Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 14 décembre 2006 à 15h00
Parité pour les mandats électoraux et les fonctions électives — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

En effet, qu'il s'agisse du rapprochement du statut personnel de la femme migrante de celui de son mari, instauré par la loi relative à l'immigration et à l'intégration et qui retire tout statut autonome à celle-ci, ou encore des dispositions du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance qui ramènent le statut de la femme subissant des violences conjugales à celui d'une incapable majeure, en permettant à un médecin de déclarer, contre son avis ou même sans son avis, ces violences à la justice, au mépris du sort qui sera ensuite réservé à la victime, ce gouvernement a détruit, plus qu'il n'a construit, les droits effectifs des femmes.

Mais revenons-en au projet de loi qui nous est soumis, à ses incohérences et à ses inconsistances.

Tout d'abord, l'obligation de parité concerne les seuls exécutifs des communes de plus de 3 500 habitants. En quoi des mesures incitatives en vue de faire respecter la parité seraient-elles inutiles pour des communes de taille inférieure, par exemple de 2 500 habitants ? L'égalité entre hommes et femmes est-elle une question d'échelle ?

De surcroît, en cantonnant l'application du dispositif aux communes et aux conseils généraux, vous faites fi, monsieur le ministre, d'une sphère émergente de pouvoir : l'intercommunalité, échelon où les femmes sont largement sous-représentées.

Ensuite, vous proposez d'instaurer, au sein des conseils généraux, ce que certains ont appelé un « ticket paritaire ». Autrement dit, chaque futur conseiller général aura un suppléant de sexe différent, qui le remplacera en cas de décès.

En lisant les arguments qui soulignent la pertinence de cette disposition et en examinant les statistiques de décès des conseillers généraux, j'ai éprouvé la désagréable sensation que ce que vous proposez aux femmes n'est rien d'autre, en fait, qu'une sorte de rente viagère élective.

À vos yeux, voilà ce que méritent les femmes en politique : attendre que les titulaires dont elles sont les suppléantes meurent, afin qu'elles puissent alors accéder à des fonctions électives. Cela est tout simplement inacceptable !

Un autre facteur d'incohérence et d'inefficacité de votre projet de loi réside dans l'aggravation des pénalités financières à l'encontre des partis ne respectant pas la parité aux élections législatives.

L'application des dispositions actuellement en vigueur a démontré toute l'inefficacité de telles pénalités. Je rappelle que, plus de six ans après le vote de la loi du 6 juin 2000, il n'y a toujours que 12 % de femmes à l'Assemblée nationale et 17 % de sénatrices.

D'ailleurs, cette sanction financière fait si peur que l'UMP nous annonce que 30 % de ses candidats aux prochaines élections législatives seront des femmes. Ce parti préfère donc subir des pénalités plutôt que de respecter la parité.

Vous le savez, les Verts se battent pour une défense effective de l'égalité des droits et de l'environnement. C'est dans cette logique que nous combattons le commerce des « droits à polluer », qui aboutit à ne pas remettre en cause les pratiques dévastatrices de l'environnement et qui encourage, au contraire, les pays et les entreprises les plus riches à continuer à polluer, en achetant le droit de le faire.

Dans le même esprit, nous ne saurions tolérer des « droits à discriminer » qui permettraient aux partis politiques les plus riches de continuer à désavantager les femmes. On ne saurait vendre l'égalité des droits et acheter le droit à l'inégalité.

Or, ce dont il s'agit, c'est bien d'un système institutionnel de discrimination à l'encontre des femmes, niant en outre toute autre forme de mixité, et que ce projet de loi ne remet nullement en cause.

La question de la juste représentation des femmes en politique touche à l'essence même de ce qui constitue notre démocratie, à ce que cette dernière peut et doit devenir. Elle relève d'une sphère supérieure, celle de la justice, de l'égalité des droits, de la citoyenneté et de la revitalisation de notre système de représentation démocratique.

La parité en politique n'est pas un Himalaya inaccessible, une sorte d'objectif utopique vers lequel la société française ne pourrait que tendre sans jamais l'atteindre. La parité entre hommes et femmes appartient au champ du possible, de l'immédiatement réalisable, car elle ne dépend que d'un seul facteur : le volontarisme politique.

