Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, dont le Sénat est aujourd'hui saisi en première lecture, s'inscrit dans un mouvement engagé depuis plusieurs années. Il en constitue une nouvelle et importante étape.
Une chose est sûre, l'intervention du législateur est indispensable, et c'est incontestablement parce que les articles 3 et 4 de la Constitution ont été révisés en juin 1999, avec - faut-il le rappeler ? - la contribution active du Sénat, que le législateur a pu favoriser l'accès des femmes à la vie politique, en adoptant des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant.
Ainsi, la loi du 6 juin 2000 a prévu des obligations en matière de parité pour les candidatures aux élections à scrutin de liste et institué un dispositif de sanctions financières applicables aux partis ne respectant pas la parité pour les candidatures aux élections législatives.
Cependant, le bilan de l'application de cette loi est pour le moins contrasté puisque, au regard des comparaisons internationales, la France n'est pas très bien placée en ce qui concerne la représentation des femmes au sein des assemblées parlementaires : notre pays se situe en effet au quatre-vingt-quatrième rang mondial, sur cent trente-cinq pays classés, avec 12, 2 % de femmes à l'Assemblée nationale et 17, 6 % au Sénat.
Il faut néanmoins reconnaître que le bilan est beaucoup plus positif dès lors que l'on considère les assemblées élues au scrutin proportionnel, les femmes y étant indéniablement mieux représentées que par le passé.
Soit dit par parenthèse, cela ne signifie pas, à mes yeux, que toutes les assemblées doivent être élues au scrutin proportionnel : j'y reviendrai, mais la notion de territoire est essentielle.
S'agissant des conseils régionaux, ils sont devenus, grâce à la loi du 11 avril 2003 inspirée par Jean-Pierre Raffarin, les assemblées les plus féminisées de France, la proportion de femmes élues atteignant 47, 6 % en 2004.
Pour autant, des progrès restent à accomplir, s'agissant notamment de la parité au sein des exécutifs locaux et dans les assemblées élues au scrutin majoritaire.
Il est en effet établi que, malgré la législation en vigueur, les responsabilités au sein des exécutifs locaux demeurent concentrées entre les mains des hommes, y compris dans les collectivités administrées par des assemblées quasiment paritaires.
Ainsi, dans les communes de 3 500 habitants et plus, alors que les femmes représentent près de la moitié des conseillers municipaux, elles ne sont que 36, 8 % à occuper des fonctions d'adjoint au maire, et seulement 7, 6 % à être maires. De même, à peine plus d'un tiers des vice-présidents de conseil régional sont des femmes.
C'est donc pour remédier à cette situation que le projet de loi tend à instaurer un scrutin de liste pour l'élection des adjoints au maire dans les communes de 3 500 habitants et plus. Une disposition similaire s'appliquera pour les exécutifs régionaux.
Cela ne nous dispensera pas de devoir lutter, en pratique, pour imposer une meilleure répartition des compétences au sein des exécutifs. Ainsi, les secteurs des finances, de l'action économique, de l'aménagement du territoire, des transports ou de l'urbanisme, considérés comme stratégiques au sein des exécutifs, sont généralement confiés aux hommes, tandis que les femmes sont, le plus souvent, cantonnées aux domaines prétendument féminins par nature, tels que le social, la petite enfance ou les affaires scolaires.
Avant toute chose, il convient de rappeler une réalité dont j'ai pu prendre la mesure, ayant été maire pendant une vingtaine d'années : de nombreuses femmes refusent d'être candidates à des fonctions électives, parce qu'elles exercent une profession, s'occupent de la maison et des enfants, et participent à la vie associative, ce qui ne leur laisse plus le temps ou l'envie de siéger dans les assemblées locales.
On en parle depuis des années, mais il faudrait véritablement prévoir un vrai statut de l'élu, qui permettrait notamment de mieux indemniser ce dernier ou cette dernière pour le temps de travail non accompli dans l'entreprise ou l'administration, au profit de la vie publique. Il conviendrait également d'améliorer les dispositifs financiers existants, afin de mieux compenser le coût des heures de garde des enfants.
Pour ce qui est de l'échelon national, l'aggravation de la sanction financière pesant sur les partis politiques ne respectant pas la parité dans les candidatures aux législatives permettra de conforter la place des femmes à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, l'institution d'un suppléant du conseiller général de sexe différent de ce dernier favorisera l'égal accès des femmes et des hommes au mandat départemental. Cette mesure évitera le renouvellement électoral dans certains cas, simplifiera de ce fait la vie politique, permettra aux élus, associés en droit, de faire un travail de proximité plus serré sur un territoire plus petit, donc plus efficace pour les citoyens.
Aux termes du projet de loi, le suppléant ne pourrait remplacer le titulaire du mandat qu'en cas de décès de ce dernier. Aussi M. Gélard propose-t-il fort opportunément d'étendre le champ d'application de cette disposition à la démission résultant d'une maladie rendant impossible l'exercice du mandat, à la présomption d'absence au sens de l'article 112 du code civil et à l'acceptation de la fonction de membre du Conseil constitutionnel - ce qui doit tout de même être un cas de figure assez rare !
C'est là définir un juste équilibre, et cela démontre que l'examen de ce texte mérite peut-être d'être poussé plus loin.
En effet, plusieurs parlementaires souhaitent que le cumul de mandats par le titulaire puisse ouvrir au suppléant l'accès au poste de conseiller général. L'application d'une telle mesure, dont l'objet serait de favoriser la parité, pourrait entraîner certains dysfonctionnements, mais ceux-ci seraient, me semble-t-il, très limités et plutôt théoriques, au regard de l'ouverture permise. Je ne suis donc pas, pour ma part, opposé à cette disposition.
En tout état de cause, il doit exister un lien entre l'élu et l'électeur. C'est pourquoi je voudrais mettre en garde celles et ceux, de tous horizons, qui voudraient généraliser la représentation proportionnelle à l'ensemble des scrutins. Autant la retenir me paraît fondé pour les scrutins régionaux, qui concernent plusieurs départements, autant les élus des conseils généraux ne doivent pas être désignés de cette manière : ils représentent les territoires, ils sont les élus de proximité, ils connaissent tout le monde, ils rendent des services irremplaçables aux citoyens, alors que les élus régionaux - j'en ai été un pendant douze ans en Poitou-Charentes - sont majoritairement inconnus des électeurs.
La représentation des territoires doit donc être privilégiée. Si j'en crois ce que j'ai constaté lors des élections régionales auxquelles j'ai participé, lors des élections européennes ou des élections municipales dans de grandes villes, figurent notamment, sur les listes présentées au scrutin proportionnel, des candidats issus des villes les plus importantes du territoire concerné, déconnectés des réalités locales, ou bien des « apparatchiks » locaux et nationaux, recalés du scrutin majoritaire, en mal de suffrages et que les partis imposent. De telles pratiques sont courantes et s'observent dans toutes les familles politiques. Dans ces conditions, instaurer l'élection des conseils généraux au scrutin proportionnel serait, à mon sens, porter un mauvais coup au fonctionnement des exécutifs départementaux.
Je conclurai mon intervention en indiquant que ce texte constitue un vrai progrès, monsieur le ministre. Certes, vous n'avez pas tout réglé, mais personne n'y est parvenu au cours de ces dernières années. Quoi qu'il en soit, c'est là un pas important dans la bonne direction, dont d'autres avant vous auraient pu prendre l'initiative.