je rappelle que la plume fut tenue par le Syndicat de la presse magazine et d'information, qui regroupe 62 sociétés, dont Hachette Filipacchi, représente 460 titres et réalise un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros ! Nous n'allons tout de même pas pleurer sur les droits que ces groupes doivent verser à quelques auteurs !

Enfin, faisons scolaire et considérons le texte. Nous ne remplissons aucune des conditions requises : la reproduction d'oeuvres plastiques, graphiques ou architecturales n'est pas un cas spécial ; Il y a atteinte potentielle à l'exploitation normale de l'oeuvre ; il y a préjudice aux intérêts légitimes des auteurs.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose, mes chers collègues, de supprimer cet alinéa.

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