La quasi-totalité de nos voisins européens ont réussi, très souvent sans voter la moindre loi, à imposer une juste représentation des femmes en politique, voire une parité complète. Ainsi, le parlement suédois compte 45, 3 % de femmes, celui de la Norvège plus de 40 %.

Notre pays, grand donneur de leçons en matière de démocratie, fait moins bien que le Rwanda, dont le parlement est composé à 48, 8 % de femmes, ce qui place ce pays au premier rang mondial selon le critère de la représentation féminine. On montre souvent du doigt les pays arabo-musulmans s'agissant des droits des femmes, mais sait-on qu'il y a plus de femmes parlementaires dans certains pays arabes, au Maroc par exemple, qu'en France ?

Au sein de notre mouvement des Verts, nous n'avons pas attendu que la loi intervienne pour promouvoir la parité : nous avons inscrit dans nos statuts, depuis l'origine de notre existence politique, le principe de la parité stricte. Pour toutes nos candidatures, tant internes qu'externes, un homme et une femme doivent être présentés.

Toute réforme réelle, tendant à assurer une juste représentation des femmes dans les fonctions électives, ne peut faire l'économie d'une réflexion sur d'autres questions comme l'instauration de la proportionnelle, le statut de l'élu, la question du non-cumul des mandats.

À cette occasion, permettez-moi de vous rappeler qu'une véritable démocratie représentative ne se limite pas à la représentation des femmes. La parité devrait être également mise en oeuvre pour mener les autres populations exclues sur le chemin de l'égalité.

Aujourd'hui, la politique, les organes de représentation ou de décision excluent trop souvent les femmes, mais aussi les jeunes, les personnes issues des milieux populaires, ou celles dites d'origine étrangère non européenne. Nous sommes face à un bastion réservé à une élite masculine, hautement diplômée, issue de milieux sociaux favorisés, blanche et de culture judéo-chrétienne. Et après, vous accusez les autres de communautarisme !

Seule une dose de représentation proportionnelle dans l'élection des députés permettra d'assurer mécaniquement une meilleure représentation du multipartisme, des femmes, et de l'ensemble de la diversité sociologique et culturelle de la population française.

Il en va de même pour le statut de l'élu. Ce gouvernement s'est abstenu de penser et de mettre en oeuvre une série de mesures relatives à la gestion de la vie familiale, à la réinsertion professionnelle et à la retraite de tous les élus, locaux comme nationaux.

Il n'y aura pas de renouvellement de génération, de genre ou de culture, ou des pratiques politiques, sans application du principe de non-cumul des mandats, y compris dans le temps. Certains ont commencé leur carrière d'élu de la République à une époque où Leonid Brejnev présidait l'URSS, Jimmy Carter les États-Unis, et Charles de Gaulle la France...

Limiter le cumul de mandats successifs dans le temps est un impératif démocratique. Mais cette limitation ne peut évidemment se résumer au facteur temporel. Un trop grand nombre de mes collègues parlementaires cumulent la casquette de sénateur ou député avec celle de membre d'un exécutif régional ou départemental, de maire de ville de moyenne ou de grande taille, et avec de nombreuses autres fonctions de président ou d'administrateur de divers établissements publics ou para-publics.

Les citoyens voient ainsi se renforcer la fracture entre eux et leurs élus, qui ne sont plus crédibles par le simple fait que les journées n'ont que vingt-quatre heures pour tout le monde. Non seulement en cumulant les mandats, on ne permet pas à d'autres d'être élus, mais, en plus, comme on ne peut être partout, on ne peut pas tout bien faire. Comment peut-on à la fois être un bon député ou sénateur, un bon président de région et exercer une présidence quelconque ?

Voilà pourquoi les Verts sont opposés à ce projet de loi qui ne fait en rien reculer cette anomalie démocratique à la française. Messieurs, si vous souhaitez réconcilier nos citoyens avec la politique et redonner confiance aux élus, il est urgent de traiter avec courage et réalisme toutes ces questions de cumul, du statut de l'élu et de parité pour toutes et tous, y compris la parité sociale et culturelle, car cette notion n'est pas l'exclusivité des femmes !

Nos assemblées doivent être à l'image de la société et de sa pluralité. Les électeurs veulent voir enfin des élus qui leur ressemblent ! Féminiser, rajeunir et métisser nos assemblées, voilà un enjeu à relever si nous voulons sortir de cette crise démocratique que nous vivons aujourd'hui.

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